La Ville de Marseille a voté le 16 octobre 2017, un plan massif pour la reconstruction d’une trentaine d’écoles publiques en très mauvais état avec gymnase et terrain de sport pour chacune d’elles. Pour financer ce programme d’un milliard d’euros, la municipalité a choisi de mettre en place un partenariat public-privé (PPP), qui ne satisfait pas les élus d’opposition. Reportage.
Régulièrement épinglée dans la presse locale et nationale sur la vétusté de certaines de ses écoles primaires, la ville de Marseille a décidé de prendre les choses en main et de voter un projet de reconstruction de 34 écoles publiques pour un montant total de 1,04 milliard d’euros. Pour se faire, la mairie va faire appel à des entreprises privées via un partenariat public-privé (PPP).
« Ce plan prévoit la démolition de 31 établissements existants, qui avaient été construits dans les années 1970 (voir en fin de l’article ndlr), et leur remplacement par 28 nouveaux établissements, la construction de six nouvelles écoles ainsi que la réalisation d’un gymnase et d’un plateau d’évolution pour chacun des établissements », précise Roland Blum, adjoint au maire de Marseille délégué aux Finances et au Budget. Le tout livré en deux tranches : 14 écoles dans un premier temps en juillet 2021 et le reste en 2024 et 2025.
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Quelles écoles sont concernées et pourquoi ?
Les 31 écoles qui vont être démolies sont celles dites « GEEP », des bâtiments préfabriqués conçus avec des structures métalliques. Au nombre de 32, sur les 444 écoles que compte la ville de Marseille, ces bâtiments ne répondent pas aux objectifs environnementaux fixés par la municipalité et leur vieillissement engendre des surcoûts en termes de maintenance et d’entretien. D’où le « Plan école de Marseille » qui prévoit leur remplacement, sauf pour l’établissement de La Roseraie (7e) qui fait actuellement l’objet d’une procédure de modernisation et n’a donc pas été inclus dans le plan.
« On a ciblé dans ce plan les écoles sur lesquelles on ne pouvait plus attendre. On ne parle pas de réhabilitation ici, mais de construction de nouveaux établissements. Les autres écoles méritent des travaux d’entretien mais pas de rénovation ou en tout cas une rénovation légère », met en avant Roland Blum.
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Il y a quelques jours, les parents d’élèves d’une école du 13e arrondissement de Marseille ont tenté d’interpeller les élus de la mairie en leur envoyant un calendrier illustré chaque mois de photos montrant la dégradation de l’établissement comme nous vous en parlions ici.
Pour rappel, en 2017, le budget alloué à l’éducation des Marseillais a représenté 26% du budget total de la ville, soit une augmentation de 15% par rapport à 2016. En tout, cela correspond à 181 millions d’euros en dépenses de fonctionnement et 57 millions d’euros dépenses d’investissement.
Qu’est-ce qu’un PPP ?
Le PPP est un mode de financement qui permet à une collectivité, comme une ville par exemple, de faire appel à des prestataires privés pour financer et gérer un équipement public, comme ici des écoles. L’avantage de ce contrat, est que la municipalité n’a pas à débourser l’argent immédiatement, car elle n’en a pas les moyens. C’est le prestataire privé qui gère et la ville le rembourse sous forme de loyers.
Côté désavantage, un PPP est sur le long terme plus couteux pour la collectivité qu’un investissement en direct, comme l’ont plusieurs fois expliqué le Sénat et la Cour des Comptes. Ces institutions craignent que les PPP aient des « effets néfastes » pour les générations futures qui auront à rembourser les loyers des emprunts passés. Selon elles, les conditions des contrats seraient « encore trop floues pour bien protéger les collectivités locales« . Le rapport est à consulter ici
Pourquoi la Ville de Marseille a choisi d’opter pour un PPP ?
Faute d’argent suffisant dans les caisses, la ville de Marseille a donc opté pour un « accord cadre de partenariat », un mode particulier de PPP, plutôt qu’une Maîtrise d’Ouvrage Publique (MOP) classique, où la ville aurait lancé les appels d’offres et assuré immédiatement le financement de l’ensemble de l’opération.
« Avec le PPP, vous étalez votre dette plus longtemps dans le temps et vous n’êtes pas obligé de débourser l’argent immédiatement. Aujourd’hui, où les collectivités reçoivent de moins en moins de dotations de l’État, c’est plus intéressant pour elles », met en avant Roland Blum. La municipalité remboursera ainsi les 1,04 milliard d’euros à hauteur de 41 millions d’euros pendant 25 ans à partir de la livraison de la première tranche, soit dès 2021.
Pour l’adjoint aux Finances, le recours au PPP a aussi d’autres avantages par rapport à la MOP : ce type de contrat permet à la ville de Marseille d’organiser son appel d’offres en incluant la maintenance sans pour autant la retenir si au dernier moment elle change d’avis. En d’autres termes, si finalement la municipalité souhaite assurer elle même la maintenance des futurs établissements scolaires, le coût annuel du PPP tomberait à 30 millions d’euros au lieu des 41 millions d’euros prévus. Une question qui n’est « pas encore tranchée » pour le moment.
Un argument qui ne convainc pas l’opposition. « Le PPP était une très bonne idée il y a 20 ans, quand on a commencé à considérer que public et privé pouvaient fusionner ensemble et que c’était efficace. Or, en réalité, on a du recul là-dessus et la Cour des comptes et même le Sénat nous disent d’arrêter de faire des recours au PPP car c’est extrêmement nocif pour les finances publiques. On a déjà fait un PPP qui nous coûte « un bras » (celui du stade Vélodrome, ndlr), mais on continue dans une histoire incroyable », fustige Benoît Payan, président du groupe socialiste au conseil municipal de Marseille.
Le PPP pour financer les écoles : une importante hausse d’impôt en vue pour les Marseillais ?
Selon Benoît Payan, le PPP est « extrêmement dangereux pour les finances publiques et pénalise les municipalités comme la nôtre ». « À Marseille, on paye les impôts les plus chers avec des services publics qui ne sont pas à la hauteur, on a très peu de marges de manœuvre et un endettement très important », considère-t-il. « Chaque année, la ville de Marseille consacre 30 millions d’euros pour l’investissement dans les écoles, et désormais on va passer à 41 millions d’euros pour 34 écoles. Qu’est-ce qu’on va faire pour les autres groupes scolaires qui ne sont pas inclus dans le PPP ? Le budget n’est pas extensible donc on va être obligé d’augmenter les impôts de manière extraordinaire, sinon on ne s’en sortira pas », ajoute-t-il.
Si Roland Blum ne dément pas une augmentation d’impôts dans les années à venir, il souligne qu’elle ne sera pas due à ce plan pour les écoles mais à la baisse des dotations de l’État. « On a déjà perdu 160 millions d’euros sur les quatre dernières années et il est évident que ça va continuer », précise-t-il.
Et pour que le PPP n’ait pas d’incidence sur les impôts de Marseille, l’élu le reconnaît, cela va devoir passer par des choix. « On va devoir économiser sur le fonctionnement, mais surtout sur l’investissement. Aujourd’hui, la ville de Marseille investit entre 180 et 200 millions d’euros chaque année. Nous saurons que nous devrons payer environ 40 millions d’euros pour les écoles et 10 millions d’euros pour le stade dans le cadre de leur PPP, donc ça réduira notre marge de manœuvre pour l’investissement. Il nous restera 130 à 150 millions d’euros, ce qui nous obligera à nous centrer sur nos compétences légales et à faire moins de saupoudrage ailleurs. C’est une question de maîtrise », considère l’élu aux Finances.
Une notion de « risque » contestée
Plus précisément, le coût total du plan pour les écoles marseillaises avec le PPP s’élève à 1,036 milliard d’euros répartis de la façon suivante :
- 509 millions d’euros pour l’investissement,
- 286 millions d’euros pour l’exploitation et la maintenance,
- 240 millions d’euros pour les frais financiers (les intérêts)
Cela coûtera 41,3 millions d’euros à la ville tous les ans (20,3 millions d’euros pour l’investissement, 9,5 millions d’euros pour les frais financiers et 11,4 millions d’euros pour l’exploitation).
« Le coût de l’accord cadre de partenariat est 8,6% inférieur à la MOP », souligne Roland Blum. Ce à quoi répond Benoît Payan : « Au départ, la MOP est moins chère de 93 millions d’euros que le PPP. Mais, le bureau d’étude a introduit une notion de risque qui fait que la MOP se retrouve, tout d’un coup, 50 millions d’euros plus chère ! Cela signifie qu’on va payer 150 millions d’euros pour éviter des risques qui n’auront peut-être pas lieu », précise le socialiste.
Une notion de risque qui devait obligatoirement être intégrée dans le budget pour Roland Blum : « Monsieur Payan aurait raison de s’alarmer si on travaillait sur 5 ou 10 écoles sur un lieu précis. Là, on est sur 34 écoles sur différents sites. À partir du moment où on intervient sur autant d’écoles dans un laps de temps si court, il vaut mieux se prémunir », répond-il.
Le PPP mauvais pour l’économie locale ?
L’ensemble des professionnels de la construction (l’Ordre national des architectes, le syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône, la confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), la fédération CINOV (patrons des entreprises d’ingénierie) et le syndicat national du second œuvre (SNSO)) sont aussi montés au créneau pour demander à la ville de Marseille, par courrier, de renoncer au PPP.
« Ce type de montage entraînera inévitablement des surcoûts importants pour le contribuable. Les signataires alertent également la municipalité sur la destruction du tissu économique local que cette procédure qui réduit la mise en concurrence à quelques grands majors du BTP, ne manquera pas de provoquer », met en avant l’Ordre national des architectes.
Pour les professionnels de la construction, puisque l’attributaire du PPP aura en charge le financement, la conception, la construction voire la maintenance des écoles, les grosses structures comme Vinci, Bouygues ou Eiffage récupèreraient la plus grosse part du gâteau. Ne laissant peut-être, aux entreprises locales plus petites, que la sous-traitance.
1 milliard d’€ de commande en moins pour les TPE, PME et artisans. Plombiers, maçons, électriciens, chauffagistes, couvreurs, architectes, géomètres : aucun corps du batiment ne sera épargné… #PPP #BTP #emploi
— Benoît Payan (@BenoitPayan) 15 décembre 2017
De son côté, Roland Blum précise que le PPP sera réalisé en six marchés subséquents qui devraient être répartis en trois vagues de deux marchés conclus sur quatre ans. « L’objectif est de faire en sorte qu’il y ait le maximum d’ouverture à la concurrence, que ce ne soit pas qu’une seule entreprise qui ait la charge des 34 écoles car il faut faire en sorte que le maximum d’entreprises puissent travailler », ajoute l’adjoint aux Finances.
#Voeux2018 @jcgaudin revient à la charge sur la polémique des écoles publiques municipales @marseille et les critiques de l’opposition sur ses choix. cc @BenoitPayan @PSMarseille #Marseille #education pic.twitter.com/3CHsXWoA5T
— Made in Marseille (@MadeMarseille) 8 janvier 2018
Liste des GEEP à Marseille qui vont être remplacés :
- Eugène Cas (4e)
- Amédée Autran Vallon de l’Oriol (7e)
- Flotte (8e)
- Azoulay (8e)
- Etienne Milan (8e)
- Roy d’Espagne Chabrier 0 et 1 (8e)
- Roy d’Espagne 2 et Granados (9e)
- Mazargues Vaccaro (9e)
- Saint Tronc Castel Roc (10e)
- Saint Thys (10e)
- Grande Bastide Cazaulx (12e)
- La Rosière et la Figone (12e)
- Montolivet (12e)
- Les Trois Lucs (12e)
- Les Olives (13e)
- Rose la Garde (13e)
- Bouge (13e)
- Parc des Chartreux (13ème)
- Malpassé les Oliviers B (13e)
- Emile Vayssière 1 (14e)
- Emile Vayssière 2 (14e)
- Maternelle Emile Vayssière (14e)
- Sainte Marthe (14e)
- La Visitation (14e)
- Maurelette (15e)
- Castellas les Lions (15e)
- Aygalades Oasis (15e)
- Saint Louis le Rove (15e)
- Parc Kallisté 1 et 2 (15e)
- Notre Dame Limite (15e)
- Saint André la Castellane (16e)
Les six établissements construits (il s’agit de sites envisagés, la liste n’est pas encore arrêtée de manière définitive) :
- Marceau 2
- Marceau 3
- Docks Libres
- XXL
- Saint Loup
- Château Gombert
Par Agathe Perrier