Voilà un ouvrage qui pourrait bien se retrouver sous beaucoup de sapins cette année. Celui du brillant photographe marseillais Jérôme Cabanel, qui vous propose une immersion exceptionnelle en haut des grues pour observer la ville d’un angle méconnu. Made in Marseille est parti à la rencontre du photographe pour en savoir un peu plus sur sa démarche.
Le livre sort aujourd’hui en prime time dans les libraires du département et sur le site de l’éditeur ww.andrefrereditions.com, il faudra attendre la mi-mars pour le retrouver sur le territoire national.
Teaser
Jérôme Cabanel s’installe sur ces grands squelettes métalliques qui font pousser les villes. La grue est son royaume. Grâce à son métier, il est photographe indépendant, entre autre pour le compte de grands constructeurs du BTP, il grimpe régulièrement à son bureau, à cent cinquante mètres des humains Lilliputs. Il atteint avec gourmandise son Grââl quotidien. La ville est à ses pieds. Artiste et espion, il radiographie les chantiers, découvre des trésors anciens enfouis sous les gravats entassés par les siècles et Clic-Clac, met la mémoire et l’avenir de la ville dans sa boite.
L’interview
Made in Marseille – Bonjour Jérôme, votre livre regorge de photos fantastiques. Pouvez-vous nous expliquer comment vous est venue l’idée de faire un ouvrage sur les grues ?
Jérôme Cabanel – « Marseille vue des grues » est plus précisément un ouvrage de photographies sur Marseille réalisées à partir des points de vue particuliers et uniques que constitue le sommet des grues. Il s’agit-là d’une vision nouvelle portée sur la cité phocéenne, vision que seuls les grutiers et moi-même peuvent avoir. François Missen qui a réalisé la préface du livre en parle mieux que moi :
« Voici une méthode originale, exceptionnelle de photographier la ville. Jusqu’alors, deux solutions s’offraient au chasseur d’images pour rendre compte de la vie d’une métropole : soit au ras des trottoirs, le nez dressé vers le ciel, soit dans un appareil volant, en plongée à six cent mètres du décor à mettre en boîte. La méthode Cabanel est novatrice et plus riche dans sa cueillette. A quatre vingt mètres elle a le double avantage de traduire l’architecture de la ville et de raconter ceux qui y vivent ».
Au-delà de cette vision, la grue est également un symbole fort de la construction et plus généralement du développement d’une ville mais aussi de son changement et de sa mutation au fil du temps.
Pourquoi réaliser ce livre maintenant ? Cela correspond à un moment particulier ?
Car après 10 années passées sur les flèches, contre flèches et chariots des grues, il me semblait qu’il était temps de partager cette vision de par le nombre et la variété de photos accumulées. De plus les rencontres avec le journaliste François Missen, avec lequel nous avons monté un teaser dans le but de réaliser un documentaire télé intitulé également « Marseille vue des grues- et l’éditeur André Frère m’ont conforté dans le choix de faire un livre et d’offrir ma vision quasi quotidienne de Marseille.
« S’il avait des ailes, il ne serait pas étonnant de voir Jérôme Cabanel accompagner Marius le Gabian. Frustré de ne vivre que sur deux pattes, et de ne pas s’envoler, ce photographe a trouvé une méthode originale pour prendre de la hauteur. Il grimpe chaque matin au haut d’une grue d’un chantier de construction. Marseille en fournit autant que des grands avant centres de l’OM de naguère, et programme ses devoirs. Après un bon quart d’heure d’escalade : ouf ! Jérôme s’installe sur la plateforme, arpente la flèche et se met au travail. La grue est son bureau. Il visse son Nikon à l’œil. Jérôme est bien le cousin humanoïde du goéland. Comme le volatile cherchant sa proie du jour, le photographe examine, radiographie, devine cette ville à ses pieds, lui vole ses secrets, révèle ses trésors, se pourlèche de ses découvertes » F. Missen.
A qui destinez-vous ce livre ?
Aux habitants de Marseille, pour leur offrir et leur faire découvrir ce nouveau point de vue sur leur ville, Marseille. A ceux qui ne font que passer par Marseille, afin de leur offrir un large panorama de cette ville qu’ils ne font que traverser. Aux étudiants architectes et urbanistes qui travaillent sur la problématique de la ville. Aux amateurs de photo car il ne s’agit pas d’un dépliant touristique mais bien d’un livre d’auteur qui offre un regard singulier.
A cette hauteur le vacarme de la ville est fortement atténué et devient un doux brouhaha. Il n’y a donc pas cette agressivité auditive que l’on peut parfois percevoir au sol.
Vous êtes un privilégié lorsque vous la chance de monter sur ces grues, pouvez-vous nous expliquer ce qu’on ressent tout en haut ?
Lors de la majorité de mes ascensions je me rends sur la contre flèche. Il s’agit de la partie de la grue qui fait contre poids et où l’on peut se mouvoir relativement facilement. C’est un endroit très agréable où en période de beau temps je pouvais rester de longs moments. C’est un peu comme lorsque l’on grimpe au sommet d’une montagne avec un sac dos de 7 km. L’arrivée se fait essoufflé mais avec la joie d’avoir atteint son but et de pouvoir bénéficier d’un point de vue unique. De plus, à cette hauteur le vacarme de la ville est fortement atténué et devient un doux brouhaha. Il n’y a donc pas cette agressivité auditive que l’on peut parfois percevoir au sol.
Globalement se sont des conditions très agréables qui peuvent parfois pousser à une certaine forme d’ « attitudes de réflexion » -pour ne pas dire méditatives. Dans certaines zones on a la sensation d’être au dessus d’une fourmilière humaine où chaque individu est mu par une action propre que l’on essaye d’imaginer. Le fait d’être sur une grue et de voir sans être vu est aussi une position idéale pour un photographe car il y a indéniablement un coté voyeur chez le photographe –le fait de voir sans être vu.
Lorsque le grutier oriente ce “grand squelette métallique” pour les besoins du chantier (lorsque la grue tourne) on peut se sentir parfois oiseau de part le mouvement et la hauteur. C’est enivrant. Il m’était arrivé il y a quelques années de faire de façon plutôt récurrente ce rêve fantastique de voler tel un oiseau. Je retrouve certaines sensations de ce rêve lorsque je me positionne sur la contre flèche, c’est étrange..
Les gabians m’ont pris pour un prédateur et une menace pour leurs progénitures et m’ont attaqué sur la contre flèche de façon si agressive que j’étais dans l’obligation de redescendre et l’attaque s’est même poursuivie dans le fut lors de la descente.
Et, est ce que l’exercice s’est révélé parfois difficile ?
Le plus difficile au départ était d’obtenir les autorisations d’accès aux grues, car je n’avais pas de commande ni sur ce sujet ni sur le chantier, mais je les ai eues par la suite. La montée en elle-même, malgré le matériel n’est pas excessivement difficile, bien au contraire elle est excitante car on imagine et on s’interroge sur le point de vue que l’on trouvera en haut, point de vue qui se dévoile progressivement au fur et à mesure de l’ascension.
Un obstacle qui est gênant mais pas rédhibitoire pour les prises de vue est le mistral. Au delà de 70 km/h de vent la grue a de grosses difficultés pour fonctionner. Mais il m’est arrivé une fois de rencontrer un obstacle qui m’a fortement contrarié dans mes prises de vue. Cela se passait au début de l’opération de réhabilitation du fort saint Jean où des Gabians avaient nichés pendant la phase d’inactivité du site. Les gabians m’ont pris pour un prédateur et une menace pour leurs progénitures et m’ont attaqué sur la contre flèche de façon si agressive que j’étais dans l’obligation de redescendre et l’attaque s’est même poursuivie dans le fut lors de la descente. Je dois avouer que sur le moment, je n’étais pas du tout rassuré.