L’émergence de l’intelligence artificielle (IA) bouscule notre manière d’apprendre et de travailler et ouvre de nouvelles perspectives dans des domaines aussi variés que l’éducation, la santé ou l’artisanat. À Marseille, étudiants, formateurs, entrepreneurs et chercheurs s’en emparent.
L’IA s’impose aujourd’hui comme une force de transformation majeure dans presque tous les secteurs d’activité. Alors que le monde du travail est en train de vivre une grande mutation, cette révolution technologique inquiète. Quel rôle les humains auront-ils encore à jouer demain face à des machines toujours plus performantes qui semblent capables de les remplacer ?
« Je ne crois pas à la destruction massive d’emplois, tient à rassurer d’emblée Joël Gombin, coordinateur du Lab IA à l’école marseillaise de La Plateforme. L’IA peut se substituer à des tâches mais pas à des métiers. La question qu’il faut se poser, c’est : qu’est-ce qui devient possible si certaines tâches peuvent être réalisées plus vite, mieux et à moindre coût ? Il n’y aura par exemple pas moins de développeurs. Beaucoup de projets informatiques restaient dans les placards par manque de temps et de moyens. Avec l’IA, les entreprises vont pouvoir mettre en œuvre davantage de projets ».
Le conseiller en data entrevoit aussi de nouvelles opportunités pour le monde de l’éducation. « On est contraint pour l’instant d’avoir un modèle de masse qui ne convient pas à tous les jeunes, pointe-t-il. Demain l’IA pourra transformer le système en aidant les enseignants à accompagner individuellement les enfants. Ça ne supprimera pas des postes mais les professeurs auront à leur disposition des outils puissants leur permettant d’avoir une approche personnalisée ».
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Quand les artisans s’emparent de l’IA
L’essor des technologies intelligentes modifie aussi les pratiques dans l’artisanat. Marguerite Leenhardt, à la tête du riality Lab, lancé par la CCI métropolitaine Aix-Marseille-Provence, le constate dans le cadre de son accompagnement des entreprises. « Quand la liste des aliments allergènes est mise à jour dans une boulangerie, on n’a plus besoin de reprendre chaque étiquette séparément. On peut demander à l’IA de tout synchroniser automatiquement. Quant aux chocolateries, elles n’hésitent plus à faire appel à l’IA pour co-créer de nouvelles recettes ».
Ces usages, on va les retrouver aussi de plus en plus « chez les menuisiers, les électriciens, prédit-elle. Ils vont pouvoir utiliser avec l’IA l’analyse d’image pour avoir une prise de mesure automatique ou un plan détaillé d’un raccordement à faire. Ce sont des choses qui peuvent déjà se faire aujourd’hui mais qui vont se démocratiser ».
Si l’IA ouvre de nombreuses perspectives, la menace se fait plus pressante pour certains secteurs d’activité. Comme celui de la production de contenus. « Le community management est très impacté, alerte Marguerite Leenhardt. Il y a de moins en moins de gens payés en sous-traitance pour animer les réseaux sociaux car ça s’automatise extrêmement bien ».
Les chocolateries n’hésitent plus à faire appel à l’IA pour co-créer de nouvelles recettes.Marguerite Leenhardt, riality Lab de la CCIAMP
En quelques années, la traduction automatique, dopée par l’IA, a également fait un bond spectaculaire. Au point que beaucoup de professionnels s’interrogent : les traducteurs humains vont-ils devenir obsolètes ? « C’est un métier qui est en transition, décrypte la responsable du riality Lab. Les entreprises font appel aux traducteurs non plus pour faire le travail complet mais pour passer en revue celui réalisé par l’IA ». Le gain de productivité est incontestable mais la baisse des tarifs et la perte de contrats se font ressentir.
« Les questions comme celles-ci vont se multiplier, anticipe Joël Gombin, car l’IA rabat les cartes en termes de production culturelle et économique. Il faudra peut-être imaginer une taxe sur les traductions automatiques pour abonder un fonds de soutien à la traduction humaine, de la même manière qu’on a dans le cinéma des aides à la production d‘œuvres audiovisuelles ». Il voit cependant dans ces évolutions l’opportunité de rendre l’interprétariat accessible au plus grand nombre. « Demain, tout le monde aura droit à son traducteur personnel en permanence ».
Une opportunité de montée en compétence
Alors qu’une nouvelle génération d’étudiants s’apprête à débarquer sur le marché du travail, l’avènement de l’intelligence artificielle est-il pour elle une menace ou une opportunité ? « Sans doute les deux, estime Marguerite Leenhardt. Certaines boîtes préfèrent aujourd’hui mettre un ticket dans l’IA plutôt que de recruter un stagiaire ou un apprenti car ce sont les tâches qui leur étaient habituellement confiées qui s’automatisent le plus facilement . Il n’y a pas de prime non plus à la jeunesse dans un monde régi par l’IA. « Ce n’est pas parce que tu passes ta journée sur Candy Crush que ça fait de toi un expert en programmation, tient-elle à démystifier. C’est la même chose avec l’IA. Ce n’est pas parce que tu utilises abondamment ChatGPT que tu sais comment les grands modèles de langage fonctionnent ».
L’intelligence artificielle représente néanmoins une opportunité de montée en compétence pour les nouveaux étudiants. « La plupart des chatbots ont des fonctions apprentissage pré-programmées, explique Joël Gombin. On peut leur demander de se comporter non pas comme un stagiaire qui ferait le travail à notre place mais comme un tuteur qui nous aide à progresser. Les outils de génération automatique de codes ont par exemple fait des progrès fantastiques mais c’est important pour les jeunes développeurs de ne pas les utiliser de manière passive s’ils veulent se former ». L’IA est aussi un “outil d’encapacitation” pour les futurs entrepreneurs. « Quelqu’un qui veut lancer sa boîte peut être assisté dans tout ce qu’il ne sait pas faire, comme la mise en place d’un plan marketing. C’est un démultiplicateur de possibilités », estime le spécialiste de La Plateforme.
Démocratiser l’utilisation de ces nouvelles technologies, c’est la mission du Plan national “Osez l’IA”, dont Marguerite Leenhardt est l’une des ambassadrices. « On propose des accompagnements gratuits, précise-t-elle. Il y a des formations pour les jeunes, les collaborateurs d’entreprises, les agents publics. La montée en compétence est générale ».
Un écosystème marseillais “hyper pointu”
La cité phocéenne offre aussi de belles opportunités à ceux qui souhaitent se spécialiser dans le développement de l’intelligence artificielle. « À Marseille, on a un chouette écosystème recherche-innovation avec des technologies hyper pointues dans le domaine de la robotique », souligne la spécialiste. Elle rappelle que le « langage de programmation logique, communément appelé ‘Prolog’, a été créé par les ingénieurs Alain Colmerauer et Philippe Roussel dans les labos de recherche de Luminy ». Une innovation fondatrice.
Aujourd’hui, plusieurs start-up marseillaises repoussent à leur tour les frontières de l’IA. À l’image de Volta Medical qui développe des logiciels d’aide à la décision pour les chirurgiens. Ou encore Rofim, qui propose une plateforme de télémédecine collaborative dédiée aux professionnels de santé.
Mais jusqu’où l’IA ira-t–elle ? « On n’est qu’aux prémices de ses conséquences pour notre société, prophétise Joël Gombin. C’est très difficile d’anticiper ce qui nous attend. C’est un peu comme si on discutait de l’impact du web en 1993 alors qu’en 2025 on est encore en train de digérer son développement et celui des smartphones. Ce sont des déflagrations qui durent sur des décennies ».