Marseille lançait en 2005, son premier programme de « rénovation urbaine » à la cité du Plan d’Aou (15e). 12 ans plus tard, 17 nouveaux projets ont vu le jour, la plupart dans les quartiers Nord. Si aujourd’hui, le terme a changé et on parle de « renouvellement urbain », le but reste toujours d’ouvrir les cités sur la ville en y ramenant des emplois et des transports en commun. Dans la réalité, ce dispositif est-il efficace ? Reportage.
Dans les quartiers jugés « difficiles » à Marseille, synonyme pour parler plus précisément des quartiers Nord (13e, 14e, 15e et 16e), la pensée commune les décrit comme des territoires où les règlements de comptes sont légion. Avec une trentaine de victimes par ce biais dans les Bouches-du-Rhône en 2016, dont la majorité à Marseille, les homicides par balles sont bien une réalité. Pour autant, au quotidien, ce sont surtout les difficultés sociales et économiques qui rythment la vie de ces habitants. Pour preuve : le taux de chômage varie de 19% à 27% selon les secteurs, et même plus dans certaines cités marseillaises.
Voir plus loin que la simple requalification de logements
Cette situation à Marseille est bien celle actuelle, décrite notamment avec réalisme dans le livre de Philippe Pujol « La fabrique du monstre : 10 ans d’immersion dans les quartiers nord de Marseille, la zone la plus pauvre d’Europe », sorti en 2016. Pourtant, la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, dite « loi Borloo » du 1er août 2003, laissait présager un autre avenir pour ces territoires. Car, c’est cette loi qui est à l’origine du Programme national de rénovation urbaine (PNRU), qui a permis à Marseille la mise en place de 14 projets de requalification, quasiment tous dans les quartiers Nord de la ville, et dont 80% des chantiers ont été réalisés à l’heure actuelle pour un coût total de 1,2 milliard d’euros. Ce programme, qui devait initialement s’établir sur quatre ans, prévoyait des nouvelles constructions de logements sociaux, des réhabilitations et restructurations lourdes et des démolitions de logements vétustes, dont certains ne seraient pas remplacés, pour ouvrir les cités sur le reste de la ville.
Mais les limites du programme sont apparues. « Refaire un immeuble est important, mais il faudrait revoir aussi l’ensemble, comme les transports, la culture et l’emploi. La mixité dans les quartiers est surtout liée à l’emploi et non pas au logement », met en avant Philippe Pujol. Si le premier PNRU ne semble pas l’avoir intégré, le « Nouveau programme national de renouvellement urbain » (NPNRU), mis en place pour la période 2014-2024, en a fait sa nouvelle politique. « Le renouvellement urbain est fait pour améliorer les conditions de vie des habitants de nos territoires, pas seulement pour refaire des bâtiments », insiste Arlette Fructus, présidente du Groupement d’Intérêt Public Marseille Rénovation Urbaine, l’instance en charge du renouvellement urbain à Marseille, comme pour souligner le changement de cap.
On ne parle d’ailleurs plus désormais de « rénovation » mais de « renouvellement » urbain. Une manière de montrer le changement de direction, mais aussi de rompre avec un mode opératoire qui n’était plus vu d’un bon œil. « Dans les années 1960, le terme de rénovation urbaine a été associé à des opérations parfois un peu radicale avec un côté bulldozer : dans les grandes villes, on rasait tout un quartier dégradé et on envoyait les habitants dans les banlieues. La notion de renouvellement urbain est plus fertile et veut montrer que c’est un processus en continu qui est là pour revaloriser et pas seulement pour tout casser », explique Nicolas Binet, directeur de Marseille Rénovation Urbaine.
Le renouvellement urbain fera-t-il mieux que la rénovation urbaine ?
Sur le papier, le renouvellement urbain devrait aller plus loin que la rénovation urbaine. Cette dernière a été parfois mal vécue par les populations, qui n’étaient pas forcément impliquées dans le processus et ne le maîtrisaient donc pas. Aujourd’hui, avec le renouvellement urbain, la concertation est systématique. « Avoir le témoignage des usagers est fondamental pour la perception des changements », exprime Arlette Fructus. Des changements qui doivent être en adéquation avec leurs attentes et besoins, qui parfois se révèlent très simples : plus d’espaces verts ou plus de lieux de vie pour les enfants. « On a beaucoup appris, à Marseille, sur les modalités de discussion avec les habitants depuis le premier PNRU. Et notamment sur le fait de considérer que le débat dépasse la question stricte du projet urbain : c’est aussi réhabituer un dialogue entre des institutions et des habitants qui ont parfois une certaine distance », ajoute Nicolas Binet.
Le nouveau PNRU accentue aussi davantage la question du brassage, de la mobilité et de l’emploi. Dès l’origine, les projets bénéficiant de subventions pour la rénovation urbaine étaient tenus de clauses d’insertion pour faire travailler les habitants de ces quartiers qui étaient dans une démarche de recherche, de qualification et d’accès à l’emploi. Une façon de les impliquer dans les programmes, même par exemple pour des travaux à petite échelle comme à la cité Malpassé (13ème), pour la réalisation d’espaces de détente et de repos éphémères à destination des résidants.
Aujourd’hui, la question de l’emploi va plus loin puisque le NPNRU mise sur l’implantation d’activités au cœur des cités, comme au Plan d’Aou où des locaux artisanaux se sont installés par exemple. Les services de l’État misent également sur des réunions pour sortir les habitants d’un repli souvent assez négatif et dépréciatif sur eux-mêmes. « On essaye de leur montrer que le travail ne se trouve pas forcément à la porte de chez soi et qu’il faut apprendre à se déplacer », précise Nicolas Binet. Faute de transports en commun, qui devraient toutefois être mieux intégrés au renouvellement urbain, les dispositifs prévoient aussi d’informer les habitants sur comment organiser par exemple des covoiturages afin de pouvoir se déplacer. « Il y a une vraie dynamique économique sur tout le nord marseillais qui est finalement assez bien reliée aux pôles d’emplois du cœur de la métropole », ajoute le directeur.
Le renouvellement urbain a également changé la « mentalité » d’action de la rénovation urbaine : aujourd’hui, la tendance n’est plus à la généralisation des quartiers Nord, mais à l’individualisation des projets. « Chaque programme est un prototype et est un projet à inventer qui s’inscrit dans un territoire différent du programme voisin. Chaque situation est diverse et complexe et on doit s’adapter à la situation et son contexte économique et social », termine Nicolas Binet.
Reste à savoir si les actions du renouvellement urbain permettront de répondre réellement aux difficultés sociales des habitants des quartiers qui en bénéficieront. Si rien n’a encore été conventionné, Nicolas Binet estime que 15 nouveaux projets seront concernés, en plus des 14 de la rénovation urbaine. Parmi eux, la cité de la Castellane, dont une démolition a déjà été réalisée en 2016, et Air-Bel, qui serait le premier chantier de l’Est marseillais.