Plus d’un an après son ouverture, Coco Velten, situé dans le centre-ville de Marseille à deux pas de la Porte-d’Aix fait déjà la démonstration que son concept fonctionne, grâce à des initiatives collectives et créatives. Foyer d’hébergement d’urgence, une cantine ouverte au public, accueil d’entrepreneurs, de conférences-débats, web-radio, avec pour fil rouge l’accès à la culture pour tous. Reportage.

En un an et demi, le lieu a bien changé. Les couleurs claquent juste avant d’atteindre l’entrée. Au tournant de la palissade, le visage d’une jeune femme apparaît sur le mur. Un graff en noir et blanc signé Luce vous accueille avec un humour décalé. Elle tire la langue, en guise de bienvenue, et décroche à tous les coups le sourire des visiteurs, que l’on devine sous leur masque.

Une fois le seuil de la porte franchi, les photos habillent l’espace, tandis que quelques vêtements suspendus sur un portant sont gracieusement offerts à ceux qui en ont la nécessité. Les premiers signes que la structure de 4000 m2 a, bel et bien, pris vie.

Coco Velten, Grâce à ses projets collectifs, Coco Velten relève le défi de la mixité sociale, Made in Marseille

Ici, c’est Coco Velten !  C’est un peu comme une colocation géante. D’ailleurs, tous ceux qui y vivent et animent le lieu sont surnommés les « Cocos », sans distinction. Pour la petite histoire, c’est dans cet ancien bâtiment de la Direction des routes (Dirmed) situé à deux pas de la porte d’Aix, dans le centre-ville de Marseille (1er), qu’est né ce projet innovant.

Coco Velten est la première concrétisation du Lab Zéro, laboratoire d’innovation publique territoriale porté par la Préfecture de Région. Une expérimentation initiée en 2016 visant à transformer cet espace vacant en un cocon mixant dimension sociale, économique et culturelle pour une durée de trois ans.

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Coco Velten, rue Bernard du Bois à Belsunce.

Il était une fois, Coco Velten

Entrepreneurs, précaires, enfants, fins gourmets, cuisiniers, artistes, commerçants, ministres même… Depuis l’ouverture, il y a an et demi, différents publics se côtoient quotidiennement au sein de la bâtisse, qui abrite un foyer d’hébergement d’urgence, une cantine et une quarantaine d’acteurs économiques avec, pour fil rouge, l’accès à la culture pour tous.

Trois structures de l’économie sociale et solidaire assurent son bon fonctionnement. L’association Yes We Camp, qui porte la convention d’occupation temporaire du bâtiment, pilote la direction globale du projet. La gestion du foyer et l’accueil des personnes vulnérables ont été confiés au Groupe SOS Solidarité, tandis que la coopérative d’urbanisme temporaire Plateau urbain a pour mission d’animer la communauté d’entrepreneurs sélectionnée à l’issue d’un appel à candidatures.

Ces derniers, baptisés « atelier bureau », ont pris leurs quartiers en janvier 2019, et payent des contributions en charge qui s’élèvent à 10 euros du m2. Avec des profils différents, les entrepreneurs partagent la même ambition : participer à la vie de Coco Velten, et celle de la cité. « On a favorisé des structures qui avaient un vrai apport vis-à-vis de ces enjeux », explique Océane Vilbert, de Plateau Urbain.

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La Halle qui peut être louée pour des conférences. © N.K.

L’un des principaux défis de Coco Velten est de réussir le pari la mixité sociale entre des publics. Les rapprochements entre les « Cocos » se font au travers de différentes actions, qui mobilisent les « ateliers bureaux » et les résidents du foyer. « Il faut savoir que lorsque les résidents arrivent ici, ils sont en situation d’urgence. Le lien existe depuis le début, mais il faut parfois du temps pour que les rapprochements s’effectuent au sein de la structure », explique Kristel Guyon, co-coordinatrice de Coco Velten, membre de Yes We Camp.

À l’heure actuelle, 90 personnes y sont hébergées, essentiellement des familles, dont une trentaine d’enfants. Ce sont eux, bien souvent, qui poussent sans difficulté les portes, s’approprient l’espace, brisant au passage les barrières entre deux univers. « Ce sont des mondes très différents, les personnes viennent de différents horizons. Certains se rencontrent assez facilement, d’autres n’osent pas franchir le pas, par rapport à leur vécu, mais il y a toujours une forme d’empathie », commente Abdel Guéroui, directeur adjoint de la résidence sociale.

De la rue aux « Premières heures »

Une fois sur place, la préoccupation première des résidents est d’avoir un revenu, et surmonter les freins périphériques à l’embauche. Le Groupe SOS les accompagne dans ces démarches pour leur permettre de retrouver leur autonomie et quitter la résidence, plus solidement. En coup de pouce, Yes We Camp a créé quatre emplois sur ses fonds propres, « car il s’agit de contrats de moins de 20 heures par semaine qui ne rentrent pas dans le cadre des contrats d’insertion subventionnés », explique Kristel Guyon.

Mais la fine équipe n’est jamais à court de ressources. Elle devrait déployer prochainement le dispositif « Premières heures », déjà expérimenté à Paris, dans une vingtaine d’établissements. Il permet de soutenir financièrement les structures qui proposent des activités rémunérées à des personnes en situation de grande exclusion sociale. Ce dispositif s’adresse à des personnes qui connaissent ou ont connu la rue, et qui sont très éloignées de l’emploi.

« La radio qui envoie du bois »

À Coco Velten, l’effervescence qui existe autour des projets participe aux connexions internes, et hors les murs. Elles permettent de porter haut la voix des invisibles ou des pépites « incubées » à Coco Velten. La web-radio Bernard, « la radio qui envoie du bois », en petit clin d’œil à la rue Bernard du Bois, fait l’écho de tranches de vie, témoignages, travaille sur différents formats en fonction des thématiques impulsées collectivement. L’écoute, elle aussi est collective à l’occasion de soirées animées avec les Cocos et des habitants du quartier.

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Halle de Coco Velten, en décembre 2019. © Yes We Camp.

« Un autre monde »

De la voix aux mots, les maux s’impriment aussi au fil des pages du journal « Un autre monde ». Un espoir avec lequel travaillent des carillonneurs de La Cloche Sud [association engagée dans la lutte contre la grande exclusion et aide les SDF, ndlr] avec le collectif VOST installé à Coco Velten. Une quinzaine de personnes participent à l’élaboration du magazine, vendu ensuite dans les rues de la ville par des sans-abri.  « Ça permet d’apporter un petit pécule à ces personnes en grande précarité », souligne Kristel Guyon.

Pour ces personnes éprouvées par la vie, difficile de se mettre à nu. Et pourtant, une autre initiative permet de libérer la parole et créer des interactions en douceur. Un cercle de femmes a été créé sur le souhait de certaines « d’avoir un moment à elles ». Une pause massage, sauna – eh oui, Coco Velten dispose de cet équipement – loin des problèmes ; de la vie à 100 à l’heure… « Ce temps permet de casser les frontières entre les femmes qui travaillent, les résidentes et l’équipe encadrante. Un moment où nous nous retrouvons toutes sans notre statut social. C’est quelque chose qui n’aurait pas pu exister dans les premiers temps du projet », assure Elsa Buet, chargée de la programmation culturelle (Yes We Camp).

La Cantine, lieu de connexions par excellence

La Cantine, reste le lieu de convergences des échanges et de la mixité sociale par excellence. Durant le confinement, le restaurant de Coco Velten est devenu un centre de production alimentaire à destination des sans-abri. Pour rester dans une démarche vertueuse, l’équipe a travaillé avec des structures comme la Cantina, qui lutte contre le gaspillage alimentaire.

En deux mois, 21 800 repas ont été distribués par le Samu social et SARA Logisol, le surplus réparti entre différentes associations, ou déposé au Mac Do Sainte-Marthe.Mac Do Sainte-Marthe.

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Quand sonne l’heure de la cuisine du coeur

Cette expérience a réorienté l’esprit de la Cantine. Au menu désormais, une formule unique à 10 euros (plat 7,50 et dessert 2,50) avec des produits de producteurs locaux. Si le vendredi, c’est « jour gras », le mercredi, place aux « Repas prix libres ». « On passe les clés de la cuisine à un résident, un atelier bureau ou une personne du quartier qui propose un repas. La cagnotte commune permet de faire les courses. 30% des recettes sont reversées aux personnes qui ont cuisiné ».

70% autres retournent à la cagnotte pour financer d’autres actions communes décidées par l’ensemble des acteurs de Coco qui se réunissent une fois par trimestre en Conseils de vie. La démocratie partitive est la règle ici !

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Décembre 2019, la Cantine de Coco Velten. ©

Bientôt des petits-déjeuners pour sensibiliser les écoliers aux bienfaits d’un solide ptit’ déj viendront agrémenter la carte des nouveaux projets. C’est à la Cantine aussi que se déroulent les « Repas suspendus » initiés par la Cloche Sud. Un repas payé par un autre client permet à une personne sans argent de déjeuner ou dîner gratuitement. Les résidents, quant à eux, disposent de « tickets paillettes » qui leur donnent le droit à un repas gratuit par semaine.

Fermée en raison des mesures sanitaires, la Cantine a une capacité d’accueil de 90 clients et est devenue une adresse prisée du quartier de Belsunce et ses alentours. Elle propose actuellement ses plats à emporter avant de rouvrir ses portes au public.

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Espace extérieur de la Cantine de Coco Velten, septembre 2019. © Yes We Camp.

Deux nouveaux espaces artistiques et pratiques

À Coco Velten, si on aime concocter de bons petits plats, les événements sont mitonnés avec passion pour nourrir aussi l’esprit. Depuis plus d’un an, la culture sous – presque – toutes ses formes a investi les lieux. Atelier pour enfants, conférences, concerts, spectacles, pratiques artistiques… rythment les semaines. La Halle, située au 2e étage, propose désormais une programmation hebdomadaire. Au sous-sol, les « Archives » ouvrent de nouvelles perspectives. Ces deux espaces de 130 m2 vont être transformés en lieu d’expérimentation et espace d’expositions.

Manifesta y dévoile en ce moment « Out.of.the.blue.map » qui fait écho aux traversées informelles, aux récits et aux mouvements qui façonnent les territoires liminaux méditerranéens. « L’autre salle deviendra d’ici à fin octobre un atelier de bricolage qui va nous permettre de développer des chantiers participatifs avec les habitants du quartier », confie Kristel.

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L’atelier de bricolage permet de développer les chantiers participatifs. © N.K.

Pousser la porte du toit-terrasse

Bricoler, planter, embellir… L’esprit participatif se décline du sous-sol au toit-terrasse, dont la vocation est d’être une pépinière pour des actions de revégétalisations menées dans le quartier. Elles s’organisent en lien avec le centre social, le CIQ Saint-Charles ; les jardiniers du Bois Fleur, la Cloche Sud, et les acteurs qui veulent lutter contre l’insalubrité.

Le toit-terrasse accueille également d’autres porteurs de projets et leurs solutions, comme des ruches ou encore un totem de contrôle de la qualité de l’air…

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Toit-terrasse de Coco Velten. © N.K.

En un an et demi d’activité, Coco Velten fait la démonstration que le concept fonctionne. L’objectif est de poursuivre sur cette voie, équilibrer le modèle, en continuant à trouver des financements. L’avenir de ce dispositif se dessine plus que jamais avec les Cocos et les habitants, loin, très loin de toutes formes de stéréotypes. Parce que, des propres mots d’Abdel Guéroui, « Coco Velten est un lieu qui déconstruit la stigmatisation ». 

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© N.K.
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