Du Vieux-Port à la Plaine, d’Endoume à la Pointe-Rouge, des entrepreneurs animent les quartiers de Marseille avec leurs bars et bistrots. Portraits de ces figures de l’ombre.
La Relève, le Café de la Muse, le Parpaing qui flotte, la Cabane des amis… derrière chaque lieu de la fête et de la bonne bouffe à Marseille, des entrepreneurs de la restauration rythment la vie des quartiers d’Endoume, du cours Julien, du Camas, de la Pointe-Rouge. Made in Marseille met la lumière sur ces patrons de l’ombre.
Laurent Battisti, du Vieux-Port aux Réformés
Laurent Battisti, ancien marin et Corse d’origine, a monté une dizaine d’affaires dans le quartier du Vieux-Port. Le cinquantenaire a d’abord misé sur le cours d’Estienne d’Orves avec le Pointu, le café de l’Horloge, puis sur le Bar des Pêcheurs proche de la Criée. Avant de monter le Phonographe, le Caribou, et de s’associer pour créer les Grandes Halles du Vieux-Port.
Son expérience n’est plus à prouver. Mais il aime toujours quand la mayonnaise prend avec un ou plusieurs associés. Aujourd’hui, l’entrepreneur a repris le rooftop Les Réformés sur le toit de du cinéma Artplexe en bordure de la Canebière, avec Jérôme Caprin, Vivien Gallouin et Julien Brochot, pour le transformer en un bar à tapas et cocktails plutôt haut-de-gamme.

« On a repris une entreprise en difficulté il y a cinq mois. Maintenant le modèle commence à être équilibré », sourit le patron. Il a également repris le Blum, le restaurant italien au rez-de-chaussée de l’Artplexe, pour en faire une trattoria italienne avec des pâtes faites maison.
Laurent Battisti réserve encore quelques surprises aux Marseillais. Il annonce reprendre le Théâtre du Gymnase avec le fondateur du Baletti, Jean-Baptiste Vignau, pour en faire un restaurant style « gros bouillon » dans quelques mois. L’entrepreneur reprend aussi la Brasserie des Templiers, derrière le Vieux-Port, avec deux associés, qui deviendra Chez Groin début octobre.
Jean-Régis Acher flotte dans le Camas
Juste à côté, sur le square Stalingrad (1er), Jean-Régis Acher a racheté la grande brasserie des Danaïdes début 2023. Ce bar d’habitués, plutôt âgés en journée, rajeunit à la nuit tombée. Le club d’échecs Échiquier Marseillais 1872 y a installé son siège et contribue à faire vivre la place. Mais le restaurateur confie que l’insécurité du haut de la Canebière entraîne de « grosses dépenses pour sécuriser la terrasse ».
Il est aussi le fondateur du Parpaing qui flotte, un bar « de potes » au départ, qui est rapidement devenu une institution du Camas avec cocktails et tapas. « Il y a 10 ans, je voulais m’éclater à côté de mon métier de menuisier… et il s’avère que ce bar de copains est une énorme réussite », sourit Jean-Régis.
Également à la tête du restaurant italien Bambino, qui ne désemplit pas, le Marseillais a vu son quartier évoluer en une décennie. « Avant il n’y avait rien dans le Camas à part le bar Georges. C’était morose comme à Marseille », assure-t-il.
Mais maintenant « une affaire ouvre toutes les semaines », se réjouit le serial entrepreneur qui a lui-même revendu deux affaires au cours Julien pendant le Covid dont Verre à Cruz, racheté par son associé Sami el-Richani.
Hazem El Moukaddem veille sur la Plaine
Un peu plus haut, la figure de la Plaine, c’est Hazem El Moukaddem. Né au Liban à Tripoli, ce Marseillais de 40 ans s’est installé dans le quartier en 2005 quand la place Jean Jaurès était encore un parking. « Personne ne voulait venir ici », se souvient le tenancier qui n’a plus jamais quitté les lieux.
Timide de prime à bord, Hazem se transforme lorsqu’il parle de son quartier. Ici, tout le monde le connaît ou l’a déjà croisé, assis à la terrasse du Simone ou du Petit Nice. Il a commencé comme barman, cuistot, serveur, dans le quartier, il y a 20 ans pendant ses études d’économie à Colbert.
C’est en reprenant le Molotov, scène du rock à Marseille, place Paul Cézanne, qu’il entame sa vie d’entrepreneur. Il rachète ensuite le Traquenard, l’intermédiaire et le Mina, puis au Petit Nice. Des bars aujourd’hui incontournables des soirées marseillaises.
Président de l’association des commerçants de La Plaine, Hazem veille au bien-être des riverains. Son combat, même s’il n’affectionne pas le mot, est que « l’âme du quartier ne se perde pas » pour rester un espace « multiculturel, accessible et accueillant » où les jeunes et les vieux se croisent, comme les rockers et les rastas.
Son collectif de 24 commerçants, des amis de longue date, se démène aussi pour faire vivre la musique, la fête, en organisant des concerts sur la place. Il aimerait un jour, sans trop s’avancer, « ouvrir un lieu où on mange bien pour pas cher ». Car son obsession, répète-t-il, est de conserver des prix abordables pour que « tout le monde se sente libre de venir ».
Manuel Mendez, la muse du cours Julien
Un autre « incontournable de la vie marseillaise », comme le décrit Jean-Régis Acher, c’est Manuel Mendez. Né à Manosque, il s’est installé à Marseille pour suivre une prépa au lycée Thiers, avec un petit boulot dans la restauration. Le quarantenaire a ensuite fondé le Polikarkov sur le cours d’Estienne d’Orves en 2005.
Puis, Manuel monte à Paris pour lancer plusieurs affaires, avant de revenir à Marseille pour fonder le Longchamp Palace en 2011, un café bondé du matin au soir. Il est également aux manettes de l’Ebénisterie à Castellane depuis 2014 et du Trois Quarts dans le Camas, proche du Parpaing qui flotte, depuis 2018.
En 2019, le patron lance le Café La Muse rue de Lodi (6e) : un repère de la jeunesse de Notre-Dame-du-Mont. Un café chaud le matin et des tapas le soir. Mais Manuel ne s’est pas arrêté là. Il a monté, rue Fontange, dans le prolongement de la place, la sandwicherie Café Brioche, il y a trois ans. Et les Pieds Tanqués en face de la Friche de la Belle de Mai, la même année.
Cet infatigable s’associe toujours avec des gens de confiance, comme Yann Djeddou, ancien responsable du Longchamp Palace, avec qui il a repris la Muse. « Je reprends toujours des affaires du quotidien, ouvertes 7 jours sur 7 », affirme celui qui garde dans un coin de sa tête, de travailler, un jour, dans son quartier à Belsunce.
Les Greg prennent la relève à Endoume
En redescendant vers le littoral, les deux Greg, Grégoire Hessmann et Grégory Mandonato, sont à la tête de deux institutions. Grégoire Hessmann, né dans la campagne de Château-Gombert (13e), a toujours gravité dans le milieu de la cuisine. En 2013, il rachète le bar de la Relève : « un ancien bar de taxis et de joueurs de cartes ».
L’entrepreneur en fait un bistrot avec une cuisine simple mais travaillée le midi et des tapas le soir, dont les légumes sont achetés sur le marché du cours Julien. « Grandir à la campagne donne une autre vision de ce qu’on met dans les assiettes », raconte le fin gourmet de 48 ans.
Grégoire fait ensuite la rencontre de Grégory, natif d’Endoume et ancien gérant de la pâtisserie Saint-Victor. Ils jètent alors leur dévolu sur le café de l’Abbaye en 2018 qui affiche complet tous les soirs. « Un bar où on boit des pastis et on mange des panisses avant un bon resto », glisse Grégoire.
Ensemble, les deux Greg reprennent ensuite la Relève à leur sauce avec Grégory aux fourneaux. Une nouveauté : le restaurant vient d’ouvrir cinq chambres d’hôtes juste au-dessus du bar, dont le design est signé par Honoré Déco. « Dès qu’on a ouvert, j’ai dit aux équipes que c’était déjà une institution… Y’avait tous les ingrédients, l’emplacement, la bouffe, la déco… », retrace Grégoire. Bonne pioche.
Benjamin Aguad fait voyager à la Pointe-Rouge
Plus au sud, le DJ de 35 ans, Benjamin Aguad, n’est pas non plus du genre à chômer. Né à la Pointe-Rouge (8e), le Marseillais se décrit comme un autodidacte. Avant de terminer son master à Kedge, il a vite compris qu’il ne pourrait « bosser pour personne ».
Alors il a créé une marque de casque Silent nativ pour organiser des soirées silencieuses dans des lieux insolites de Marseille, quelques années avant de fonder la Cabane des Amis en 2018. « Dans la cabane où je mangeais des frites avec mes grands-parents », raconte Benjamin. Sept ans après, la réputation de la Cabane, déplacée au nord des plages du Prado, n’est plus à faire avec 250 salariés l’été.
En 2023, le DJ a repris un restaurant aux Goudes, haut-de-gamme, renommé la Calanque Blanche avec une carte bistronomique signée par le chef Eric Rabazzani. La vue sur la mer est à couper le souffle.
Benjamin a aussi racheté un immeuble au 83 avenue de la Pointe-Rouge pour proposer différentes ambiances au gré des heures et des saisons. Au rez-de-chaussée, le restaurant grec Santorin fait sensation depuis son ouverture.
Sur la terrasse 300 m2, le Positano, sera transformé en « Chalet des amis » cet hiver. Vendredi soir, ce sera rétro, samedi soir, commercial, et dimanche brunch électro jusqu’à 21h. Dans ce même bâtiment, la boîte techno le Barta devrait rouvrir aussi fin octobre après une pause automnale.
Un milieu qui reste très masculin
Dans cette ce milieu de la restauration, un constat est toutefois frappant : les femmes sont quasiment absentes des responsabilités. Alors qu’elles sont souvent en service, plateau sur l’avant-bras. Hazem le concède volontiers : « Il y a un esprit club de mecs qui se sont connus ados ».
« Mais nous, on a quelques femmes quand même et ça nous distingue », affirme le boss de la Plaine, comme Anaëlle Loze au bar musical l’Intermédiaire. Manuel Mendez aussi est associé avec Géraldine Cabarrot. Mais il admet que « c’est un cas isolé ».
Si le milieu de la restauration change, évolue, et que Marseille voit fleurir de nouvelles adresses tous azimuts, il faudra encore faire évoluer la parité.