S’il y a un sujet sensible à Marseille depuis plusieurs décennies, c’est bien celui du rejet polluant des « Boues Rouges » dans le parc national des Calanques, un site naturel magnifique et toute une région menacés par l’activité industrielle.

Made in Marseille fait un point sur la situation et démêle pour vous le contexte actuel, alors que Marine Le Pen était aujourd’hui en visite à Gardanne pour rencontrer les ouvriers de l’usine, mais qu’elle a trouvé porte close. Les représentants du Front National n’auraient, selon l’AFP, pas penser à prévenir l’usine de sa venue. L’usine suit un protocole strict et n’ouvre pas ses portes le weekend, sur les centaines d’ouvriers présents en semaine, ils sont seulement une trentaine à travailler le weekend. Un responsable de l’usine présent sur place ce matin aurait expliqué à une journaliste de LCI le problème d’organisation. Elle a tout de même profiter de son passage de quelques minutes à Gardanne pour expliquer qu’elle voulait réduire le délai de 6 ans accordé pour trouver une alternative aux rejets, sans en donner de détail.

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Le contexte : c’est quoi les Boues Rouges ?

Les Boues Rouges sont un rejet toxique d’alumine extraite depuis 50 ans dans l’usine Alteo située à Gardanne, qui sert à fabriquer de l’aluminium. Et pour son activité, comme c’est le cas pour la plupart des usines, Alteo rejette des déchets nocifs dans la nature. Sauf que depuis 1976, l’usine s’est engagée à ne plus rejeter de particules polluantes à partir du 31 décembre 2015. Il faut savoir que l’usine ne rejette plus de boues rouges solides à proprement parler depuis quelques mois. Elle rejette un effluent liquide, un résidu polluant qui reste néanmoins plus fort que le taux de pollution autorisé et qui gangrène nos fonds marins. En tout, depuis cinquante ans, plus de 20 millions de tonnes de boues rouges ont été déversées en Méditerranée, à sept kilomètres des côtes.

boues rouges, [Analyse] Quel avenir pour les rejets de polluants d’Altéo dans la Méditerranée ?, Made in Marseille
L’usine Altéo de Gardanne

Fin décembre 2015, la deadline du gouvernement a été officiellement repoussée de 6 ans par le Préfet de la région PACA, laissant ainsi à l’usine et ses ouvriers jusqu’au 31 décembre 2021 pour trouver une issue positive à la situation.

« Stéphane Bouillon, préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, préfet des Bouches-du-Rhône, a signé le lundi 28 décembre 2015 un arrêté autorisant la société Altéo à continuer à exploiter à compter du 1er janvier 2016 ses usines sur le site de Gardanne et autorisant, pour une durée de six ans, le rejet dans la mer d’effluents aqueux dépassant les limites réglementaires« , avait annoncé le 29 décembre 2015 la Préfecture dans un communiqué.

Quel est l’enjeu ? Emploi contre environnement ou environnement local contre environnement global

Fabriquer des écrans pour portables et tablettes

La production d’alumine est une industrie très porteuse, en effet elle permet de fabriquer des écrans, notamment pour les téléphones portables, les tablettes et les télévisions. Cette industrie est donc inévitable dans notre société moderne. Et c’est là tout le problème, car si cette industrie arrêtait sa production en Provence, et que la fermeture immédiate était imposée, Alteo irait probablement polluer ailleurs, dans des pays où la réglementation environnementale n’est pas très restrictive.

Au final, le risque encouru serait de perdre 700 emplois et que l’usine continue à polluer la planète, mais depuis l’étranger et qu’on ne puisse plus rien contrôler. C’est la thèse partagée par le Président François Hollande et son Premier Ministre de l’époque Manuel Valls, ainsi que par le parti Les Républicains et le Parti de Gauche.

« C’est néanmoins une première victoire dans la recherche d’une industrie locale, respectueuse des écosystèmes et nécessaire. (…) Notre dépendance à l’alumine ne nous permet pas de nous en passer à court terme : matériaux réfractaires, ignifugation, chimie, verre, écrans, céramiques, matières premières, sols stratifiés, … Ne plus produire d’alumine ici, c’est produire ailleurs, dans des pays aux contraintes environnementales et sociales plus faibles » explique le Parti de Gauche des Bouches du Rhône (PG13) sur son site officiel.

Côté solution, le PG13 propose « La réponse passe par un contrôle populaire et scientifique de la mise en conformité de l’usine vis-à-vis des réglementations environnementales et d’un maintien de l’activité industrielle à Gardanne« .

Un comité de contrôle très exigeant pour ne pas répéter les erreurs du passé, c’est le choix fait par le Président du Parc National des Calanques, Didier Réault (LR), que nous avons interviewé (voir en bas de l’article) et par le Gouvernement.

Des efforts plus ou moins soutenus pour arrêter la pollution ?

Selon les scientifiques et chercheurs de la région qui ont rendu leur rapport ici, Alteo aurait tout fait pour trouver une solution, en vain. L’usine n’arrive pas à rejeter sans polluer. Voilà pourquoi, toujours selon les résultats de ces recherches, le gouvernement aurait décidé d’accorder un délai supplémentaire de 6 années.

Un avis que ne partagent pas les élus d’Europe Ecologie Les Verts. Sophie Camard (EELV), que nous avons interviewé pense qu’Alteo n’a pas fait les efforts nécessaires et demandés depuis des années pour trouver une solution à ce rejet. Elle pointe d’ailleurs du doigt la « dangerosité des poussières qui émanent de l’usine et polluent directement les communes alentours et dénonce l’absence de bâches pour couvrir ces poussières, une aberration » selon la candidate aux dernières élections régionales. Elle ne souhaite cependant « pas une fermeture de l’usine mais que des mesures soient prises le plus rapidement possible pour stopper cette pollution extrêmement grave pour la biodiversité méditerranéenne et la santé publique. »

Alteo, l’un des plus gros employeurs de la région marseillaise

Côté économie, l’usine est un moteur régional. Elle emploie entre 600 et 700 personnes et elle est l’un des principaux partenaires du Grand Port Maritime de Marseille. L’enjeu est donc très lourd. Et, le plus compliqué dans cette affaire, c’est bien de comprendre qu’à l’issue de ces six années supplémentaires, les scientifiques ne sont pas certains de pouvoir trouver une solution pérenne et environnementale pour les Calanques et le littoral provençal, qui génèrent encore plus d’emplois que l’usine et sont indispensables à l’économie locale.

Une thèse aussi reprise par Sea Shepherd publiquement « Les opposants aux rejets toxiques dans la Parc National des Calanques sont également accusés par Alteo de mettre en danger l’emploi de salariés de l’usine Gardanne. C’est oublier un peu vite que la date limite du 31 décembre 2015 était connue depuis des années par les dirigeants et actionnaires d’Alteo. Qu’a fait Alteo pendant ce temps si ce n’est gagner du temps et économiser sur les solutions techniques? Ce serait également oublier l’emploi des personnes qui vivent sur le littoral, la santé des riverains et des saisonniers dans le Parc des Calanques et celui des professionnels de la mer qui vivent de la Méditerranée ».

Le site des Calanques

Qui dit quoi ?

Les dernières déclarations publiques faites sur le sujet datent du gouvernement Valls en 2016.

Ségolène Royal était à Marseille 21 mars 2016 et nous donnait son avis sur l’arbitrage autour du rejet des polluants dans la Méditerranée par l’usine Alteo à Gardanne.

Manuel Valls, alors Premier Ministre, était pour cette décision du Préfet PACA qui permet de mettre tous les moyens en oeuvre pour trouver une solution écologique à ces rejets et pérenniser les quelques 700 emplois directs générés.

boues rouges, [Analyse] Quel avenir pour les rejets de polluants d’Altéo dans la Méditerranée ?, Made in Marseille
Un squale péché à l’été 2015 près de la zone de rejet © Gérard Carrodano

Christian Estrosi, président (LR) de la région PACA qui est compétente en matière de préservation de l’environnement, s’était montré mitigé et s’était engagé à rencontrer tous les acteurs concernés, le 3 mars 2016 sur I-Télé : « Il y a toujours la difficulté entre emploi et protection de l’environnement. Je prendrais des mesures justes et équitables (…) Si je dois aller à l’encontre de la décision du préfet, je le ferai. Parce que, nous ne pouvons pas dire tous les jours que nous avons à protéger notre biodiversité, que nous avons tous les jours à lutter contre le réchauffement climatique (…) et en même temps ne pas nous soucier prioritairement de ce sujet ». 

Visionner à partir de la 44e minute.

boues rouges, [Analyse] Quel avenir pour les rejets de polluants d’Altéo dans la Méditerranée ?, Made in Marseille De son côté, Didier Réault, adjoint à la mer au maire de Marseille et Président du Parc National des Calanques se positionne en faveur de la décision du Préfet de prolonger l’ouverture du site de 6 ans, qui selon lui est la plus raisonnable pour permettre à Alteo de trouver une alternative non polluante à ses rejets. Mais, il met en garde l’usine qu’à l’issue des 6 ans, aucun délai supplémentaire ne sera accordé. Extraits de conversation.

« Je ne suis ni satisfait ni mécontent, je prends acte de la décision de l’Etat à travers les déclarations du Préfet. Je note parallèlement que la position de l’Etat va dans le sens de la décision votée par le parc national des Calanques il y a un an et demi. (Ndlr : Le 8 septembre, le parc avait voté la prolongation de trente ans pour la dérogation accordée à l’usine d’alumine Alteo, Le Monde).

« Concernant les propos de Christian Estrosi sur I-Télé, je dirais qu’il est dans son rôle. Il a dit qu’il allait rencontrer tous les acteurs du dossier, donc je pense que j’aurais l’occasion de le rencontrer. On verra ce que ça donne. Il faut savoir que l’Etat n’a pas agi pendant 50 ans sur ce dossier. Il faut maintenant se dire que l’on a 6 ans pour mettre Altéo en conformité avec la loi. C’est ce que pense le parc national. Mais, si monsieur Estrosi veut aller plus vite et plus fort, on prend tous les renforts possibles pour que cette situation s’arrête le plus vite possible. Si c’est avant 6 ans, tant mieux ».

En ce qui concerne la pétition (cf ci-dessous) et le mécontentement des Marseillais, Didier Réault estime que si les habitants ont un avis aussi tranché sur la question : « C’est notamment parce qu’ils n’ont pas les bons outils en main ». Selon l’élu, « Si on élargit le débat, le Rhône rejette des polluants, les stations d’épuration également, même s’ils sont conformes aux normes européennes. Alors bien sur, là c’est un peu différent, on est dans un Parc National et on dépasse les seuils autorisés. C’est plus compliqué et je ne me réjouis pas de cette situation, au contraire. Mais, si on avait pris la décision de fermer l’usine et de mettre 700 personnes au chômage, une autre grande partie de la population se serait élevée contre nous. Cependant, les gens doivent maintenant comprendre que c’est la dernière chance d’Altéo et que pendant ces six années, nous allons tout mettre en oeuvre pour surveiller de très près ses recherches et actions. Nous mettrons en place dès le mois de février un comité de surveillance de l’usine pour accompagner cette démarche. J’y veillerai personnellement ».

« Je voudrais juste faire un parallèle avec la Cop21. Tout le monde nous a dit que c’était un accord merveilleux, mais les premières mesures auront lieu en 2020 et le premier bilan en 2025. Et la Chine ou les pays émergents ont même obtenu un délai supplémentaire pour prendre des mesures. Pourtant, bien avant, on avait signé Kyoto, Johannesbourg, etc. Et personne n’a avancé aussi vite que c’était prévu. C’est un peu pareil pour les boues rouges. L’Etat a laissé trainer ce dossier trop longtemps, et maintenant qu’on a les moyens de trouver une solution technologique pour l’environnement, il est important de laisser un court délai supplémentaire ».

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