À la tête du tribunal des activités économiques de Marseille, Patrick Lesbros décrypte la hausse d’activité à laquelle il est confronté et analyse le paysage économique régional. Entretien.

Depuis le 1er janvier, le tribunal de commerce de Marseille expérimente, avec 11 autres tribunaux en France, une réforme pour élargir ses compétences. Il prévient, accompagne et juge désormais les difficultés des agriculteurs, des associations, des sociétés civiles et des professions libérales (hors droit) en plus des entreprises.

Son président, Patrick Lesbros, en poste depuis plus d’un an pour un mandat de quatre ans, entend rendre « une justice fiable » afin que tout justiciable « garde confiance en la justice économique ». Mais aussi « une justice rapide » malgré un délai moyen de 280 jours pour rendre des décisions.

Face à des contentieux de plus en plus techniques, avec une casse sociale plus importante, le président du tribunal souhaite renforcer la formation des juges et faire en sorte que le rôle de prévention, d’anticipation et d’accompagnent soit mieux connu, et le plus tôt possible.

Made in Marseille : Le tribunal de commerce de Marseille expérimente des compétences élargies du « Tribunal des activités économiques » depuis le 1er janvier. Quel est le but de cette réforme ?

Patrick Lesbros : La réforme concerne 12 tribunaux de commerce sur 134 en France qui sont devenus des tribunaux des activités économiques (TAE). Notre compétence est élargie pendant quatre ans pour les associations, les agriculteurs, les sociétés civiles, et les professions libérales, hors profession réglementée du droit.

Marseille est une terre d’expérimentation et le tissu associatif marseillais est l’un des plus importants de France. 

Pourquoi Marseille a été choisie pour mener cette expérimentation ?

P.L : Quelle est la devise de l’OM ? À jamais les premiers. Vous avez la réponse… Plus sérieusement, nous avons candidaté. Marseille est une terre d’expérimentation et le tissu associatif marseillais est l’un des plus importants de France.

Désormais, les associations qui sont immatriculées à Marseille viendront au TAE de Marseille en cas de difficultés. Les grosses associations en dehors de la ville viendront également ici, contrairement aux petites qui resteront dans le giron du tribunal judiciaire.

Cette réforme représente une hausse de votre activité. Quel est l’impact en termes d’organisation et de budget ?

P.L : Si je transpose l’activité supplémentaire du tribunal judiciaire qui nous arrive, c’est l’équivalent d’une chambre à terme. Ce qui équivaut environ à 350 dossiers supplémentaires par an. J’ai donc demandé à augmenter les effectifs du tribunal. Aujourd’hui, nous avons 80 juges. Demain, j’espère pouvoir passer à 100 juges. En plus des six assesseurs agricoles. J’attends le décret qui me permettra de recruter.

Les juges consulaires font un travail remarquable qui est bénévole. 

Mais cette réforme n’implique pas d’impact budgétaire car les tribunaux de commerce n’ont pas de budget. Nous sommes tous bénévoles, nous n’avons pas de salaire. Les juges font un travail remarquable qui est bénévole. C’est un engagement très fort.

Un juge consulaire passe une demi-journée par semaine en audience, entre 6 et 8h sur un jugement et il rentre entre 25 et 40 jugements dans l’année. Il consacre beaucoup de temps bénévolement, et ce n’est pas assez mis en avant.

tribunal, Patrick Lesbros : « Le rôle du tribunal de commerce est d’accompagner, pas de sanctionner », Made in Marseille
Grande salle d’audience du Tribunal de commerce de Marseille.

La réforme s’accompagne d’ailleurs d’un nouveau système de contribution pour la justice économique, comme une taxe.

P.L : Les entreprises qui répondent à un certain nombre de critères vont devoir, en effet, contribuer pour la justice économique. Cela fait couler beaucoup d’encre. Car les entreprises locales payent pour les 12 tribunaux dans l’expérimentation. Cela occasionne beaucoup d’imagination pour le contourner. Quand on fait le premier bilan, cette contribution n’est pas à la hauteur des attentes.

Ceci dit, il est vrai que quand vous êtes une grande entreprise et que vous payez pour faire valoir vos droits, on peut se poser la question : « Est-ce que c’est la fin d’une justice gratuite ? ». Répondre à cette question n’est pas dans mon rôle. Mon rôle est de faire appliquer cette contribution. Mais aussi de faire remonter ses difficultés d’application.

Pouvez-vous nous donner un exemple de difficultés rencontrées ?

P.L : On doit s’assurer que l’entreprise est éligible. C’est un travail d’interrogation du chef d’entreprise pour qu’il nous apporte la preuve qu’il correspond aux critères pour cette contribution. Il y a un comité de suivi de la contribution pour la justice économique dans lequel je suis le représentant de la conférence nationale des juges consulaires.

tribunal, Patrick Lesbros : « Le rôle du tribunal de commerce est d’accompagner, pas de sanctionner », Made in Marseille
Statue de la loi à l’entrée du Tribunal de commerce de Marseille.

Votre rôle est donc central à l’échelle nationale pour cette réforme.

P.L : Pour le coup oui, j’ai un rôle national. Tout comme j’ai aussi pris la présidence d’une commission au sein de la conférence sur la délinquance économique. Je vais donc mener une action plus globale, qui va au-delà de celle de Marseille, pour justement définir les axes de travail d’un tribunal des activités économiques et son rôle dans la délinquance économique. Pour le reste, je parle au nom du tribunal de Marseille.

Le juge ne prend aucun plaisir à liquider une entreprise. Il ne fait que rétablir un ordre économique.

Vous enclenchez régulièrement des procédures amiables dont les entreprises s’en sortent par le haut.

Le tribunal a un rôle positif. Accompagner dans les démarches administratives de création, de suivi, de vie de l’entreprise ou de l’association. Notre rôle, c’est d’accompagner. Pas de les sanctionner. Vous savez, le juge, ne prend aucun plaisir à liquider une entreprise. Il ne fait que rétablir un ordre économique.

Toutes les procédures amiables restent confidentielles. Elles sont donc très peu médiatisées. Ici, dans ce bureau, l’année dernière, j’ai géré 196 procédures amiables. Le taux de succès d’une telle procédure (avant la procédure collective) est de 70 à 80 %.

Mais en 2024, le tribunal a enregistré une hausse de 23% de procédures collectives. Comment analysez-vous ce chiffre ?

P.L : Les 23% de procédures collectives en plus, ce n’est pas important. Ça l’est toujours, parce que c’est un chiffre. Mais ce qui est important, c’est l’effectif moyen par entreprise en difficulté. Mes prédécesseurs voyaient chaque année environ 7 à 8 000 salariés sous protection du tribunal. Alors que l’année dernière, 25 000 salariés ont été placés sous la protection du tribunal. On a donc multiplié ce chiffre par quatre.

Durant leur mandat, mes prédécesseurs ouvraient une à deux grosses affaires de procédure collective. Moi, j’en ai une par mois. Depuis janvier 2024, j’en ai ouvert 15 de plus de 250 salariés. Ces dossiers de contentieux sont à plusieurs centaines de millions d’euros. Ils sont aussi de plus en plus techniques. Ce qui signifie que les juges doivent davantage se former.

Quels sont les secteurs touchés ?

Le retail est très touché, comme le BTP, les services aux entreprises, les transports et la logistique. J’ai surtout observé que les ETI (entreprise de plus de 250 salariés) souffrent quelque soit le secteur d’activité. C’est plus embêtant, car ce n’est pas lié à un phénomène sectoriel.

Comment expliquez-vous que ces grandes entreprises soient de plus en plus vulnérables ?

P.L : Depuis fin 2023, nous sommes dans une période difficile. Et même en 2025… on ne voit toujours pas le bout. Cela montre qu’il y a une évolution de la conjoncture économique qui impacte très négativement les entreprises. Il y a tout un tas d’événements qui ne sont pas de nature à rassurer les entreprises. Une entreprise qui a de la trésorerie, elle arrive à passer quelques mois de difficultés. Mais vous ne pouvez pas demander à toutes les entreprises d’avoir 3 ans de trésorerie…

Le tribunal vient de juger la liquidation de l’enseigne Kaporal entraînant le licenciement de plus de 250 salariés dont 90 à Marseille. Les repreneurs assurent que cette décision est brutale. Le comprenez-vous ?

P.L : La décision n’est pas brutale. Quand vous venez déposer une déclaration de cessation des paiements, vous vous attendez à une décision. Ce à quoi ils s’attendaient, peut-être, c’est à une poursuite d’activité. Si le tribunal a décidé de ne pas poursuivre l’activité, c’est que les juges n’ont pas trouvé les éléments qui permettaient de le faire.

C’est dramatique parce qu’on aurait espéré que lorsque le plan de continuité et de reprise a été validé, on allait voir le bout du tunnel. Il se trouve que ça n’a pas été le cas. Ils étaient observés depuis 2 ans, mais il se trouve qu’entre deux périodes d’observation, la situation s’est dégradée. Il y a eu une accélération des difficultés ces derniers mois qui a justifié le fait qu’ils déposent une déclaration de cessation de paiements.

En janvier 2025, Klepierre a aussi annoncé la fermeture des Galeries Lafayette au Centre Bourse. Observez-vous par ricochet un déclin de l’activité dans le centre-ville ?

J’observe un déclin de l’activité qui est dû à une conjoncture morose. Mais aujourd’hui, je ne perçois pas d’entreprises au Centre Bourse qui déposent une déclaration de cessation de paiements. Les dernières défaillances du centre-ville étaient plutôt liées aux émeutes en juillet 2023. Aujourd’hui, les défaillances sont plutôt liées à la conjoncture quelque soit la localisation de l’entreprise.

Le président de la CCIAMP, Jean-Luc Chauvin, propose de déménager la cité judiciaire dans le Centre Bourse, au lieu de la délocaliser à Arenc. Vous déménageriez aussi ?

Si la cité judiciaire se construit, peut importe où, à priori il est prévu une concentration de toutes les juridictions. Je participe aux échanges. Mais je n’ai pas à manifester pour ou contre cette cité judiciaire. Si on me demande de déménager dans la cité judiciaire, j’irai. Enfin mon successeur.

Je serai toutefois vigilant à ce que les juges de commerce aient les moyens de travailler correctement. Il ne faut pas oublier les particularités du commerce. Il faut de la place. Un président reçoit du monde, des journalistes, des chefs d’entreprises. Le tribunal de commerce doit donc avoir sa place au sein d’une cité judiciaire. Il ne doit pas en être isolé. Mais il n’a jamais été question de l’en exclure.

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