Depuis plus de 10 ans que Made in Marseille existe, la ville a connu de profondes mutations. Grands événements culturels et sportifs,
bouleversements politiques, drames historiques… Retour sur cinq moments-clés qui ont marqué la décennie passée, et laissé des traces sur le visage de Marseille.
À l’occasion de notre magazine « spécial 10 ans », retrouvez cet article en intégralité également dans notre liseuse interactive.
2013 : capitale culturelle
Il y a un peu plus de 10 ans, le samedi 12 janvier 2013, une foule de plus de 400 000 personnes s’amasse autour du Vieux-Port. À son embouchure, le tout nouveau Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), dessiné par Rudy Ricciotti, n’est pas encore fini. Mais qu’importe, le public a répondu présent pour admirer les défilés et feux d’artifice lançant les hostilités de l’année Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la culture.
Suivront quelque 900 événements durant 12 mois qui révéleront l’enthousiasme des Marseillais pour les grandes manifestations artistiques et populaires, mais aussi pour les grandes infrastructures culturelles. Cédric se souvient avoir franchi pour la première fois, en juin 2013, la passerelle iconique menant au Mucem. Il avait 23 ans. « Je ne m’attendais pas du tout à verser une larme. Et pourtant. Quand j’ai vu ce qu’était devenue l’esplanade du J4, qui était un lieu ignoble avant, ça m’a fait un choc émotionnel. J’ai vu ma ville sous un nouveau jour ».
La Friche la Belle de Mai, repère d’artistes depuis les années 1990, a aussi connu un véritable développement avec Marseille-Provence 2013. « Pour moi, sans les investissements publics engagés lors de l’événement, la Friche n’existerait plus aujourd’hui », estime Fabrice Lextrait qui a participé à la création du site avant d’y tenir le restaurant des Grandes Tables.
L’expert des tiers-lieux et des écosystèmes culturels, comme beaucoup d’observateurs, reconnaît à « l’année capitale » un effet de rayonnement pour la ville et de « promotion de la culture du territoire ». Et ce, malgré des absents, comme le rap et les cultures urbaines. Fabrice Lextrait déplore surtout que « la dynamique, l’élan collectif, entre institutionnels et acteurs culturels, n’aient pas été structurés et entretenus après ». Mais Marseille continue de bénéficier d’un capital culturel acquis en 2013. La Biennale internationale des arts du cirque, le GR2013, le Mucem, la Friche la Belle de Mai ou la Cité des arts de la rue dans les quartiers Nord… L’héritage vit encore.
5 novembre 2018 : l’habitat indigne au centre du viseur
Le 5 novembre 2018, deux immeubles s’effondrent dans l’hypercentre de Marseille, aux numéros 63 et 65 de la rue d’Aubagne. Dans ce dernier, occupé, huit personnes perdent la vie : Marie-Emmanuelle, Simona, Ouloume, Taher, Julien, Fabien, Pape et Cherif. Une vague de panique entraîne l’évacuation de 600 immeubles jugés dangereux et près de 6 000 Marseillais se retrouvent « délogés » dans les mois qui suivent. L’événement révèle surtout la réalité de l’habitat indigne, dégradé et dangereux, qui frappe la ville. Un problème pourtant documenté en amont, avec le rapport Nicol en 2015, ou par des enquêtes, comme celles du journal Marsactu. Il aura fallu un drame pour que la question soit réellement prise au sérieux.
Les services municipaux ont multiplié les inspections en frappant des milliers d’immeubles d’arrêtés de péril. Un permis de louer s’applique désormais dans des quartiers du centre-ville. La loi s’est durcie contre les propriétaires peu scrupuleux ou marchands de sommeil. Mais surtout, une opération d’intérêt national a enfin commencé à réhabiliter l’habitat ancien dégradé. Enfin, un grand procès s’est tenu fin 2024 pour déterminer les responsabilités publiques et privées dans ce drame. Le tribunal se prononcera en juillet 2025. Beaucoup espèrent des peines exemplaires pour ce qu’ils considèrent comme « le procès de l’habitat indigne ».
Aujourd’hui, alors que le vide laissé rue d’Aubagne s’apprête à accueillir un « lieu ressource » et un site mémoriel, on se souvient de la mobilisation populaire historique provoquée par le drame. De l’élan de solidarité envers les victimes et les délogés jusqu’aux manifestations historiques à Marseille. « Les plus nombreuses pour une cause locale depuis le meurtre d’Ibrahim Ali en 1996 par des militants FN », rappelle le journaliste Michel Samson. Du Collectif du 5-Novembre à Un centre-ville pour tous, il note surtout l’organisation sans précédent de la société civile pour faire valoir les droits et la justice pour le logement.
2020 : le virage politique
Pour Michel Samson, à qui l’on doit de nombreux livres, reportages et documentaires décryptant la vie politique et sociale de Marseille depuis plus de 30 ans, « le changement d’équipe municipale en 2020 paraît être une conséquence directe des effondrements de la rue d’Aubagne ». Après 25 ans de mandat, Jean-Claude Gaudin a remis en jeu son siège de maire en laissant ce lourd héritage à la droite locale. En face, la mobilisation citoyenne contre l’habitat indigne a réuni « des dizaines de militants aguerris rejoints par de nombreux novices, qui ont redessiné les politiques urbaines ». Autour d’eux est né un rassemblement de la société civile et des partis de gauche qui a abouti au Printemps marseillais, victorieux dans les urnes, en remportant notamment le fief emblématique de Jean-Claude Gaudin, les 6e et 8e arrondissements.
Mais il serait réducteur de cantonner ce retournement politique à un réveil des citoyens et politiques de gauche. On ne peut omettre la division de la droite locale, les nouveaux venus de la République en marche, le Rassemblement national… sans oublier une pandémie de Covid-19 qui a pu « effrayer les électeurs âgés de la démocratie chrétienne [la droite traditionnelle locale, ndlr]. Beaucoup se sont abstenus alors qu’ils sont d’habitude les plus nombreux à aller voter », retrace Michel Samson en analysant les bureaux de vote. Quoiqu’il en soit, l’observateur de la gouvernance marseillaise reconnaît un phénomène « marquant » de l’histoire politique de la ville.
2021 : Marseille en grand
Le 2 septembre 2021, Emmanuel Macron prononce un discours fleuve au palais du Pharo. Derrière cette déclaration d’amour à Marseille, le président de la République tente de rompre le récit d’une ville laissée-pour compte par la nation. Il pointe les retards en termes de transports, de logements ou de services publics, annonce une série de mesures et d’investissements de l’État pour la cité phocéenne, chiffrée en milliards, et baptise le tout : plan Marseille en grand.
Il s’agit d’abord d’un nom, puisqu’aucun document ne contractualise ces engagements, comme le relève la Chambre régionale des comptes. Toutefois, derrière les mots, l’État a mis la main à la poche en actant des projets d’ampleur. Pour lancer le chantier pharaonique de rénovation de 188 écoles de la ville, il crée une société publique dédiée et engage 400 millions d’euros de subventions.
Côté transports, il met en place un groupement d’intérêt public et promet 500 millions d’aides directes pour 15 projets qui visent, entre autres, à désenclaver les quartiers Nord. Aujourd’hui, plusieurs grands chantiers sont lancés ou dans les tuyaux à Marseille. Les gouvernements et ministres successifs poursuivent leurs visites et continuent de défendre les avancées de Marseille en grand.
2024 : cité olympique
L’image restera gravée. Le 8 mai 2024, escorté par un millier de bateaux, un majestueux trois-mâts du 19e siècle entre dans le Vieux-Port de Marseille, après avoir traversé la Méditerranée depuis la Grèce. Le Belem transporte la flamme olympique qui débarquera ici, dans la cité phocéenne, pour lancer les JO 2024. Devant plus de 150 000 personnes, le fort Saint-Jean se pare d’un tifo gigantesque, la patrouille de France trace le drapeau tricolore dans le ciel, les feux d’artifice éclatent avant que le Marseillais le plus célébré de France, Jul, n’allume le chaudron sur le quai. Rarement le visage de Marseille aura été sublimé de la sorte.
Les images sont diffusées en mondovision. Et elles se répètent en juillet avec les épreuves olympiques de voile dans la rade embellie par sa nouvelle marina olympique, qui deviendra la base nautique municipale des Marseillais. Après avoir accueilli la coupe du monde de rugby et le pape François en 2023, les JO 2024 clôturent une séquence qui aura projeté une lumière rafraîchissante sur Marseille. Peut-être que 2013 en annonçait les prémices. Et que la décennie à venir sera aussi lumineuse ?
Une décennie de chantiers, et autant à venir ?
Quand on évoque la dernière décennie marseillaise, l’historienne passionnée de l’urbanisation de la cité phocéenne, Judith Aziza, répond naturellement « la période des chantiers ». Il y a bien sûr un élément incontournable : l’opération d’intérêt national Euroméditerranée. Un rouleau compresseur de régénération urbaine qui transforme depuis 30 ans 480 hectares du nord de la commune, et change son visage.
Si on parle de silhouette de la ville, comment ne pas évoquer la skyline du quartier d’affaires d’Arenc, où les tours de grande hauteur ont surgi dans le paysage. Mais le centre-ville a aussi changé de profil. Rappelez-vous, il y a 10 ans, le bas de la Canebière était une route goudronnée et non ce vaste espace pavé dédié aux piétons. Comme le Vieux Port, dont la transformation a abouti en 2016. Et qui se souvient du grand parking de bitume qu’était la Plaine ? Le chantier le plus polémique de la décennie a toutefois accouché de la place la plus populaire de la ville. Plus récemment, le rond-point automobile de Castellane est lui aussi devenu une véritable place, en profitant de l’extension du tramway jusqu’à Sainte-Marguerite.
Nous pourrions poursuivre longtemps, en évoquant la nouvelle base nautique du Roucas-Blanc, la requalifiquation de grands axes, comme Lieutaud ou Sakakini, les nouvelles écoles et médiathèques… « Marseille connaît une renaissance depuis quelques années, même si le temps de la fabrique de la ville est long, peut-être plus ici qu’ailleurs », décrit un des bâtisseurs incontournables du territoire, Jean-Baptiste Pietri, à la tête du groupe Constructa fondé par son père. Pour lui, « Marseille a un potentiel de régénération urbaine incroyable par sa configuration étendue et très hétérogène, faite de pleins et de vides. L’héritage d’une ville qui s’est construite autour de villages, et de l’effondrement industriel du 20ème siècle ».
Des vides que les promoteurs comme lui espèrent remplir à l’avenir. Au-delà de l’opportunité économique, « la densité et la verticalité, c’est certainement l’avenir. Pour une ville durable qui ne s’étale plus, pour la crise du logement, et pour la qualité de vie en visant la ville du quart d’heure ». Rendez-vous dans 30 ans pour voir si Marseille a pris de la hauteur.