Arts martiaux, voile, équitation et fitness. À Marseille, le Quadrathlon des femmes propose un accompagnement sportif aux victimes de violences pour leur permettre de se réconcilier avec leur corps et de retrouver le chemin de leur vie professionnelle.
« J’avais des craintes », se rappelle Marie-Noëlle, évoquant le moment où elle hésitait à participer à ce projet qui vise à accompagner, par le sport, des femmes victimes de violences. Des craintes « sur comment ça peut remuer des choses, confie-t-elle. Par exemple, les arts martiaux, avec le rapport de force ou les contacts, ça peut faire rejaillir des trucs très durs ».
Pourtant, « le sport me manquait. J’avais cessé toute activité physique depuis cinq ans », explique cette ancienne animatrice devenue psychomotricienne, pour qui « l’activité sportive a toujours été très importante. J’ai voulu retrouver la notion de plaisir corporel. Me reconnecter à mon corps ».
Elle a donc décidé de tenter l’expérience, proposée par Solidarité femmes 13, en partenariat avec Marseille solutions et l’UCPA : le Quadrathlon des femmes.
Quatre sports, deux objectifs
Tout part d’un double constat : « la sous-représentation des femmes dans le monde sportif et la nécessité de soin des blessures physiques et psychiques des femmes victimes de violences », explique Sophie Pioro, présidente de l’association Solidarité femmes 13.
L’association et ses partenaires proposent alors un cycle de 32 ateliers autour de quatre sports sur quatre saisons : voile, arts martiaux, équitation et fitness. Des stages complétés par des séances « inspiration professionnelle » autour de la discipline pratiquée : découverte d’un centre de formation, rencontre avec une sportive de haut niveau, témoignages des différents métiers.
Sur le papier, le projet séduit les partenaires publics et privés. Il reçoit le prix de l’Économie sociale et solidaire mention « Utilité Sociale » et est lauréat du Prix Coup de Cœur Les Défis AESIO Mutuelle. Il peut ainsi se concrétiser, en comptant notamment sur les financements de la Fondation de France, du ministère des Sports ou encore de la Préfecture des Bouches-du-Rhône.
« Sortir de notre zone de confort »
Mais de la théorie à la pratique, il y a un pas difficile à franchir car il y a des peurs et des angoisses à surmonter pour les 16 participantes. Le choix d’un art martial a été une épreuve pour Marie-Noëlle. « Même si la discipline choisie était le Yoseikan Budo, avec une philosophie très importante, plus axée sur la maîtrise de soi que sur le combat. J’ai testé mais ça restait trop violent pour moi, j’ai arrêté ».
Loin de le vivre comme un échec, « au contraire, c’était une expérience positive. Car j’ai posé les bases de ce que je ne voulais plus, mais que je n’arrivais plus à affirmer. Là j’ai affirmé mes besoins : des activités plus douces ».
La matinée dédiée à l’activité permet vraiment de ne plus penser à autre chose qu’à soi dans l’instant, a se déconnecter de ce que l’on peut vivre de compliqué dans le quotidienMarie-Noëlle
C’est en mer, avec le sport de voile, qu’elle a trouvé « l’envie de se dépasser ». D’autres aussi. Elle se remémore cette halte au large du Frioul, où sa co-équipière « qui ne savait pas nager » a fait le grand saut en eau profonde. « Équipée d’un gilet de sauvetage ! », nous rassure-t-elle.
« C’est un univers thérapeutique universel d’être sur l’eau. La confrontation aux éléments nous libère du cadre institutionnel et sociétal et nous sort de notre zone de confort ». Et sur un bateau « on est en équipe, il y a une solidarité naturelle et spontanée ».
Cap sur l’activité professionnelle
Des expériences et des sensations qui ont fini par décider Marie-Noëlle à en faire son métier. « J’entame mes formations en avril », lance-t-elle, égrenant les acronymes des diplômes qu’elle compte rapidement décrocher : « BACPN pour la conduite de petits navires, BPJEPS pour les animations voile, CRO pour les radiocommunications… » Et d’autres encore qui lui permettront d’animer des stages de voile « pour les publics précaires ou en situation de handicap ».
La professionnalisation est un axe majeur du projet Quadrathlon pour l’association Solidarité femmes 13, qui rappelle que les victimes de violences sont « souvent éloignées de l’emploi ». Et que le monde du sport compte très peu de professionnelles féminines, mais offre des débouchés « d’autant plus à l’approche des JO 2024 ».
Ces différentes expériences, peu importe les formes qu’elles prennent, nous plongent dans une précarité financière qui ne nous permet plus l’accès à une simple chose, comme faire du sport, le temps de se reconstruire, alors que c’est justement ce dont nous avons besoin Marie-Noëlle
Marie-Noëlle fait partie des nombreuses participantes qui ont repris le chemin vers l’emploi, grâce notamment à l’accompagnement social du dispositif. « Mais surtout, ces activités ont été un déclencheur pour se reprojeter, appuie-t-elle. J’ai perdu toute notion de projet après mon traumatisme ».
« Il faut continuer à semer ces graines »
« Ça faisait 10 ans que je cheminais », raconte-t-elle pour évoquer la période difficile à décrire qu’elle a vécu après son agression sexuelle. « Puis un jour, j’ai vu un panneau Solidarité femmes 13, j’y suis allée. C’était le moment »,.
« Il ne faut pas forcer les victimes à entrer dans un processus. Il y a plein de gens bien intentionnés qui veulent aider, mais c’est parfois contre-productif ».
Elle évoque la multiplication des dispositifs d’écoute, d’aide, d’accompagnement et la libération de la parole… « C’est énorme. Il faut continuer à semer ces graines qui permettent aux victimes de trouver leur chemin lorsqu’elles le décident ».
L’OM en soutien pour dupliquer le dispositif
Avec le succès de cette première promotion du Quadrathlon des femmes, les structures comptent « dupliquer le dispositif sur le territoire et en France », comme l’annonce Sophie Pioro, présidente de l’association Solidarité femmes 13. « On a déjà des contacts avec des villes intéressées dans le département, comme Istres, Martigues ou Aix-en-Provence ».
Côté partenaires, l’Olympique de Marseille a été séduit par le dispositif. Le propriétaire du club lui-même, Franck McCourt, a accueilli des participantes et des porteuses du projet au Vélodrome lors du dernier match ce dimanche.
« Il souhaite que l’OM s’investisse plus dans des projets sociétaux, dont le nôtre », explique Colombe Pigearias, pour Marseille Solutions. « Étant donné la forte composante sportive du Quadrathlon, nous pourrons aussi profiter des infrastructures et des expertises professionnelles des employés ». À jamais les premières.