La cité phocéenne est devenue le 6e hub numérique mondial en seulement 10 ans. Des infrastructures à la formation, les acteurs locaux de la tech s’activent en sous-marin pour créer un écosystème favorable au développement de la filière de la donnée. Même si le chemin reste encore long.

Cet article a été publié à l’occasion de la sortie de notre magazine Made in Marseille « spécial 10 ans », à feuilleter en intégralité ci-dessous dans sa version numérique.

Sur le port de Marseille, MRS3 lézarde dans sa robe rouge. Le data center, construit sur une ancienne base allemande de sous-marins pendant la Seconde guerre mondiale, assiste aux va-et-vient des bateaux de croisière qui déversent des flots de voyageurs venus des quatre coins de la Méditerranée.

Cette mer de touristes en surface est aussi un océan de données numériques : 18 câbles sous-marins connectent aujourd’hui Marseille à 5 milliards d’utilisateurs dans 57 pays. Si bien que la ville est devenue le 6e hub mondial du numérique en seulement 10 ans. « Et dites-vous bien que la géographie a tout fait pour nous », aime rappeler Jean-Luc Chauvin, président de la CCI métropolitaine Aix-Marseille-Provence.

La cité phocéenne, située à la croisée de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, est un chemin naturel pour le numérique. Sa position stratégique est aussi un atout économique. « Marseille est connectée à la vallée du Rhône, ce qui permet aux opérateurs de contourner la montagne pour remonter jusqu’au nord de l’Europe », précise Laurent Lhardit, député et conseiller municipal à l’économie.

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Pose de câbles sous-marins au large de Marseille © Orange

Marseille connecte l’Europe et le monde

L’affluence des câbles sous-marins a fait émerger de grands bâtiments sécurisés pour stocker la donnée : les data centers. Pour transiter d’un pays à un autre, les données font escale dans ces infrastructures avant de repartir plus loin. Leur modèle est calqué sur celui de la logistique. « Nous agissons comme un aéroport », illustre Fabrice Coquio, directeur général de Digital Realty France.

Le leader américain du secteur, coté à la Bourse de New-York, a mis le grappin sur Marseille en 2014. Sa première acquisition s’est portée sur le centre de données historique de SFR, rebaptisé MRS1. Puis MRS2, MRS3 et MRS4 ont successivement fleuri sur le littoral, remplaçant les entrepôts portuaires.

Ces quatre bâtiments regroupent aujourd’hui 25 000 m2 de salles informatiques occupées à 82% par des clients étrangers. « Cela équivaut à cinq terrains de foot, souligne Fabrice Coquio. Cela peut paraître beaucoup. Mais, pour être le premier hub mondial, Francfort possède un million de mètres carrés ». Soit 40 fois plus de surface que Marseille. En revanche, « nous sommes le hub le plus efficace du monde », résume le dirigeant.

L’appétit du groupe, qui détient 99% du marché marseillais, ne s’arrête pas là. Les six prochains câbles attendus d’ici 2030 le poussent à anticiper la croissance exponentielle des données. Le géant prévoit ainsi l’ouverture de MRS5 sur l’ancien silo à sucre du port en 2026. Sa surface doublera par rapport à celle de ses voisins pour atteindre 12 000 m2.

Un écosystème local en construction

Lors de son arrivée en 2020, la nouvelle municipalité a mis un coup de frein au développement tous azimuts de ces infrastructures. Au lieu de gigantesques fermes, la mairie lui préfère des centres plus confidentiels à l’instar de Free Pro et Phocea DC.

Ces deux bâtiments ciblent des clients français et locaux, comme l’armateur CMA CGM qui investit dans le numérique. Le mastodonte du transport maritime a débloqué 100 millions d’euros pour son partenariat avec la licorne française Mistral AI, afin de transformer ses activités avec l’intelligence artificielle.

En novembre prochain, l’école 42 s’installera dans ses nouveaux locaux du centre-ville, au Grand Central. Cette célèbre formation au codage informatique fondée par Xavier Niel, rejoindra une autre école du milliardaire, Albert School, pour bénéficier d’un écosystème qui mijote à feu doux depuis des années. « Nous avons construit une coordination entre entrepreneurs sur le sujet de la connaissance », affirme Kévin Polizzi, patron d’Unitel Group.

L’entrepreneur cite Dev-Id, l’école de conception d’applications web et mobile de l’Épopée, ou encore La Plateforme, grande école du numérique qui intégrera son campus géant en 2026, à quelques pas du futur pôle d’intelligence artificielle Theodora. « Nous avons toutes les étapes clés du cycle de formation », se réjouit le patron. Sans oublier les cursus publics d’Aix-Marseille Université, notamment l’école d’ingénieurs Polytech.

Mais « il reste des progrès à faire pour attirer d’autres écoles d’ingénieurs », admet Denis Planat, directeur général de Free Pro. « Plus il y aura d’écoles différentes, plus les entreprises souhaiteront s’implanter ici », insiste de son côté Cyril Zimmermann, fondateur de La Plateforme.

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Fabrice Coquio, directeur de Digital Realty France.

Se servir du modèle de la Silicon Valley

Même son de cloche du côté de Fabrice Coquio qui appelle de ses vœux la concurrence. « Marseille est devenue tellement stratégique que mes clients ont besoin de diversité. Ils ne peuvent pas mettre tous leurs œufs dans le même panier ». Les entreprises achètent en effet plusieurs espaces dans différents centres de données pour se protéger des cyberattaques.

« C’est la même logique que la Silicon Valley. L’offre doit être visible et plurielle », observe Cyril Zimmermann qui a longtemps travaillé avec les États-Unis. Dans cette zone prospère de la Californie, où Apple, Meta et Google siègent, la renommée universitaire de Stanford et Berkeley attire toujours les étudiants du monde entier.

« À Marseille, nous avons aussi les infrastructures, les écoles… Maintenant, il nous manque les entreprises », reprend le dirigeant. La French Tech, labellisée en 2014 à Aix-Marseille, fédère déjà les acteurs de la Tech à l’échelle locale. Mais en 10 ans, « aucun géant n’a déménagé », pointe Cyril Zimmermann qui reste optimiste sur « un changement dans les trois prochaines années ».

Les pouvoirs publics aussi se mettent en ordre de marche pour renvoyer un signal fort de cohésion territoriale. Lors de ses vœux, Jean-Luc Chauvin appelait à « l’union sacrée » pour créer une véritable filière de la donnée. Sans quoi « la France sera mise au banc des nations », prévient Kévin Polizzi. La Région Sud en a d’ailleurs fait une priorité en débloquant 70 millions d’euros pour son plan SUD IA consacré au développement de l’intelligence artificielle.

Un territoire toujours disparate

Cet élan collectif « est rassurant » pour Denis Planat qui ne cesse de croire à la progression de Marseille dans le domaine. Laurent Lhardit analyse cependant les deux faces d’une même pièce marseillaise : d’un côté, le hub mondial et de l’autre, la fracture du numérique.

Selon les chiffres disponibles en open source de la Métropole Aix- Marseille-Provence, les disparités entre Marseille et ses villes voisines sont nettes. En moyenne, Marseille est raccordée à 86% à la fibre, tandis que la couverture monte à 91% pour Aubagne, 94% pour Cassis, voire 98% pour Fos-sur-Mer.

Les contrastes sont également perceptibles au sein même des arrondissements de Marseille. Le 1er compte seulement 50% de logements ou locaux raccordés, contre 98% dans le 9ème. « L’État a classé Marseille comme une Zone Très Dense (ZTD) permettant la libre concurrence des opérateurs », explique Laurent Lhardit.

Le député socialiste souhaite ainsi agir sur le cadre législatif pour rétablir une couverture homogène. Et que la montée en puissance de Marseille sur le numérique bénéficie autant aux acteurs économiques qu’aux citoyens.

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