Dans son atelier du cours d’Estienne d’Orves, Yann Letestu peint Marseille et ses souvenirs de voyage sur d’anciennes cartes marines. L’artiste nous ouvre les portes de sa galerie installée dans un lieu historique de la cité phocéenne.
« Une fois qu’on est là, on y reste ». Même s’il a l’âme d’un globe-trotteur, Yann Letestu ne quitterait son atelier marseillais pour rien au monde. Il faut dire que l’endroit, chargé d’histoire, a de quoi inspirer l’artiste cassidain qui en a fait son QG depuis 2007.
Situé au 25 cours Honoré d’Estienne d’Orves, le lieu est niché dans un bâtiment construit à la fin du 18e siècle, à l’emplacement d’un ancien arsenal qui regroupaient sous Louis XIV les corps de métiers gravitant autour de la construction des galères.
Un atelier au-dessus des Arcenaulx
Au rez-de-chaussée, c’est la librairie des Arcenaulx, connue notamment pour son restaurant et son salon de thé, qui attirent l’œil des passants. Mais un escalier sur le côté conduit les plus curieux vers les étages où sont installés une dizaine d’ateliers. En haut des marches, celui de Yann Letestu est le premier à se dévoiler.
« Cela fait environ cinquante ans que la plupart des espaces sont occupés par des artistes et des artisans d’art, raconte-t-il. Trois ou quatre fois par an, on fait des journées portes ouvertes. Mais le bâtiment est aussi à découvrir à l’occasion des Journées du patrimoine ».
L’adresse, discrète, n’en reste pas moins ouverte au public. « Il y a des gens qui montent par curiosité car ils ne connaissent pas. Ils se disent ‘on va faire un tour de 5 minutes’ et ils restent quatre heures. Parfois, ils reviennent le lendemain avec des amis pour leur faire découvrir les lieux », sourit le peintre.
Invitation au voyage
Les murs de son atelier-galerie sont parsemés de toiles aux paysages épurés. Sur certaines, on reconnait parfois la cité phocéenne. Sur d’autres, on imagine des contrées lointaines.
Si Yann aime faire voyager les gens, c’est sans doute parce que sa vocation d’artiste remonte à sa traversée de l’Atlantique sur un voilier avec sa famille. Pendant que son frère vidait les poissons, lui les dessinait. Ses études aux Beaux-Arts et ses rencontres ont fini par le convaincre de vivre de la peinture.
« J’ai commencé par travailler sur des sujets de marine, mais qui étaient plus tournés vers des paquebots, des scènes de transatlantique, d’embarquement… Et puis il y a eu ce tableau du pont transbordeur de Marseille. C’est celui qui a contribué à me faire davantage connaître en 2013 car il a attiré l’oeil des architectes et des anciens qui l’avaient connu. Et il a intrigué ceux qui ne savaient pas qu’il avait existé [avant sa destruction en 1944] ».
L’inconnu au chapeau
Face au pont transbordeur, un mystérieux personnage chapeauté regarde du côté de Notre-Dame de la Garde. Ce voyageur, « apparu par hasard dans une scène de foule qui s’apprêtait à embarquer à bord d’un paquebot », vagabonde désormais de toile en toile.
« Certains vont voir en lui un Italien, un Irlandais, un Antillais, un Africain ou un Marseillais, énumère l’artiste. Comme on ne voit jamais son visage, tout le monde peut se l’approprier. Il est presque toujours tourné vers un horizon lumineux et dégagé, parce que j’évite les nuages, le côté sombre, l’orage, la tempête. On peut imaginer qu’une nouvelle vie l’attend ».
Cet inconnu au chapeau est un peu devenu sa signature. Il le décline dans les différents lieux qu’il imagine, de l’aéroport de Madrid à la Corniche Kennedy à Marseille, qui sert d’ailleurs de décor au nouveau tableau qui trône sur son établi.
Des cartes marines pour support
En filigrane de ses œuvres, on distingue des cartes marines. Comme il n’affectionne pas les supports neufs, il préfère chiner des cartes anciennes qu’il colle sur ses toiles. Avec le bouche à oreille, certains n’hésitent pas à lui en amener directement à l’atelier, comme « cet ancien boss de la SNCM ».
« On garde souvent des vieux courriers depuis l’adolescence que l’on range dans une boîte. On n’ose pas trop les jeter parce que c’est un peu sentimental mais on ne les lit pas tous les jours. Les cartes, c’est un peu pareil, estime l’artiste. On les a utilisées pour des parcours en bateau mais elles traînent dans des cartons. En me les confiant, les gens n’ont pas l’impression de s’en débarrasser. Ils savent qu’elles vont vivre ».
Ce qu’il aime dans ces cartes qu’il transforme, ce sont « leur forme, leur graphisme, leur état aussi. Comme elles ont vécu, elles sont plus ou moins abîmées ». Tous ces paramètres donnent une orientation à son coup de pinceau. Si l’aquarelle a été son premier terrain de jeu, car il apprécie « sa transparence », il l’enrichit avec l’acrylique et la peinture à l’huile.
Des reproductions signées et numérotées
Quand on lui demande le nombre de toiles qu’il peint chaque année, Yann répond qu’il n’a pas d’objectif de production. Sa création est avant tout rythmée et inspirée par les expositions auxquelles il participe aux quatre coins de la France. Les phares du Finistère, en Bretagne, lui donnent d’ailleurs des idées pour un tableau à venir.
Ses œuvres originales valent parfois plusieurs centaines ou milliers d’euros mais trois font actuellement l’objet de reproductions signées et numérotées, accessibles au prix de 100 euros. Elles sont disponibles directement à son atelier, aux Arcenaulx, au musée Regard de Provence ou encore dans la boutique Wooden Gallery des Voûtes de la Major. La toile représentant la Corniche a par exemple été tirée à 450 exemplaires. « Quand un des sujets sera épuisé, il sera remplacé par un autre ».
À Marseille, l’artiste ne manque de toute façon pas d’inspiration. « Quand je vivais dans mon appartement parisien, je me suis rendu compte que je peignais beaucoup de scènes de désert qui étaient en fait la vue que je n’avais pas », se souvient-il. La lumière du sud lui a dégagé l’horizon. Un horizon que le voyageur au chapeau devrait continuer de fixer, de toile en toile, en attendant peut-être d’embarquer.
Atelier-galerie de Yann Letestu
- Ouvert du mardi au samedi, de 10h à 18h
- 25, cours d’Estienne d’Orves, 13001 Marseille
- Parking cours d’Estienne d’Orves ou métro Vieux-Port