La franco-anglaise Jayne Estève-Curé prend la tête de la Maison Mode Méditerranée. Pour Made in Marseille, cette grande technicienne de la mode déroule le fil de sa vie, son parcours professionnel et ses ambitions pour cette « maison » qu’elle connaît bien. Un poste taillé pour elle.

Lorsque Jayne Estève-Curé débarque à Marseille pour la première fois, il y a presque 30 ans, fraîchement diplômée de l’Institut français de la mode, elle en tombe éperdument amoureuse. « Le coup de foudre ». Elle est de ces femmes qui se sentent « chez elle », dans ces villes cosmopolites et effervescentes. Dans la cité phocéenne, où elle vient de poser ses valises, Jayne retrouve un peu de la chaleur de New-York, d’Istanbul ou encore de Lisbonne, dans laquelle, elle a vécu durant sa jeunesse. « J’ai retrouvé ici quelque chose qui me convenait. » Et même plus ! Une maison où le talent et la créativité se mêlent pour inventer la mode de demain.

Cette franco-anglaise, sans un soupçon d’accent, est la nouvelle directrice générale de la Maison Mode Méditerranée (MMM). Elue à l’occasion du conseil d’administration, lundi 13 mai, elle se dit « ravie et heureuse. Il y a beaucoup d’enthousiasme, d’énergie positive et de bienveillance autour des projets que je vais porter avec l’équipe et la nouvelle présidente Jina Luciani » (lire encadré). Une stratégie sur 5 ans qui entend répondre aux enjeux de la profession et aux défis sociétaux, se basant « sur l’existant et la grande expérience de la MMM ». C’est une structure qu’elle connaît bien, pour avoir collaboré sur différents projets, notamment sur OpenMyMed Prize en 2017 et sur le Fashion Booster Campus l’année dernière. Ses premiers pas à Marseille, c’était d’ailleurs pour réaliser une étude sectorielle un peu après la naissance de la Maison Méditerranéenne des métiers de la mode, son nom de l’époque.

Du denim à l’art de la mode

A l’aise dans ses converses noires, cette technicienne de la mode, spécialisée dans la vente à l’export, a sillonné le monde pour différentes marques de vêtement. Les marchés asiatiques et américains n’ont pas de secret pour celle qui est « née un peu grâce à la mode », sourit-elle. Son père a rencontré sa mère à Leeds, dans le Yorkshire, berceau de la révolution industrielle, alors qu’il étudie la technologie du vêtement. « Il était jeener dans les années 70-80. Les jeans BigMan ». C’est le temps des NewMan, Lee Cooper… Mais Jayne préfère les études artistiques au denim, jusqu’à ce qu’elle réalise qu’il « y a dans la mode une forme d’art. Un artiste est un être très sensible au monde qui l’entoure, à ce qu’on peut appeler l’air du temps, dont on parle beaucoup dans la mode. Au-delà d’être un moyen d’expression, la mode reflète beaucoup de choses ».

Quand on a une vision singulière,
c’est ça qui fait la magie d’un créateur de mode

A 18 ans, la jeune artiste s’envole pour Paris. Avec son BTS industrie de l’habillement en poche, décroché à La Fabrique, l’école supérieure du vêtement de la Chambre de commerce et d’industrie de la capitale, elle intègre la deuxième promotion de l’Institut français de la mode. Très vite, elle se découvre l’âme d’une marraine s’associant au jeune créateur Olivier Guillemin. « Je trouvais beau d’accompagner une vision à laquelle je croyais et qui me touchais. Je suis un peu une accoucheuse, et c’est aussi ce qui me plaît dans la MMM, cette notion de maison qui me tient à cœur ».

, La Maison Mode Méditerranée, du sur-mesure pour Jayne Estève-Curé, Made in Marseille
Espace Mode Méditerranée © Alexis Schrodertre.

Guidée par cette idée de permettre à de jeunes créateurs « de mettre une lumière sur leur identité créative », c’est naturellement que Jayne se tourne vers la formation. « Quand on a une vision singulière, c’est ça qui fait la magie d’un créateur de mode, mais ce n’est pas une chose facile d’exprimer ce qu’on a l’intérieur de soi pour en faire un outil de business ou de marketing. C’est pour ça qu’il y a beaucoup d’histoire de binômes dans la mode, Pierre Berger et Saint-Laurent, par exemple…. ». Elle construit des cours de marketing de la mode, sur-mesure. « Une discipline qui n’existait pas il y a 30 ans », presque un « gros mot pour les jeunes créatifs, mais il est impératif que leur projet soit ficelé pour en parler à des investisseurs, des banquiers ».

La MMM change de cadence

Taillée pour transmettre, elle se tourne vers la formation professionnelle. En 2002, elle crée la Jayne Fashion Agency à Paris, au sein de laquelle elle forme des entreprises françaises et internationales à la vente. « Avec la grande distribution, le métier de vendeur avait perdu ses lettres de noblesses, et on se rend compte maintenant que c’est une clé. On forme et reforme de nouveau des vendeurs ». Pendant 15 ans, les marques telles que Gemo, Printemps, Les Galeries Lafayette, Petit Bateau, Maje, Sandro, Gap, Esprit, Bocage, Princesse Tam Tam… se familiarisent aux techniques de vente à 360°, « à faire un diagnostic de son client, comprendre son style, connaître son produit… mais aussi à la culture de la mode, faire le lien entre les tendances d’une collection et celles sur le podium ». Une ère révolue puisque la structure s’apprête à fermer ses portes. « C’est le bon moment », assure Jayne, « mieux vaut fermer soi-même son entreprise qu’être obligée de la fermer. Ce n’est pas triste, c’est une page qui se tourne ».

Les trois notions clés de la MMM :
le craft, la tech et le « care »

Une autre histoire qui s’écrit avec la MMM et à un autre rythme. OpenMyMed Prize va désormais prendre son temps. « On va passer d’un mode « fast and shallow » (rapide et moins profond) qui perd un peu de son sens au « slow and deep », plus lent et plus profond, j’espère ». Deux ans, au lieu d’une année, pour faire « du sur-mesure avec les lauréats », et continuer à les accompagner à l’international. Une « study case » sera également mise en place, « de façon très innovante ». Elle reposera sur trois mots clés : le craft : « l’artisanat et le savoir-faire. La plupart de nos lauréats utilisent les matériaux et leur savoir-faire local ». La tech : avec « tout l’aspect digital, la technologie et l’innovation qu’ils ont déjà en eux mais on va pousser un peu plus loin ». 

, La Maison Mode Méditerranée, du sur-mesure pour Jayne Estève-Curé, Made in Marseille
Défilé OpenMyMed automne 2018 Christelle Kocher en 2018. © Baptiste Le Quiniou

L’ouverture aux pays de l’Afrique francophone

Puis cette notion de « care » dont elle n’a pas encore trouvé de traduction en français, mais qu’elle décrit comme « être dans la bienveillance, le côté responsable… », toutes les valeurs des millenials ou comment la mode peut faire du bien dans le monde dans lequel on vit ? La MMM peut d’ailleurs compter sur la style solidaire, pionnière de la mode responsable, Sakina M’sa qui vient d’entrer au conseil d’administration et la nouvelle présidente Jina Luciani. Autre perspective : s’ouvrir aux pays d’Afrique. La jeune créatrice Christelle Kocher l’avait bien compris, avec ses collections empreintes de ses dialogues avec l’art, la rue et toutes les cultures. « Nous avons déjà l’Afrique du nord », souligne Jayne, « mais il semble naturel que l’on ouvre aux pays de l’Afrique francophone ». La partie formation, ADN de la MMM reste au coeur du projet avec la licence et le master 1 et 2 à Aix-Marseille Université.

Elle entrera pleinement dans la phase active à l’occasion des événements prévus à la fin du mois, avec notamment la conférence « Métamorphoses de la mode en Méditerranée », à thecamp et le défilé OpenMyMed Prize au Musée des arts décoratifs et de la mode, au Château Borély. « Je suis impatiente d’associer tous nos lauréats à ces rendez-vous. J’aimerais qu’ils deviennent nos relais dans leurs pays respectifs pour trouver de nouveaux créatifs et faire vivre la MMM au-delà des frontières ». 

Ethique et transmission, la mode selon Jina Luciani, nouvelle présidente de la MMM 

, La Maison Mode Méditerranée, du sur-mesure pour Jayne Estève-Curé, Made in Marseille

C’est un nom dans l’univers de la mode. Jina Luciani a été nommée à la présidence de la Maison Mode Méditerranée. Née à Beyrouth, la créatrice méditerranéenne a grandi dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur avant d’entrer dans la prestigieuse école de New-York, la Fashion Institute of Technologie pour y suivre des cours de design de mode. Durant quelques années, elle travaille dans le prêt-à-porter de luxe dans la grande pomme, puis à Paris, avant de revenir dans le Sud de la France. C’est là qu’elle crée Occidente Ecocollection, un concept de garde robe pour soi original et écologique, inspiré du bien-vivre occidental. Son histoire avec la MMM lorsqu’elle remporte le concours OpenMyMed en 2016. « En 2017, je suis entrée au conseil d’administration pour porter la voix des créateurs avec aussi ce regard à l’international », nous confie-t-elle, soulignant ses fortes attaches méditerranéennes. Comme pour Jayne, la formation occupe une place importante. Elle enseigne l’éthique de la mode à Nice, et compte sur le développement des formations à l’école de Condé à Marseille (école d’art et de design), pour assurer les mêmes cours. Jayne, Jina et Sakina « viennent de la même planète mode », se plaît à dire la nouvelle directrice. Elles partagent, en effet, la même vision sur l’accompagnement des jeunes créateurs dans le bassin méditerranéen, sur la transmission du savoir et des valeurs portées par la MMM. « Nous sommes dans une continuité forte, dans la formation, l’innovation et la culture, avec bien sûr de nouveaux développements et une évolution de la programmation plus raisonnée et de qualité. » En totale synergie, elles partagent aussi l’idée que dans l’avenir le vêtement ne sera plus considéré comme un simple objet de consommation, mais comme « une seconde peau ». On a hâte d’essayer !

 

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