La Ville de Toulon lance la mutation de la partie littorale de son centre-ville avec l’immense projet urbain « De Mayol à Pipady ». L’architecte Corinne Vezzoni a imaginé « Les promenades de la rade », sur le site d’un ancien chantier naval militaire. Nouvelle plage urbaine, palais des congrès, une grande halle marine… Elle nous dévoile le projet.
Un grand mur linéaire et barbelés de 300 mètres longent l’avenue des Tirailleurs Sénégalais sur la presqu’île de Mourillon, dans le centre de Toulon. Ils protègent la zone de construction navale militaire, ancien site de la DCNS, la direction des constructions navales, et s’impose comme un rempart à l’ouest de la petite péninsule. Il coupe l’accès ainsi que la vue sur l’impressionnante rade, en séparant la ville de la mer. Arrivant de l’Est de la presqu’île, le boulevard Grignan finit sa course contre la muraille.
Mais plus pour longtemps. Le terrain militaire va être rendu aux Toulonnais. Les deux rives de la presqu’île vont bientôt se reconnecter et le boulevard poursuivra sa trajectoire au-dessus de la mer, offrant enfin une promenade avec panorama sur la rade. Un changement de perspective important qui apparaît presque comme un détail dans le projet urbain titanesque engagé par la Ville de Toulon : « De Mayol à Pipady ».
Un chantier estimé à 150 millions d’euros pour aménager 40 000 m² de cette frange littorale entre 2024 et 2026. Deux concours d’envergure internationale ont attiré des « starchitectes » du monde entier. Comme Renzo Piano, à qui l’on doit le Centre Pompidou à Paris qu’il construisit avec Richard Rogers, lui-même candidat à Toulon, et lauréat du Prix Pritzker, le « Prix Nobel d’architecture ».
Vezzoni à la manœuvre
« On voit la dynamique urbanistique d’une ville au gabarit de ceux qui se présentent aux concours », estime Corinne Vezzoni. « Toulon est une ville en pleine effervescence, comme le furent Nantes et Bordeaux il y a quelques années » poursuit l’architecte marseillaise. C’est elle qui a été sélectionnée pour le premier des quatre lots, « Toulon Port 3.0 », sur l’ancien site de la DCNS.
Aux côtés de l’agence d’architecture Snohetta (Norvège), elle a dessiné le projet « Les promenades de la rade », porté par le groupement Eiffage, Icade Promotion et la Banque des territoires, prévoyant près de 59 000 m2 de constructions nouvelles.
Toulon est une ville en pleine effervescence, comme le furent Nantes et Bordeaux il y a quelques années.Corinne Vezzoni
Elle s’est déjà distinguée dans la ville, en imaginant l’écoquartier Chalucet. « Nous avions réactivé une veine de la carrière de pierres du Revest (sur les hauteurs de Toulon). Nous utiliserons ici encore cette pierre locale, adaptée à l’air marin. Il s’agit également d’harmonie avec les couleurs dominantes de la ville ».
Selon elle, « ce qui a fait gagner le projet, c’est que l’on construit peu, avec peu de logements prévus. Nous n’avons pas misé sur la rentabilité mais sur une vision d’ouverture à tous les Toulonnais. Avec des parcs, des équipements publics, des accès au littoral ».
Une nouvelle « plage urbaine » en bordure du futur parc arboré
À commencer par cette nouvelle « plage urbaine », la première à voir le jour de ce côté de la presqu’île, offrant une nouvelle perspective sur la rade. Ici, pas de sable, mais un espace de baignade « minéral », précise l’architecte, « l’armée avait demandé à conserver cet aspect ». Ce sont donc de larges gradins qui permettront d’accéder à la mer, de flâner au soleil « et d’accueillir du public pour des spectacles et des événements sur l’eau ».
La « promenade piétonne qui prolongera l’axe historique de Toulon (le boulevard Grignan) », traversera la plage et se poursuivra en passerelle au-dessus de la mer. Elle reliera le jardin Amiral Orosco, face au stade nautique du Port Marchand.
Au-dessus de la plage, le futur parc arboré de près de 20 000 m² verra le jour avec « des essences locales », ajoute Corinne Vezzoni. « Des plantes dont la taille réduira progressivement jusqu’à la mer pour raconter toutes les strates de la végétation méditerranéenne ».
Le hangar des hydravions réhabilité en grande Halle marine
Cet espace vert fera office de centralité aux sept bâtiments neufs qui pousseront autour. « Ils sont pensés en plots, et non longilignes. Avec des volumes très libres dans la géométrie, pour permettre différentes échappées visuelles vers l’horizon ou la mer. Et d’entrer dans le parc par tous les côtés ».
La grande Halle marine « est un édifice magnifique, de type Eiffel, avec des structures métalliques et de grandes verrières ».Corinne Vezzoni
Si certains vestiges industriels et navals du périmètre vont disparaître pour permettre ces constructions, l’ancien hangar des hydravions sera entièrement réhabilité pour devenir la grande Halle marine. « C’est un édifice magnifique, de type Eiffel, avec des structures métalliques et de grandes verrières ». Sans compter ses imposantes voûtes, soulignant le parti pris architectural de l’époque.
Avec la rénovation du bâtiment, dont l’enveloppe de béton doit être largement réduite, l’architecte souhaite « retrouver le fil de l’histoire du site. Rendre hommage à l’histoire de la marine. Avec un lieu d’activité, de culture, de loisirs, et de recherche aussi, tourné vers la mer ». Expositions, animations grand public, événements... Des aménagements seront notamment élaborés en partenariat avec la Cité des Sciences et de l’Industrie de Paris, précise la Ville de Toulon.
Un nouveau palais des congrès en bord de mer
Un autre projet sera tourné vers les activités événementielles : le nouveau palais des congrès. Il s’agira d’une construction neuve aménagée pour répondre aux attentes des professionnels et accueillir des rendez-vous internationaux en bord de mer. L’actuel palais des congrès, le palais Neptune, « sera orienté vers une stratégie universitaire et complètera l’offre étudiante en centre-ville », indique la mairie de Toulon.
« Une nouvelle vie se profile face à la mer », poursuit Corinne Vezzoni, égrenant les autres immeubles prévus dans le projet : un hôtel de prestige géré par le groupe Marriott « en proue sur la mer », dont les spas, thalassothérapie et restaurants en rez-de-chaussée « seront ouverts aux citadins ».
Pour le reste, des bâtiments de bureaux, de co-working… « et un peu de logements. On souhaite qu’ils soient surtout destinés aux marins et à leur vie nomade. Cela peut-être des appartements partagés, pensés pour l’intermittence, avec des petits locaux dédiés au stockage de leurs affaires personnelles lorsqu’ils sont en mer ».
L’eau sous toutes ses formes pour un projet qui se veut éco-responsable
Pour résumer le geste architectural de son projet, la Marseillaise répond : « l’eau. Sous toutes ses formes ». Douce, d’une part, avec la récolte des eaux de pluies pour alimenter les jardins. Elle sera également valorisée « à travers les nombreux bassins dans tout le parc pour le rafraîchir l’été ».
L’eau salée, d’autre part. « D’abord avec la réouverture d’un accès à la mer », la thalassothérapie et… la thalassothermie. En effet, le potentiel thermique de la Méditerranée est aujourd’hui une solution durable adoptée dans les nouveaux projets urbains, comme Euroméditerranée à Marseille.
En récupérant l’énergie calorifique marine, des boucles à eau de mer alimenteront les bâtiments en chaleur et en froid. L’écoresponsabilité du projet passera également par les matériaux locaux, comme la pierre de Revest. Elle sera mélangée au « laitier sidérurgique issu du recyclage industriel du côté de Fos-sur-mer, pour produire un béton « bas carbone ».
Toulon, « longtemps endormie, se réveille avec beaucoup d’énergie »
« L’écologie pour moi, c’est le bon sens », souligne l’architecte. « Je prône l’archaïsme. Il existe des solutions simples en prenant en compte le contexte ». Comme la courbe du soleil, en orientant judicieusement les bâtiments et en les « coiffant de casquettes. Pour les ombrager lorsque le soleil est haut en été, et le laisser pénétrer lorsqu’il est bas l’hiver ». Ou encore, la réduction maximale des couloirs intérieurs, et les dépenses énergétiques associées, en favorisant les circulations extérieures grâce à des immeubles aux multiples accès.
Corinne Vezzoni estime qu’une « culture architecturale éco-responsable méditerranéenne commence à réellement se développer avec des valeurs communes ». Toulon, « longtemps endormie, se réveille avec beaucoup d’énergie. Elle était un peu mise de côté entre Nice et Marseille, ces dernières années ».
Selon elle, le dialogue entre ces trois grandes villes de la région, en particulier urbanistique, « est encore trop faible. Mais ça bouge ! Les échanges s’intensifient, le partage de compétences, de savoir-faire… ». D’ailleurs, l’architecte « se félicite qu’un nouveau média cherche à créer du lien entre ces territoires ».