À Marseille, les bars à jeux se comptent sur les doigts d’une main. Avec leur modèle hybride et atypique, ils se battent pour exister dans une ville où le soleil attire davantage sur les terrasses qu’autour d’un plateau. Décryptage.

Les jeux de société ont le vent en poupe en France, premier marché d’Europe, en croissance constante ces dernières années, notamment depuis la crise du Covid-19. Les bars à jeux semblent suivre la même tendance avec de plus en plus d’adresses dans les villes de l’Hexagone.

Toutes ? Peut-être moins à Marseille, qui compte seulement trois bars à jeux actifs, quand Lyon en accueille aujourd’hui plus d’une dizaine. La cause à un modèle économique complexe ? La difficulté d’attirer les clients en intérieur dans la ville du soleil ? Ou des habitudes plus portées sur les jeux de cartes en terrasse, comme la contrée ?

Pourtant, s’ils sont rares, ces établissements dédiés aux jeux de société parviennent à trouver leur public et tenir sur la durée dans la cité phocéenne. Comme le Nain Jaune, qui existe depuis plus de 15 ans du côté de la Plaine, La Barakajeu sur le cours Julien, ou Le Chaperon Rouge, qui a ouvert plus récemment sur le cours Pierre Puget. L’Encrier Ludique, en cours de création, rejoindra bientôt cette aventure.

Chacun son modèle, son public et ses règles. Mais tous partagent une même réalité : à Marseille, ouvrir un bar à jeux relève presque du défi. « Le soleil est mon plus grand concurrent », résume Guillaume, fondateur du Chaperon Rouge.

Ni un bar, ni une ludothèque : la difficile équation

« On n’est ni une ludothèque, ni un bar classique », explique Guillaume. Cette double identité génère des contraintes spécifiques : il faut un local spacieux, avec des tables assez larges pour accueillir plateaux et cartes, et une organisation pour encourager la consommation sans étouffer le plaisir de jouer.

Dans un bar à jeu, la marge sur les boissons est bien inférieure qu’en restauration, précise Thierry, trésorier du Nain Jaune. « On applique un coefficient de x2 grand maximum, alors que dans un bar traditionnel, on est plutôt sur du x3 à x5 ». Cette modération tarifaire permet de rester accessible, mais limite la rentabilité du lieu.

Autre spécificité : le temps de présence. Les joueurs restent en moyenne entre 1h30 et 3h. « Le turnover est beaucoup plus lent, il faut donc que les gens consomment régulièrement pour que le modèle tienne », souligne Guillaume. Le Chaperon Rouge exige donc une consommation toutes les 1h30, avec une entrée de 3 €. Le Nain Jaune, lieu associatif, propose quant à lui une adhésion à prix libre, avec des règles plus souples sur les consommations.

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Le Nain Jaune

Satisfaire des clients aux attentes toutes différentes

« Ici, on a aussi bien un public expert qui reste cinq heures qu’un public plus large qui reste une heure », observe Thierry. La clientèle s’étend de 18 à 60 ans, mais le cœur cible se situe entre 25 et 35 ans.

Parmi eux, des profils très variés, qui obligent les bars à jeux à jongler entre les différentes pratiques et niveaux de jeux. Par exemple, les jeux experts, de longue durée, sont parfois réservés à des rendez-vous spécifiques. « Les jeux longs ne s’accordent pas toujours avec l’ambiance festive d’un bar », note Guillaume.

Côté ludothèque, une vingtaine de titres génèrent à eux seuls près de 80 % des emprunts. Des incontournables comme Catan, Skyjo ou Codenames, sortis quotidiennement. À l’inverse, des centaines d’autres jeux dorment presque en permanence sur les étagères, où l’espace de stockage s’amenuise.

La pluie et le froid, meilleurs amis des bars à jeux

Dans le Sud Est, la culture du jeu en intérieur est moins ancrée que dans le Nord de la France. « Ici, on a moins d’enfermement climatique », constate Thierry. Résultat : la saisonnalité est très marquée. « Notre haute saison, c’est d’octobre à mars. En juin-juillet, c’est le creux », confirme Guillaume, dont le chiffre d’affaires double presque les jours de pluie.

Malgré cela, l’envie de jouer progresse, portée par l’engouement pour les jeux de société, les influenceurs ludiques et les salons. Les ouvertures futures de lieux comme L’Encrier Ludique en témoignent, tout comme la reprise du Nain Jaune par une équipe de bénévoles.

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Le Chaperon Rouge

« Un petit laboratoire de société » confronté à la réalité économique

Pour Thierry, « les bars à jeux forment un espace d’échanges et de rencontres, un petit laboratoire de société ». Cette vocation sociale est partagée par tous les porteurs de projets, mais elle entre parfois en tension avec les impératifs économiques. Guillaume le reconnaît : « Notre modèle commercial nous empêche de nous engager pleinement dans une logique associative, même si on essaie de garder un esprit ouvert ».

Pour équilibrer les comptes, les bars à jeux diversifient leur offre : cocktails maison, soirées à thème, partenariats… Le Chaperon Rouge mise ainsi sur une carte de cocktails élaborés pour attirer une clientèle festive. Quant à Chrystele et Quentin, fondateurs de l’Encrier Ludique, combineront jeux, livres et pâtisseries maison, avec une attention spéciale portée aux prix bas et aux produits locaux.

L’engagement comme moteur d’un modèle bien vivant

Entre modèle associatif et commercial, entre amour du jeu et réalité économique, les bars à jeux marseillais oscillent constamment dans un équilibre fragile. L’engagement des fondateurs fait souvent tenir cet écosystème, alors que les tenanciers témoignent se verser un revenu minimal, ou parfois aucun. Pour eux, l’aspect communautaire prime souvent sur la rentabilité.

« On veut créer un endroit où on peut partager, découvrir, rencontrer. Si c’est juste pour faire du business, il y d’autres projets bien plus rentables » résument Chrystele et Quentin. En espérant toutefois vivre de leur passion.

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