Après plusieurs péripéties, la grande librairie internationale a ouvert le 1er avril, à Belsunce. Art, littérature, esprit salon de thé et coworking vont se tutoyer pour créer du lien dans le quartier.
« Non non, ce n’est pas une blague, assure Anne-Sophie Crespin derrière ses épaisses lunettes noires. On va bien ouvrir le 1er avril ». Elle préfère aujourd’hui en rire, même si son projet de grande librairie internationale à Belsunce (1er) s’est heurté à plusieurs obstacles. Si bien que, début 2023 : « J’ai failli abandonner et chercher ailleurs », confie la passionnée de littérature étrangère.
Mais renoncer à Belsunce, alors qu’elle y vit depuis 20 ans, aurait été un coup dur. Elle aime son quartier, ses mélanges, son entraide, son effervescence. Alors qu’elle est agenouillée sur le trottoir de la devanture, encore taguée, un habitant s’arrête. Il lui propose de travailler sur la végétalisation de sa future terrasse.
Anne-Sophie Crespin, séduite par l’idée, échange son numéro. « Ici, c’est comme ça, tout le monde se parle. Même si la délinquance commence à vraiment monter ». C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles la municipalité mène une politique de préemption des baux commerciaux afin de recréer des noyaux commerçants.
Le local de la librairie est un de ces baux préemptés. La municipalité a lancé un appel à projets sur cet espace de 197 m2 sur deux étages. Anne-Sophie Crespin a donc été retenue en juillet 2022 pour son projet multi-facettes de librairie (polars, mangas, romans graphiques), salon de thé, espace de coworking, galerie d’art et ateliers culturels, que nous vous présentions en avant-première.
De multiples péripéties
Le projet a failli être compromis à cause du sol du bâtiment du propriétaire, le bailleur Marseille Habitat. « En septembre 2022, Marseille Habitat a fait une expertise du sol. Il s’est avéré que le plancher menaçait de s’effondrer, que le sous-sol était inondable et ne pouvait pas recevoir du public, que c’était plein de rats… », se remémore-t-elle, les yeux écarquillés.
Suite à cette expertise, le bailleur a donc entrepris de gros travaux pour reconstruire un plancher plus épais. « Nous avons chiffré ces travaux à près de 170 000 euros pour une reprise intégrale des sols », précise Frédéric Pâris, le directeur de Marseille Habitat. Le bailleur a ainsi terminé les travaux en octobre 2023.
« Je n’ai eu les clés qu’en décembre 2023 », affirme la libraire qui a pris trois mois de retard sur son projet initial. Mais, dans sa malchance, les travaux ne lui ont finalement pas coûté plus cher que 50 000 euros. Et, Marseille Habitat l’exonère de loyers jusqu’à septembre, le temps de lancer son activité.
Un dénouement heureux
Dans trois mois, la façade de cet ancien hôtel du XIXe siècle sera revêtue de bois repeint en violet intense. « La couleur du féminisme, celle des Suffragettes », soutient Anne-Sophie Crespin, en montrant les perspectives envoyées par son cabinet d’architecture d’intérieur Toba, installé rue de la République (2e).
Comme dans son projet initial, Anne Sophie Crespin souhaite en faire une librairie « féministe et LGBTQ+ ». Ce qui a changé, c’est son approche entrepreneuriale. « J’ai eu du temps pour réfléchir et modifier les statuts de ma société en créant une entreprise à missions », se réjouit la fondatrice.
En parallèle, elle a aussi créé une association pour organiser des ateliers culturels et « faire travailler des personnes réfugiées ». La librairie, qui vient de recevoir l’agrément de tiers-lieu, doit ainsi devenir un lieu arty confortable pour boire du thé anglais, manger des scones à la myrtille, en lisant un bouquin.
Une librairie pour faire du lien dans le quartier
Pour autant, la libraire ne perd pas de vue son activité principale : la vente de livres anglais, italiens, espagnols et arabes, finement sourcés. Certaines références sont déjà disponibles sur son site internet. « Pour la littérature arabe, mon fournisseur est italien, car en France, on a peu de livres arabes. On a une histoire compliquée avec cette langue, liée au Maghreb et à la colonisation », raconte l’ancienne archéologue du Proche-Orient ancien.
Si son nouveau rôle de cheffe d’entreprise est récent, puisqu’elle a quitté son job dans une grande entreprise en septembre 2022, sa fibre sociale est plus ancrée. Elle est à l’origine du collectif « Zéro SDF » l’un des partenaires de la création du tiers-lieu Coco Velten. En 2013, la libraire a également travaillé avec le photographe Yohan Brandt pour placarder des photos de sans-abri sur le Palais de la Bourse.
Pour son inauguration le 16 mai, la grande librairie internationale accueillera d’ailleurs sa première exposition de portraits d’habitants et de commerçants de Belsunce, organisée avec ce même photographe. « Ils sont invités à se faire tirer le portrait les 5 et 6 avril. Ensuite, on exposera certaines photos en vitrine pour que tout le quartier puisse en profiter », sourit, espiègle, cette amoureuse de Marseille, de l’art et des gens.
Le studio photo sera installé les 5 et 6 avril dans l’enceinte de la grande librairie internationale pour les habitants et les commerçants, au 3 rue Vincent Scotto (1er). Les protagonistes défileront sous l’objectif du photographe Yohan Brandt. « Il y a beaucoup de réservations », assure Anne-Sophie Crespin. Pour les derniers intéressés, il reste encore des créneaux (réserver ici).