Autour de l’étang de Berre, un projet de construction de nouveaux pipelines pour remplacer d’anciennes canalisations, qui stockent notamment du pétrole, agite les habitants. Intérêt économique à l’échelle nationale contre protection écologique de proximité ? Enquête sur une situation qui inquiète les agriculteurs et les riverains du projet.
Le projet de construction de nouveau pipelines à Berre l’Etang est piloté par l’entreprise GEOSEL, propriétaire d’un site de stockage souterrain de pétrole à Manosque, qui sert de réserve de provision de pétrole contre les aléas des prix des carburants et de possibles pénuries en France. En effet, environ 50% des stocks de sécurité pétroliers nationaux y sont logés. Le site est notamment relié aux raffineries de Fos-sur-mer et Berre-l’Étang, et au Grand Port Maritime de Marseille via trois canalisations : deux canalisations au sud et une double canalisation au nord de Rognac. Ces canalisations, appelées « pipelines », sont des tuyaux qui transportent, soit de la saumure (de l’eau salée), soit des hydrocarbures (du pétrole raffiné).
Concrètement, un premier pipeline (signalé en orange sur la carte ci-dessous) récupère la saumure dans les mines de sel de Manosque et les rejette dans les étangs de Lavalduc-Langrenier. La raffinerie du pétrole se fait sur les sites de Rognac, La Mède, Lavera et Fos-sur-Mer. Le pétrole y est débarrassé de ses impureté et rendu « plus fin ». Un second pipeline (en jaune) transporte ensuite le pétrole raffiné jusqu’aux mines de sel vidées pour qu’il y soit stocké.
En vert sur la carte, un troisième pipeline relie la raffinerie de Fos-sur-Mer à la station de Manosque. Il s’agit d’une double canalisation qui transporte à la fois du pétrole et de la saumure entre les stations.
- Pipeline GSM2 (orange : transport de saumure)
- Pipeline GSM1 (jaune : transport d’hydrocarbures)
- Pipeline GSM1 et GSM2 (vert : transport d’hydrocarbures et de saumure).
Les notions de « sud » et « nord » s’appliquent par rapport à la station de Rognac
Pourquoi remplacer les pipelines présents ?
Les pipelines de Manosque ont été installés entre 1967 et 1975 et sont surveillés périodiquement. Les deux dernières inspections du pipeline qui transporte de la saumure dans l’étang de Vaïne ont révélé la présence de défauts appelés « blisters », c’est-à-dire des bulles d’air dans le tube. C’est pour cette raison que la société GEOSEL a décidé de remplacer le tronçon de l’étang du Vaïne. Aussi, GEOSEL prévoit à terme le remplacement des tronçons de la canalisation de pétrole afin de répondre à l’augmentation de ses cadences de production.
La solution choisie par la société : construire du nouveau plutôt que réparer l’ancien
Les parties de canalisation situées dans le domaine maritime ne seraient pas réparées en elles-mêmes, mais remplacées par de nouvelles installations à proximité. Les anciennes installations seraient mises en « arrêt temporaire d’exploitation » et pourraient servir de secours.
Pour effectuer ces travaux, la société pétrolière GEOSEL a fait une demande de travaux à la préfecture et une enquête publique préalable a été réalisée. Elle s’est avérée favorable au projet. Les nouvelles canalisations devraient parcourir à 97% le domaine public, pour la traversée des étangs de Berre et de Vaïne. Pour emprunter le domaine public la société GEOSEL a aussi fait une demande d’Autorisation d’Occupation Temporaire (AOT) de 30 ans.
Un choix mal accepté par les habitants
Malgré l’avis favorable, ce grand chantier inquiète de nombreux habitants. D’une part, la pointe de Berre est le siège d’une importante biodiversité, avec de nombreux oiseaux (flamants roses, sterne naine) et pas moins de 170 espèces végétales identifiées. D’autre part, certains propriétaires agricoles sont inquiets et ne veulent pas d’un pipeline sur leurs terres. D’autres craignent de perdre leur label « Bio » avec le rapprochement de canalisations sur leurs terres. Du côté de la mairie, bien que conseil municipal ai voté contre le projet, il ne peut s’opposer à la décision préfectorale qui aura lieu en 2019, lors de la dernière étude publique.
Un collectif réunissant les habitants de Berre-l’Étang s’est donc formé. Guy Fabretti, responsable de l’association de sauvegarde de l’Étang de Berre et organisateur d’une réunion publique du comité, déclarait il y a quelques jours « C’est surtout ce tracé en réalité, en plein cœur de la ville, qui nous effraie. Nous avons l’impression que ce projet sert l’intérêt privé au détriment des intérêts publics […] » Les Salins, où doivent être installés ces nouveaux pipelines, restent une zone protégée, Natura 2 000. Avec ce chantier, il pourrait y avoir une violation de la législation car une déclassification des zones doit être à l’étude. Il va falloir respecter 25 m de percée de chaque côté des installations pour sécuriser le site. Le tout en plein bois, selon certaines zones. Des espaces où vivent aussi de nombreuses espèces animales, une flore très fragile, qui pourraient ainsi disparaître » (La Provence). Une pétition a été signée et déposée auprès du Ministère de l’écologie.
La société GEOSEL déploie ses arguments
GEOSEL a mis en avant les risques liés à l’enlèvement des pipelines existants, et l’intérêt du tracé des nouvelles canalisations dans son rapport d’étude sur l’impact environnemental. La société a ainsi obtenu dans son dossier les avis favorables de la commission nautique local et des autorités administratives et locales. Ensuite, seul l’atterrage du Jaï devrait poser problème, puisqu’il franchirait quelques parcelles privées et des parcelles publiques gérées par le Grand Port Maritime de Marseille (3% en tout).
Enfin, la société s’est engagée à compenser les pertes sur les récoltes. Nicolas Sarda, le responsable des travaux GEOSEL, a d’ailleurs assuré « la remise à l’état après les travaux et une indemnisation des propriétaires sur les pertes d’exploitation, sous le contrôle de la charte d’agriculture » (France 3 PACA).
Peser le pour et le contre
Le site de Manosque est un lieu stratégique pour l’État, car il contient une réserve de provision de pétrole. Le projet de nouveaux pipelines permettrait d’augmenter encore les capacités de stockage nationaux, contre les aléas des prix des carburants et de possibles pénuries. Mais ce n’est pas tout. Si les sites de raffinerie et de stockage fonctionnaient davantage, on peut penser que des emplois seraient créés sur la zone.
D’un autre côté, la construction de nouvelles canalisations présente un inconvénient environnemental. Certaines migrations et reproductions animales risquent d’être bouleversées par les chantiers puis par la présence des canalisations. D’un point de vue économique, les terrains privés qui seront traversés par les pipelines risquent de perdre de leur valeur. Les chantiers de constructions risquent également de freiner les agriculteurs durant toute la période des travaux, voire au-delà. GEOSEL a promis un remblai après chaque construction de chantier mais les agriculteurs peinent à rester optimistes. Un flou persiste sur l’état des terres agricoles après l’arrivée de ces nouvelles canalisations.
La construction des nouveaux pipelines n’est cependant pas définitivement décidée puisque la décision du Préfet des Bouches-du-Rhône sera connue en 2019, lors d’une dernière étude publique.