Ginkgo, propriétaire de la friche polluée de Legré-Mante, à la Madrague de Montredon, a présenté à la population son projet de dépollution et de réhabilitation du site. Des craintes persistent sur l’impact environnemental, urbain et sanitaire.
C’était le sujet phare de ces 15 derniers jours : la dépollution de la friche Legré-Mante à la Madrague de Montredon (8e). Lors d’une première réunion publique, la semaine dernière, les habitants, associations et comités d’intérêt de quartier ont enfin pris connaissance en détail des études menées sur le site comme sur les parcelles à l’alentour.
Comme le détaille Marsactu, les résultats sont inquiétants. La présence d’arsenic dépasse souvent les seuils limite. Pour le plomb, activité originelle de l’usine créée en 1784, les concentrations chez les riverains peuvent être 10 fois supérieures au seuil d’alerte. Face au risque sanitaire bien réel, l’Agence régionale de santé (ARS) invite même à se rapprocher d’un médecin pour faire une plombémie afin de vérifier la quantité de ce métal lourd dans le sang.
Sans surprise, la mairie des 6-8 était de nouveau pleine à craquer le mardi 10 mai au soir pour la seconde rencontre avec les citoyens. Cette fois, il s’agissait de présenter le projet de dépollution et de réhabilitation du site porté par Ginkgo. Les deux soulèvent des craintes et ont parfois transformé ce grand oral du directeur adjoint, Pascal Roudier, en échanges tendus.
Rapport de force entre intérêt privé et bien public
Avec son programme baptisé 195, La calanque, le fonds privé, spécialisé dans la réhabilitation de friches polluées, cherche sans surprise une rentabilité à l’opération qu’il espère terminer en 2026. Un équilibre économique impacté par une dépollution estimée à 11,8 millions d’euros (HT). Un surplus notable malgré l’enveloppe de 2 millions d’euros perçue de l’État dans le cadre du Fonds friches. La promotion immobilière reste un invariant du programme, et un point de crispation.
Les pouvoirs publics voient d’un bon œil qu’un acteur se charge enfin d’une dépollution qui stagne depuis des années. Mais ils demeurent vigilants sur l’impact du projet acté sous l’ère Gaudin. La nouvelle municipalité en a fait un dossier prioritaire. Mathilde Chaboche, adjointe à l’urbanisme, a multiplié les réunions pour réajuster le programme avec « des invariants : la santé des riverains, l’impact sur le quartier, le patrimoine du site et la mixité sociale ».
Un village ouvert sur le quartier
L’élue se félicite de « l’évolution du projet depuis que nous sommes arrivés » et énumère des points concédés par le promoteur. D’abord « notre véto » contre la construction d’un immeuble sur le fameux « crassier ». Cette décharge historique de l’usine de 41 600 m³ regorge de métaux lourds et s’érode sur la plage en contrebas. Le talus sera finalement confiné par une chape pour devenir « un belvédère public qui descend en escalier vers la mer et qui sera végétalisé », explique Pascal Roudier pour Ginkgo.
L'ouverture au public est mise en avant dans la dernière mouture du projet. Constructa, à la manœuvre sur la conception architecturale, le présente désormais comme un « village à la mer ». Le directeur régional du groupe, Anthony Serra, évoque la grande place « du Chevalier Roze » qui sera créée en interface avec le quartier une fois le mur d'enceinte de l'usine « entièrement démoli. Et nous allons créer des commerces de proximité (998 m²) et des services (556 m²) ». Sur ce point, il promet une prise en compte des attentes des riverains avec « un sondage en ligne ».
« 90 % des bâtiments historiques seront réhabilités », poursuit-il. Plus de 500 m² sont destinés à des équipements publics. Leur vocation reste à définir. « On discute avec le Parc des calanques pour implanter une Maison du parc », précise Mathilde Chaboche. Les promeneurs pourront d'ailleurs traverser la résidence pour accéder aux massifs.
330 logements attendus
L'adjointe à l'urbanisme, qui devra valider les permis de construire en fin d'année, se félicite également d'avoir poussé à réduire « la surface de plancher du projet de 30 000 m² à 21 000 m² ». Elle garantit au passage « qu'il n'y aura pas d'autres permis de construire sur le site. Mais la surface n'est pas le plus important, c'est ce qu'il s'y passe ».
Reste que 19 646 m² sont destinés aux 330 logements du projet (qui ne doivent pas dépasser 3 niveaux). L'élue insiste alors sur un point : la moitié deviendra « une résidence de tourisme et une résidence senior ». Des projets qu'elle juge moins impactants, notamment pour l'augmentation de la présence automobile. Sur les 150 logements « classiques » restants, 38 seront sociaux.
Accrochages sur les embouteillages
Pas de quoi rassurer totalement les habitants sur la saturation de leur quartier : « C'est un super projet, mais hors sujet, lance un riverain. Car on vit déjà dans un cul-de-sac saturé depuis longtemps ». L'avenue de la Madrague, seul axe routier de desserte vers l'extrême sud de Marseille, supporte déjà 10 000 à 20 000 véhicules par jour selon les estimations. Avec une augmentation de près de 50 % en période estivale.
Ginkgo estime que « la Madrague peut absorber, en fonctionnement normal, plus de 1 000 véhicules par heure dans chaque sens ». Une capacité déjà dépassée en heures de pointe et l'été. Avec son projet, le promoteur prévoit une augmentation de « 900 véhicules par jour hors saison et 950 véhicules par jour en saison touristique ». Certains riverains présents craignent le double.
Pour compenser, le groupe affirme vouloir financer et développer des solutions de mobilité pour le secteur. Comme le financement d'un « Bus des Calanques », l'élargissement de la chaussée le long de l’avenue de la Madrague, l'installation de stations d'autopartage, la création d'une piste cyclable...
Quelles méthodes de dépollution ?
« On respire cette pollution depuis des décennies. Arrêtez de vouloir ralentir le projet », lance une riveraine aux contestataires. Elle résume l'argument central des citoyens favorables au projet : la dépollution. « Nous avons effectué des milliers de prélèvements depuis 2017 », sur les 8,5 hectares du site assure Pascal Roudier pour Ginkgo. « Dans les sols, les déchets, le béton, l'eau, les sédiments, l'air... ».
Il présente les résultats et sa méthodologie pour traiter la pollution. Le crassier sera confiné (voir plus haut). L'historique cheminée rampante sur le massif subira un décapage intérieur avant d'être condamnée. Sur l'emprise de l'ancienne usine, « la pollution concentrée » présente un taux de plomb jusqu'à 45 000 milligrammes par kilo (pour un seuil d'alerte à 100 milligrammes). « Cela représente 1 000 m³ de matière. Nous avons choisi de les extraire », annonce Pascal Roudier.
Reste « la pollution diffuse », présente « sur toute la zone ». Elle sera traitée de deux manières. Dans la zone dédiée aux logements, elle sera confinée sous 50 centimètres de terre. Pour les zones naturelles les plus au Sud, « le principe de phytostabilisation a été retenu », explique le directeur de Ginkgo.
Cette méthode de stabilisation et de captation de la pollution par les plantes est déjà pratiquée sur le site voisin de l'Escalette. Elle permet, selon le groupe, « la conservation de la biodiversité locale, la réduction des transferts via les racines, la limitation des effets du ruissellement, la refonctionnalisation biologique des sols ».
Avis favorable de l'expertise indépendante
« On demande plus d'informations et de garanties scientifiques précises », lance Rolland Dadena pour l'association Santé littoral sud. Pascal Roudier le renvoie au plan de conception des travaux (PCT) de plus de 1500 pages rendu public récemment. « Nous prendrons le temps de l'examiner en détails », promet le responsable associatif, loin d'être rassuré. « L'Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions de Fos-sur-Mer nous apportera son expertise ».
De son côté, la tierce expertise exigée par l'État début 2021 et menée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), établissement public français de référence, a rendu un avis favorable : « Les mesures de gestion proposées par le pétitionnaire sont valides, conformes, et proportionnées aux enjeux au regard des usages futurs (projet de réaménagement) et de l’état des milieux ».
Un chantier sous haute tension
Le chantier qui doit débuter en 2023 inquiète particulièrement les riverains. Ils craignent que l'envol de poussières toxiques les contaminent. Le BRGM valide toutefois les dispositifs prévus par Ginkgo durant les travaux. Humidification des sols, confinement par des tentes hermétiques, bâchage des camions... L'ARS estime de son côté que « le chantier ne représentera pas de risque sanitaire non acceptable ».
Dans la salle, une clameur laisse deviner le doute du public. Dominique Robin, le directeur d'Atmosud, organisme local de surveillance de l’air, estime lui-même « qu'il n'y aura pas zéro particule » d'ans l'air. Il rappelle « la météo complexe du site qui préconise une mesure du vent permanente ». Ce que promet Pascal Roudier. Il s'engage aussi à suspendre les travaux durant l'été. « On lui rappellera cet engagement », promet le maire de secteur, Pierre Benarroche.
Atmosud participera à la surveillance du chantier, comme le Bataillon des marins pompiers de Marseille, « avec son laboratoire mobile ». C'est ce qu'annonce l'adjointe municipale en charge de l'environnement et de la lutte contre les pollutions, Christine Juste. Elle précise que la Ville se fera accompagner par un bureau d'études pour mesurer l'impact environnemental et sanitaire des travaux.
Présenté comme le seul espoir pour enfin traiter la « verrue » polluée de la Madrague, Ginkgo devra toutefois composer avec une surveillance étroite des pouvoirs publics comme des riverains et associations. La concertation publique prévue en septembre 2022 devrait être l'occasion de le vérifier.
Ginkgo dans le radar après sa « boulette »
Car la confiance envers les bonnes pratiques du dépollueur a subi un revers récemment. Son origine : la démolition de deux bâtisses du côté de la traverse de la Marbrerie en avril. « Il y a eu un nuage de poussière dans le quartier », raconte cette habitante. « Ce n'était pas du bâti industriel », tente de rassurer Marie-Odile Khiat, directrice technique chez Ginkgo. « Il ne faut pas confondre poussière et toxicité ». Une affirmation contredite aussitôt par un riverain médecin.
Pour certains, cet événement met en exergue le sérieux du promoteur. « On peut en douter après cette boulette », juge Rolland Dadena. Pascal Roudier se défend en rappelant les « arrêtés de péril » qui frappaient ces bâtiments. Mais Mathilde Chaboche juge ces destructions « illicites ». L'adjointe à l'urbanisme précise « qu'un procès verbal est en cours de rédaction ».
Le maire des 6-8, Pierre Benarroche, saute aussi sur l'occasion pour resserrer la vis auprès du promoteur : « C'est un événement fondamental pour la suite et pour la confiance ». S'il espère « la réussite de ce projet », il prévient qu'il devra se faire « en toute transparence ».