Alexandre Mazzia est une figure de la gastronomie marseillaise qui fait de plus en plus parler d’elle aujourd’hui. Dans son restaurant étoilé bien caché dans une petite rue du 8e arrondissement, il prône une cuisine à la fois créative et soucieuse de l’environnement. Reportage.  

Des grandes maisons par lesquelles il est passé – De Pierre Hermé du temps de « Chez Fauchon » au triple étoilé « Santi Santalaria » en Espagne – Alexandre Mazzia en a gardé la rigueur et le côté créatif digne des plus grands chefs. Installé à Marseille depuis 2009, c’est dans la deuxième ville de France, bercée par la Méditerranée qu’il affectionne tant, qu’il a choisi d’ouvrir son propre restaurant il y a bientôt deux ans.

Son concept est simple : une cuisine sur-mesure, une carte sans menu, des produits locaux et une gestion respectueuse de l’environnement. Un choix risqué qui a porté ses fruits très rapidement puisque le chef encore trentenaire a enchaîné les récompenses : le Trophée des Grands de Demain de Gault & Millau, le Gault & Millau d’Or Région Paca, le Prix du Créateur pour les 10 ans du Festival Word Omnivore Tour. Et même une première étoile au Guide Michelin un peu plus de six mois après l’ouverture, le classant parmi les six établissements marseillais à être parés du précieux sésame.

En 2017, le restaurant AM par Alexandre Mazzia a été classé 118e meilleure table d’Europe, par le site Opinionated about dining (OAD) et son classement annuel. Et 25e table en France ! Une belle récompense pour ce passionné… qui nous a confié sa surprise !

« Lorsque j’ai reçu cet appel lundi, ce fut une belle surprise. J’ai directement envoyé un message à mon équipe. Surtout que je venais de finir une interview avec le New-York Times pour une intronisation dans les 50 chefs les plus créatifs du monde pour la seconde fois, 2016 et maintenant 2017. Je pense que cela souligne la continuité de notre travail, qui va faire bientôt 3 ans le 17 juin. Nous avançons et évoluons de manière sereine. Grâce à mon équipe fidèle Marc Altenburger, Hafid Groud, Julien Claude qui travaillent depuis 8 ans à mes côtés. Et mon généreux et incroyable maitre d’hôtel Samuel Beatrix qui me suit depuis 4 ans maintenant. Nous sommes 14 salariés pour 24 couverts donc inutiles de préciser la minutie, l’exigence, la rigueur avec laquelle nous nous investissons. C’est aussi la récompense d’un travail d’orfèvre de nos maraîchers et producteurs comme Jean-Baptiste Anfosso, Xavier Alazard, Florent de TLM, Ramzi et Christophe nos légumiers ou encore Grégory Philippe notre cueilleur. Cette récompenses je la dois à mon équipe, mes producteurs, et surtout ma femme Anne. Quand à l’impact, ce n’est pas comme le guide rouge ou le téléphone a sonné plus 237 fois par jour (moyenne pendant plus d’un mois lors de l’annonce de notre étoile)? Par contre cela a un impact énorme comme visibilité à l’étranger. Elle permet comme ce midi de recevoir des Mexicains ou des Argentins. Beaucoup de journalistes étrangers nous ont sollicités cette semaine. Et d’autres vont nous rendre visite. Je suis très fier et heureux d’apporter une visibilité supplémentaire à la ville de Marseille. Il y a de beau exemple que j’admire comme le Petit Nice Passedat. Sans oublier Lionel Levy, Julien Diaz et Ludovic Turac, qui eux aussi font briller la ville. »


Alexandre Mazzia, Rencontre – Alexandre Mazzia, chef étoilé et figure montante de la gastronomie marseillaise, Made in Marseille Made in Marseille – Bonjour Alexandre. Vous êtes arrivé à Marseille à la fin de l’année 2009 après avoir travaillé dans le restaurant triplement étoilé de Martín Berasategui en Espagne. Pourquoi avoir choisi de venir à Marseille à ce moment-là ?

Alexandre Mazzia – Au départ c’était pour travailler au Corbusier. J’étais fan d’architecture et d’art contemporain et je voulais un lieu qui soit en marge de son agglomération et qui permettrait de n’avoir aucune contrainte environnementale. Aussi parce que c’est un phare et je me disais que j’allais pouvoir tirer mon épingle du jeu là-bas sans le poids de la tradition. À l’époque, j’avais eu plusieurs propositions et quand j’ai choisi Marseille on m’a dit : « Qu’est-ce que tu vas faire à Marseille et encore plus dans cet immeuble ? ». Mais j’ai suivi mon intuition car je marche toujours au feeling et à l’instinct.

MIM – Quelle est la première impression que vous avez eu de Marseille en arrivant ?

AM – Je me suis dit que c’était une ville avec un énorme potentiel et que ce serait un jour, dans cinq ou dix ans, la Barcelone plus moderne. Ce qui m’a toujours plu à Marseille, et qui m’anime toujours aujourd’hui, c’est la mer et cette luminosité partout dans la ville. C’est aussi le contraste entre l’urbanisation et le côté nature : on est en ville et en seulement 20 minutes on se retrouve en pleine nature en corrélation avec la mer où on peut aller s’oxygéner et se rafraîchir l’esprit.

MIM – Après un peu plus de trois ans au Corbusier, vous avez passé quelques mois à travailler, voyager, échanger avec d’autres chefs à l’étranger avant d’ouvrir votre restaurant « AM par Alexandre Mazzia » en juin 2014. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette aventure ?

AM – Partir à l’étranger et rencontrer d’autres chefs d’univers différents m’a permis de prendre du recul et de réfléchir à ce que je voulais faire mais surtout faire une synthèse de ce que j’avais déjà fait et accompli. Cela faisait déjà pas mal de temps que je voulais avoir les mains libres, mais surtout l’esprit tranquille. Je me suis rendu compte que partout où je travaillais, il y avait toujours des contraintes trop lourdes pour pouvoir malheureusement être en adéquation avec mon univers. La seule alternative à un moment donné était d’ouvrir son propre lieu et ça s’est passé comme ça.

Alexandre Mazzia, Rencontre – Alexandre Mazzia, chef étoilé et figure montante de la gastronomie marseillaise, Made in Marseille
Le restaurant d’Alexandre Mazzia situé dans le quartier du Prado (8ème).

MIM – Pourquoi avoir choisi de monter ce restaurant à Marseille ?

AM – Car j’avais commencé une histoire à Marseille dans un restaurant qui ne m’appartenait pas et je voulais continuer à la créer ici. J’avais mes pêcheurs, mes maraîchers et une proximité avec beaucoup de monde. Tout cela compte car l’humain est indissociable de ce que je fais et nourrit mon âme. Et puis j’ai besoin de voir la mer ! En fait c’était simplement logique, je ne me suis même pas posé la question à ce moment-là.

« Je ne voulais pas m’installer en centre-ville […] Je voulais me trouver dans un endroit qu’on vienne chercher. Et puis je voulais être proche de la mer aussi. »

MIM – Étonnamment, vous vous êtes installé dans une petite rue du quartier du Prado et non en centre-ville…

AM – Ca a été fait sciemment ! Je voulais un endroit éloigné du milieu urbain où il y a trop de flux, de voitures, de camions, de klaxon. Je ne voulais pas m’installer en centre-ville aussi parce que j’allais forcément me retrouver face à des gens qui seraient rentrés par hasard dans mon restaurant et qui ne connaîtraient pas mon histoire. Au contraire je voulais me trouver dans un endroit qu’on vienne chercher. Et puis je voulais être proche de la mer aussi.

MIM – Côté fourneaux, vous avez fait le choix d’une cuisine au gré des saisons avec des produits issus à 80% des alentours de Marseille et des fruits et légumes qui viennent d’un maraîcher qui travaille en permaculture. Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler de cette façon ?

AM – C’est la suite logique qui s’est faite dans le temps au fur et mesure des années de manière naturelle. Ce ne sont même plus les produits de saison que je travaille, ce sont les produits du moment ! Je ne passe aucune commande, ce sont tous mes producteurs et maraîchers des alentours de Marseille qui m’amènent ce qu’ils ont. C’est plus que locavore ou de l’hyper local et ça me paraît logique car de cette façon on est plus proche des produits, de leur environnement et des gens.

Alexandre Mazzia, Rencontre – Alexandre Mazzia, chef étoilé et figure montante de la gastronomie marseillaise, Made in Marseille
Alexandre Mazzia et Jean-Baptiste Anfosso, producteur qui travaille en permaculture.

MIM – De plus en plus de restaurateurs font le choix de se fournir auprès de producteurs locaux et de proposer une carte plus restreinte et qui évolue avec les saisons. Est-ce parce que ce mode de fonctionnement est plus facile à mettre en place au quotidien pour un restaurateur ou par souci du « bien manger » des clients ? 

AM – À un moment donné lorsqu’on est restaurateur, on se doit d’avoir une traçabilité et de montrer notre patrimoine local. Ce qui m’intéresse personnellement est de faire découvrir à notre clientèle tout ce dont regorge notre territoire. Ça ne m’intéresse pas de faire venir des produits d’ailleurs. Il faut attendre les saisons et la vie et quand on fonctionne comme ça, on est comme des enfants dans un magasin de jouets. Beaucoup de nos clients sont subjugués quand on leur explique d’où viennent les produits et c’est formidable.

« Ce qui m’intéresse personnellement est de faire découvrir à notre clientèle tout ce dont regorge notre territoire. »

MIM – Vous avez vous-même déclaré que pour sublimer un plat, il faut qu’il y ait un sentiment, celui de l’enfance. Vous êtes né au Congo et vous avez grandi en Afrique. Comment arrivez-vous à intégrer dans votre cuisine les produits de votre enfance tout en respectant le fait de se fournir en produits locaux ?

AM – Certains de ces produits-là, je les prends à Noailles car il y a des éléments que je ne peux pas obtenir localement. Mais, il y en a très peu et certains ne viennent pas de si loin contrairement à ce que l’on pourrait penser : on a déjà eu de la papaye verte près de Menton ou de la Mangue de Berre l’Étang par exemple. J’ai parfois envie de les cuisiner car je fais ce que je suis et tout cela fait partie de mon patrimoine et de mon ADN. On ne peut pas refouler ce que l’on est ! Mais cela reste des condiments et très peu des choses que l’on cuisine ne vient pas d’ici.

MIM – L’une des particularités de votre restaurant est qu’il n’y a pas de menu à votre carte, seulement les prix, ce qui est plutôt étonnant…

AM – C’est une liberté totale en termes de création et qui raye complètement la rébarbativité que l’on peut trouver dans nos métiers. Le fait de n’avoir que des menus dégustation nous permet de composer au fil des arrivages et au fil de l’eau et donc d’avoir les meilleurs produits au meilleur moment. Il arrive que certaines tables n’aient pas les mêmes plats et même certaines personnes de la même table. On sert aux clients des plats en fonction de leur régime alimentaire et ce qui est curieux, c’est que parfois certaines personnes veulent goûter des choses qu’ils n’ont pas mangées depuis des années.

Alexandre Mazzia, Rencontre – Alexandre Mazzia, chef étoilé et figure montante de la gastronomie marseillaise, Made in Marseille
La carte du restaurant d’Alexandre Mazzia aucun menu. Les clients se laissent guider par le chef © DR

MIM – Votre engagement écologique que le client peut trouver dans son assiette se retrouve-t-il aussi derrière en cuisine, notamment dans votre gestion des déchets, et dans la gestion globale de votre restaurant ?  

AM – C’est indéniable ! On ne jette rien, on récupère tout, on transforme… C’est logique et normal. Par exemple ça nous arrive de faire un bouillon avec les peaux de pommes de terre. On ne le sert pas aux clients, mais cela peut accompagner des gnocchis pour le personnel car le personnel mange les produits que l’on travaille au quotidien. Mais on ne se prend pas non plus la tête à vouloir tout transformer absolument ! Concernant les déchets, nous avons un compost que l’on donne deux fois par semaine à notre producteur Jean-Baptiste Anfosso qui travaille en permaculture.

« Aujourd’hui ,je considère Marseille comme ma ville : j’aime les gens qui sont ici, leur état d’esprit, leur accent qui me fait rigoler. J’aime cette ville, elle est vivante et inspirante. »

MIM – Très rapidement après l’ouverture de votre restaurant, vous avez obtenu de nombreux et très beaux prix tels que le Trophée des Grands de Demain de Gault & Millau et une étoile au Guide Michelin pour ne citer qu’eux. Après toutes ces récompenses, avez-vous pour projet de rester à Marseille ou d’aller conquérir les plus grandes villes du monde ?

AM – Pour les récompenses je le prends avec beaucoup de recul. Je ne suis pas seul dans l’aventure et je suis fier et heureux pour mes collaborateurs qui me suivent depuis nombres d’années et qui m’ont fait confiance dans ce pari un peu fou. Pour l’instant, partir ne fait pas partie de mes projets car si j’avais voulu travailler à Paris ou à l’étranger par exemple, je l’aurais fait dès le départ.

MIM – Quelle suite comptez-vous créer à Marseille ?

AM – Mon souhait est d’aller plus loin dans l’histoire que l’on raconte au quotidien et de voir jusqu’où on peut aller avec les moyens que l’on se donne. J’ai créé ce que je suis, et savoir que l’on participe au rayonnement de la ville nous aussi est extraordinaire. Aujourd’hui ,je considère Marseille comme ma ville : j’aime les gens qui sont ici, leur état d’esprit, leur accent qui me fait rigoler. J’aime cette ville, elle est vivante et inspirante.

Interview réalisée le 26 avril 2016, mise à jour le 23 mai 2017


AM par Alexandre Mazzia
9 rue Francois Rocca, 13008 Marseille
Ouvert du mardi au samedi pour le déjeuner et le dîner

Par Agathe Perrier

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