La Marseillaise Nelly Pons, un temps assistante personnelle de Pierre Rabhi, signe une enquête inédite sur la pollution plastique. Fruit de trois années de travail, Océan plastique, aujourd’hui en librairie, livre une vision globale de la situation et propose des solutions pour lutter contre ce fléau, au travers de rencontres avec des experts de différents horizons et le regard de l’auteure. « Un plaidoyer pour l’avenir ».
« L’océan a toujours représenté pour moi la beauté sauvage à l’état pur, immuable, éternelle. Un espace de rêve et de calme intérieur duquel peut surgir à tout moment une tempête indomptable. Destructeur, à ses heures les plus sombres (…) Quel choc et quelle tristesse ont représentés les photographies de cet hippocampe qui baladait fièrement un coton-tige perdu dans les eaux, de ces tortues marines jouant avec nos sacs plastiques qui, bientôt, auraient raison de leurs vies, de ces estomacs d’oiseaux débordants de déchets, parmi lesquels ce bouchon, celui-là même que je venais de jeter dans la poubelle dédiée, confiante dans le jaune de sa couleur et ses séduisantes promesses ».
Nelly Pons a toujours eu la fibre environnementale. Cette Marseillaise, fille d’agriculteur et de la génération Grand Bleu, s’est plongée trois années durant dans la vaste problématique des déchets plastiques en mer. Une enquête au long cours qui retrace l’histoire de cette matière à la fois prisée pour certaines de ses propriétés, mais dont la fin de vie a donné naissance à un fléau planétaire.
Son expérience auprès de Pierre Rabhi, célèbre pionnier de l’agroécologie en France, dont elle a été quelques années assistante personnelle et littéraire, n’a fait que conforter ses idées sur la question environnementale. « J’ai toujours été très sensible à la manière dont l’humanité se positionne par rapport au vivant en général », glisse cette ancienne danseuse. La co-fondatrice du festival marseillais Entre Tradition et Modernité, au cours duquel elle croise la route de Pierre Rabhi, met grâce à lui, pour la première fois, des mots sur « un ressenti profond ».
Un sujet passionnant aux multiples facettes
Après son dernier poste en qualité de directrice de Terres & humanisme, une structure de formation en agroécologie et de solidarité internationale, Nelly, épuisée, met un coup d’arrêt, et décide « de dédier sa vie à l’écriture ».
Elle signe plusieurs ouvrages, dont un consacré à la permaculture, ou encore Choisir de ralentir dans lequel elle partage les réflexions sur sa période de burn-out. Puis, c’est en s’intéressant avec Actes Sud, à Boyan Slat, cet écologiste néerlandais qui veut nettoyer les océans, qu’une nouvelle aventure s’ouvre. « Comme beaucoup de gens, j’ai trouvé ça extraordinaire ».
Et lui qui devait être le cœur de son sujet, ne sera finalement que le point de départ de son enquête Océan plastique publiée aux éditions Actes Sud. « Lorsque j’ai commencé à creuser la question des déchets plastiques, je me suis rendue compte de l’ampleur de la catastrophe que je ne soupçonnais pas, même si je savais beaucoup de choses. C’est assez passionnant de balayer l’histoire du plastique et de la recherche sur la pollution. Quand on tire le fil, on parle de civilisation, de matière, d’énergie, d’environnement, de vivant, de juridique, de biologie… ».
Une approche pluridisciplinaire et transversale
Dès lors, elle privilégie une approche pluridisciplinaire. « Souvent, ce sujet est abordé sous un angle très scientifique et pas forcément facile d’accès pour le grand public. Ou alors, sous l’angle « zéro déchet ». Or là, c’est vraiment un livre société ».
Livres, films, documentaires, revues spécialisées, initiatives… durant un an, elle fait ses propres recherches, avant d’entamer une série de rencontres avec des experts. Une douzaine de scientifiques livrent leur analyse. Sept entretiens sont également retranscrits dans leur intégralité.
Ils permettent d’en savoir plus sur les thèmes du plastique en tant qu’indicateur d’une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène, avec Jan Zalasiewicz, président du groupe de travail international sur l’Anthropocène ; sur les « plastiques et perturbateurs endocriniens », commentés par André Cicolella du Réseau Environnement et Santé (RES)- chimiste, toxicologue et conseiller scientifique à l’INRS…
Ou encore de lever le voile sur la biodégradation des plastiques dans l’océan, avec Jean-François Ghiglione, biologiste marin et chercheur au CNRS, directeur scientifique de l’expédition Tara 2019 sur les plastiques…
En plus d’une large représentation des centres de recherches (CNRS, Ifremer, Inra, Museum d’histoire naturelle… en France et à l’étranger), d’autres personnalités prennent la parole, parmi lesquelles Hélène Bourges, directrice de campagne Océan chez Greenpeace France, Laura Chatel, responsable du plaidoyer chez Zéro Waste France… ou encore François Galgani, océanographe de l’Ifremer.
En France, il est l’un des premiers à avoir documenté cette question dès les années 1990. À travers son parcours, c’est l’histoire d’une pollution qui se dessine, et permet à Nelly de mettre le doigt sur une grande partie des problématiques.
C’est au cours de cet échange, un après-midi, sur le port de Saint-Cyr, qu’elle valide d’ailleurs son projet. « Enfin, quelqu’un qui propose une approche globale », s’enthousiasme l’océanographe. « Ils ont chacun leur spécialité. Ils n’ont pas nécessairement une connaissance large du sujet et s’ils en ont évidemment une compréhension, ainsi que des opinions personnelles, ils n’ont pas la légitimité pour s’exprimer sur des domaines de recherche qui ne sont pas les leurs », poursuit Nelly Pons.
Casser les idées reçues
Un tiers de l’ouvrage Océan plastique est consacré à un état des lieux, à travers notamment l’histoire de la recherche. Les deux autres tiers mettent en avant des solutions, ainsi qu’une analyse propre de l’auteure qu’elle « assume pleinement » ; avec au fil des pages cette volonté de casser les idées reçues.
« Ma motivation première était de faire parler du sujet. Alerter face à cet enjeu majeur et de santé publique. J’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de fausses idées véhiculées, beaucoup d’informations contradictoires comme, par exemple, sur ce continent plastique. Ce n’est pas un continent. Il n’est pas possible de le nettoyer, lâche-t-elle. Les images qu’on a longtemps vues des montagnes de déchets n’étaient pas tournées au cœur des océans, mais là où il y a des zones d’amas de micro-déchets ».
De manière plus concrète, l’auteure se lance dans quelques chiffres qui donnent le tournis. Plus de 8 millions de tonnes de matières plastiques finissent dans les océans chaque année et, avec elles, les polluants qui les constituent. « Seulement 1% des déchets plastiques océaniques sont à la surface. 99% ne sont pas retrouvés. Pourquoi ? Parce que soit ils ont coulé vers les fonds, soit ils ont rejailli sur les côtes, soit, surtout, ils se sont délités. On considère qu’il y a 5 000 milliards de micro-particules de plastiques dans l’océan et c’est probablement sous-estimé. C’est-à-dire qu’il y en a probablement plus que d’étoiles dans notre galaxie, et ça on ne peut pas aller le chercher, ça passe entre les mailles du filet », argumente-t-elle.
Une fois le constat établi, l’ouvrage met en lumière des solutions existantes à mettre en œuvre « à tous les niveaux » : citoyens, industriels, politiques, de l’échelon local et international… Pour Nelly Pons, seules une convergence et une coordination générale viendront à bout de ce fléau : « On ne peut pas imaginer le résoudre en créant seulement du bio-plastique, en recyclant ou en disant de consommer moins de plastique, poursuit-elle. Et malheureusement, le sujet est souvent traité de cette manière ».
Les plans d’action
Elle tente de rendre accessible à tous un sujet complexe, en établissant même des plans d’action. Pour exemple, la première étape la plus évidente concerne les emballages plastiques. « Certains sont essentiels, mais une grande majorité pas du tout. Il y a un problème de sur-emballage. Cela représente 40% de la production mondiale de plastique. Si on ajoute la part « à usage unique » on est à 50%. Rien qu’en retirant ce qui n’est pas nécessaire, on peut résoudre la moitié du problème ».
Pour l’autre moitié, elle se penche sur la fin de vie de cette matière, « que l’on ne sait pas gérer, quoi qu’on en dise ». Il ne s’agit pas de supprimer tout le plastique, mais de lui redonner sa juste place. « Il y a des solutions à regarder au cas par cas… Là, bien sûr, on parle d’économie circulaire, de recyclage, de bio-matériaux… Tout en s’intéressant également aux pièges que cela comporte et dans lesquels on ne veut pas tomber ».
Le 30 janvier 2020, le Parlement a adopté définitivement le projet de loi contre le gaspillage. Le texte inscrit dans la loi des objectifs chiffrés : 100 % de plastique recyclé d’ici au 1er janvier 2025 ; une réduction de 50 % du nombre de bouteilles en plastique à usage unique vendues d’ici à 2030 et l’interdiction de mise sur le marché des emballages en plastique à usage unique d’ici à 2040. Si ce dernier point est jugé « irréaliste » par les industriels, pour Nelly Pons la loi « ne va pas assez loin ».
La massification de l’usage du jetable, vendu sous couvert de qualités « soi-disant hygiénistes », est, selon elle, très discutable : « Un certain nombre de producteurs de vaisselles jetables continuent cette production d’assiettes en plastique avec la mention « réutilisable ». Il y a une inertie qui n’est pas évidente à encadrer avec les lois ». Elle constate également un « recul » des pouvoirs publics sur le sujet, engendré par la crise de la Covid-19.
« Il faut vraiment une action internationale »
Loin de remettre en question les avancées tant au niveau français qu’européen, ni même la multitudes d’initiatives et d’innovations ces dernières années, elle insiste sur le fait que ce problème mondial a besoin d’un traitement transversal. « Quand on voit que les déchets voyagent à travers le monde entier, que des éléments qui sont dans notre poubelle jaune, ici, peuvent se retrouver dans l’océan à l’autre bout de la planète, ça veut bien dire qu’on est interconnecté et que c’est une problématique qui ne peut pas se résoudre avec juste une loi franco-française ».
Pour le démontrer, Nelly Pons établit dans son livre un parallèle entre la problématique des déchets plastiques et celle de la couche d’ozone. Elle donne, à ce titre, la parole à Sophie Godin-Beekmann, actuelle directrice de recherche du CNRS, et présidente de la Commission internationale sur l’ozone, en charge de la veille sur ce sujet. Une comparaison qui témoigne « qu’il faut vraiment une action internationale ».
Avec Océan plastique, Nelly Pons entend faire « bouger les lignes », dit-elle, au risque de paraître quelque peu naïve. « Quand on a fait une étude comme celle-là de trois ans et qu’on l’a portée toute seule, on a envie que les gens s’en saisissent. Il y a tellement de choses à faire à tous les niveaux qu’il faut bien commencer quelque part ».
Elle espère également qu’il fera « son job » sur le plan du plaidoyer, servant d’outil à destination du grand public, de support aux ONG pour renforcer leurs contenus, et aux collectivités territoriales. « Un élu peut même se référer au plan d’action résumé à la fin, sans lire les 150 pages », sourit la jeune femme.
« Même si on ne se marre pas tout le long », Océan plastique reste un livre résolument « positif », car il ouvre le champ des possibles. « Maintenant, est-ce qu’on va s’en saisir pleinement ? La question reste ouverte ».
Séance de dédicaces avec Nelly Pons à Marseille
Nelly Pons sera en séance de dédicaces ce vendredi 23 octobre, à 17h30, à la librairie Maupetit, au 142 La Canebière, à Marseille. Rencontre animée par Magali Chouvion, rédactrice en chef du magazine Sans Transition.
Rencontre limitée à 30 personnes, sur réservation : animations@maupetitlibraire.fr – 04 91 36 50 56