Durant le confinement l’ancien McDo Sainte-Marthe (14e), dans les quartiers Nord de Marseille, a servi de base logistique pour la distribution de colis alimentaires pour les plus démunis. Si aujourd’hui l’activité perdure, des actions à destination des plus jeunes ont été lancées. Parallèlement, un projet de reconversion du site en restaurant social et solidaire est en cours.

On est loin du rythme intense des mois de mars, avril et mai, lorsque l’établissement tournait à plein régime, mais le « Mac’ Arouna Drive » comme il avait été surnommé, est toujours en activité. Dans les locaux de l’ancien McDo Saint-Marthe, qui a fermé ses portes à la fin de l’année dernière, les bénévoles se sont relayés presque nuit et jour, durant le confinement, pour aider les plus démunis à traverser la crise sociale et sanitaire.

3 500 colis par semaine ont été distribués durant cette période, grâce à 52 associations partenaires, dans 47 quartiers de la cité phocéenne, mais pas seulement. L’aide des policiers et des marins-pompiers a permis d’apporter des sacs de denrées au Jas-de-Bouffan, à Aix-en-Provence, ou encore à Gardanne. 14 000 personnes au total ont pu être nourries grâce à cette importante mobilisation spontanée et solidaire.



« Le lundi, c’est notre plus grosse journée »

Si la cadence s’est ralentie, la misère, elle, n’a pas disparu avec le déconfinement.  « Nous recevons aujourd’hui les personnes physiquement sur place, alors qu’auparavant les associations assuraient le relais auprès des familles confinées, confie Salim Grabsi, l’un des premiers sur le pont. Nous avons perdu en moyenne 50% de l’activité et d’une certaine manière, heureusement, car une grosse partie a pu reprendre son emploi, et de l’intérim, mais pour les 50% restants, la situation s’est encore plus dégradée », assure-t-il.

1 200 personnes poussent la porte de la plateforme chaque semaine. « Le lundi, c’est notre plus grosse journée. Nous recevons entre 400 et 450 personnes, explique Mohamed Aimeche, en charge de la gestion du lieu. Et ensuite, tous les jours, à raison d’une cinquantaine en moyenne, selon un protocole sanitaire strict ».

« Le Sel de la vie »

À leur arrivée, ils se voient attribuer un ticket de passage. Masques, gel hydroalcoolique sur le pas de la porte et gestes barrières font partie du rituel quotidien. Et chaque jour, les bénévoles sont confrontés à des histoires de vie. Douloureuses. Des larmes et parfois quelques sourires. « Beaucoup ont encore de nombreuses factures impayées, et vont mettre du temps à s’en sortir », poursuit Mohamed, avec son tee-shirt bleu à l’inscription « Le Sel de la vie ». 

C’est le nom de l’association créée pour poursuivre les actions auprès des plus précaires. « On a vu que la crise avait clairement défavorisé les plus jeunes, creusé encore plus les inégalités, notamment sur l’accès au numérique. En plus du frigo vide et bien souvent des appartements exigus. Alors, on a décidé de passer, en quelque sorte, de l’estomac au cerveau », sourit Salim, membre fondateur.

« Le Sel de la vie », c’est en référence à un territoire carencé qu’il est possible de relever, comme on relève un plat avec une pincée de sel. Et pour les bénévoles, cela passe par l’éducation et le sport.

, Un ancien McDo des quartiers Nord transformé en restaurant social et solidaire, Made in Marseille

Ainsi, 280 jeunes marseillais ont eu la possibilité de pratiquer des activités nautiques sur la base de Corbières cet été. « Le Sel de la vie a signé une convention de partenariat avec l’association Le Grand Bleu [qui milite pour l’apprentissage de la natation, ndlr]. Dans ce cadre, Le Grand Bleu a pu obtenir une subvention débloquée par la préfète à l’égalité des chances de 100 000 euros ».

Et, il tenait à cœur aux associations de créer un tournoi de water-polo. « Et il a eu lieu ! » se réjouit Salim Grabsi, qui entend lutter contre le déterminisme social. Des rappeurs comme l’Algérino, qui soutient la démarche depuis ses débuts, sont venus encourager les compétiteurs.

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« Les quartiers désapprenants »

Parallèlement, « Le Sel de la vie » a lancé un dispositif baptisé, avec une pointe d’ironie, « Les « quartiers désapprenants ». Des cours de soutien scolaire ont débuté durant l’été et ont permis à 200 enfants de 8 à 18 ans de faire une remise à niveau avant la rentrée. « Lorsqu’on est de conditions modestes, l’éducation et l’avenir de nos enfants, c’est souvent ce que l’on a de plus précieux ».

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Une fois encore les associations ont répondu présentes. Leur appui a permis de délocaliser des sessions dans différentes structures de Marseille. « Le Nord, le Sud, l’Est et l’Ouest », précise Salim, et dans trois lycées.

Le McDo a également servi de salle de cours. Si au lancement de l’opération, une vingtaine de professeurs ont répondu à l’appel, à ce jour, ils sont plus d’une centaine d’enseignants mobilisés. « Et nous comptons aller encore plus loin avec la mise en place de tutorat ».

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« Les quartiers désapprenants » pourraient intégrer « Les Cordées de la réussite ». Il y a deux jours, le président de la République, Emmanuel Macron annonçait que le dispositif passerait de 80 000 à 200 000 places, avec un système de bourse et un renforcement des moyens.

Un rendez-vous dans ce sens est prévu, prochainement, avec le rectorat, la préfecture des Bouches-du-Rhône et Jeunesse et Sport.

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En attendant, pour lutter contre la fracture sociale, les collectes de fournitures scolaires se poursuivent. « Mais il nous manque encore des ramettes de papier, des crayons de couleur, des trousses et des feutres, des feuilles doubles et même des cartables », détaille Salim Grabsi. Dans le même temps, les provisions alimentaires s’amenuisent.

Les dons se font plus rares et, malgré les collectes, les étagères des espaces de stockage comptent désormais des vides. De la cagnotte lancée cet hiver et qui a permis de collecter 37 000 euros, il ne reste que 1 000 euros. « Nous achetons nous-même désormais les produits alimentaires pour les familles », reprend Mohamed, en ouvrant une chambre froide, car il y a des petits plaisirs, comme ces cagettes de tomates de Provence offertes, chaque semaine, par un maraîcher.

Dans un coin du McDo, on peut désormais voir s’empiler des vêtements. Ils seront triés. Puis redistribués. Des cartons de serviettes hygiéniques apportés par l’association Règles élémentaires et même un photomaton a élu domicile. « Ça permet à ceux qui ont besoin de photos d’identité pour le travail, un CV, l’école ou autre de venir ici. Et c’est gratuit ».

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Et « Après » ?

Mais le site, symbole de la convergence de nombreuses luttes, depuis le combat des salariés du McDo au choc sanitaire et social, en passant par les gilets jaunes, est promis à un autre avenir.

L’idée : le reconvertir en restaurant social et solidaire, géré par une Société coopérative d’intérêt commun (Scic). La direction de Mac Donald France n’est pas opposée à cette transformation, mais au préalable a demandé la constitution d’une association de préconfiguration, pour entamer les discussions.

Baptisée « Après », cette association est présidée par Fathi Bouaroua, ancien directeur régional de la Fondation Abbé-Pierre. On retrouve également Kamel Guemari, figure emblématique de la lutte des salariés du McDo Saint-Marthe.

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La Ville de Marseille a reçu à deux reprises les porteurs du projet. Une première fois par Laurent Lhardit, adjoint en charge du dynamisme économique, de l’emploi et du tourisme durable, puis par Ahmed Heddadi, adjoint en charge du lien social, de la vie associative.

Ces entretiens ont permis d’ouvrir les discussions directes avec McDo. « C’est une avancée majeure, depuis de longs mois, car le directeur juridique a été mandaté pour participer aux discussions et c’est très positif ».

Un parcours de formation au métier de cuisinier et une vingtaine d’emplois

Des chefs étoilés marseillais commencent aussi à se manifester. Car avec ce restaurant solidaire, l’idée est également de mettre en place un cycle de formations au métier de cuisinier, « ouvert à toutes ces personnes qui ont été cabossées par la vie, pour les remettre sur le chemin de l’emploi. Des femmes et des hommes issus de ces 47 quartiers », ajoute Salim Grabsi.

Le modèle du restaurant devrait être calqué sur celui d’un lycée hôtelier, avec des prix accessibles. « On a perdu 100 emplois avec la fermeture de McDo, avec ce restaurant, on pourrait déjà créer une vingtaine d’emplois », assure Salim, qui pour la première fois depuis longtemps dit « avoir espoir ».

Et si le temps de composer les menus viendra par la suite, « le hamburger sauvage », comme il a déjà été surnommé, en hommage à Kamel Guemari pourrait bien figurer sur la carte. Comme un clin d’œil un « chouïa » épicé, à toute cette aventure !

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Tournage de l’émission Arté Regards.
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