La Fondation Marc Pietri dédiée à l’égalité des chances doit bientôt voir le jour. Pour la première fois, Marie-Victoire Pietri, actionnaire et directrice de la RSE de Constructa, se livre sur sa vie, sa famille, son père et sur l’empire immobilier qu’il a laissé derrière lui, dirigé aujourd’hui par son fils. Rencontre.
Elle a choisi de s’installer côté baie vitrée. Il faut dire que depuis les derniers étages de la tour La Marseillaise, il y a une vue imprenable sur la cité phocéenne. Le regard au loin, Marie-Victoire semble rêveuse, comme happée par la transformation de cette ville aux mille facettes, qu’elle a quittée jadis, pour mieux la retrouver quelques années plus tard.
Au restaurant le « 29 », les premiers clients s’attablent. C’est deux étages plus bas que travaille désormais Marie-Victoire Pietri. Un nom qui résonne avec force au sein de cet édifice de 135 mètres de haut aux trente nuances de bleu-blanc-rouge. Imaginé par l’architecte Jean Nouvel, ce projet phare aux quais d’Arenc a été porté par Constructa. Un groupe bâti, brique après brique, par son père Marc Pietri.
Ma sœur, mon frère et moi, on se considère comme très chanceux d’avoir eu cet homme pour modèle.
Le décès brutal en février 2020 de ce monument de l’immobilier, reconnu à la fois pour son talent, son audace et ses valeurs, a soulevé une vague d’émotion au-delà même de Marseille. « Papa était vraiment notre pilier. Il nous disait toujours : « vous verrez comme vous vous ferez chier quand je vais partir ». C’est tellement vrai, livre-t-elle, pudiquement, esquissant un sourire à la fois timide et nostalgique. Il était toujours en train de faire des blagues ».
Depuis sa disparition, irrémédiablement soudée dans cette douloureuse épreuve, la « famille a trouvé un nouvel équilibre à travers les enfants de ma sœur et les miens. Maman est là, aussi exceptionnelle que mon papa. Ma sœur, mon frère et moi, on se considère comme très chanceux d’avoir eu cet homme pour modèle. On a puisé notre force dans le fait de continuer pour faire honneur à ce qu’il a entrepris », confie la directrice de la RSE de Constructa.
Paris-New York
Actionnaire, elle n’accorde d’ailleurs que peu d’importance à son statut, tant elle intervient sur différents champs, avec comme ligne directrice : continuer de perpétuer l’esprit de famille, « la convivialité, infuser et diffuser » les valeurs humanistes véhiculées par Marc Pietri de son vivant, socle sur lequel repose l’entreprise depuis son origine. Et bien plus. C’est toute une philosophie de vie. Comme son père, l’altruisme est un moteur pour Marie-Victoire qui s’était choisie une autre voie, où l’aspect esthétique et les couleurs restent à peu de choses près les seuls points communs avec les réalisations immobilières.
Dotée d’un sens artistique aiguisé, un brin rebelle, « MV » veut laisser libre cours à son imagination et à son esprit créatif. Les plus grands couturiers bercent son enfance. La mode la passionne, mais surtout le vêtement avec ce qu’il comporte de plus subtil ou de plus éclatant. Plus encore les messages qu’il peut porter. « J’aime jouer avec les formes et les couleurs, avec les matières aussi. Le vêtement peut devenir un formidable atout, aider quelqu’un dans son bien-être et dans son rapport à soi. Lorsqu’on change de vêtements, on peut, d’une certaine manière, changer de personnage », s’amuse-t-elle.
Elle qui a grandi au-dessus des premiers bureaux de Constructa, à la Cadenelle dans le 8e arrondissement, quitte ainsi le cocon familial pour la prestigieuse école américaine « Parsons School of Design », pour y suivre des études de « fashion design ». Sa vie se partage alors entre Paris, capitale mondiale de la mode et la palpitante et tumultueuse New York, qu’elle croque sans se faire engloutir par la « fast(e)-fashion ». Bien au contraire.
Transportée par un vent de bohème chic à la française, la jeune femme fait ses premiers pas pour la griffe de prêt-à-porter Manoush, plébiscitée pour ses créations aux multiples influences, ses coloris vitaminés et sa forte identité.
Très vite, Marie-Victoire revendique son indépendance pour forger l’image d’autres marques au travers de sa propre société de conseils, dédiée à l’aménagement de boutiques. « Je me chargeais de la prise en charge totale, la configuration, créer un univers, une ligne forte pour que ce soit efficace et propice aux ventes ». Les Galeries Lafayette ou Printemps à Paris font régulièrement appel à ses services.
La thérapie par le vêtement
Parallèlement, son parcours est marqué par une expérience dont elle garde un souvenir « extraordinaire ». Grâce à Maryline Bellieux-Vigouroux, fondatrice de Maison Mode Méditerranée (MMM), à Marseille, aujourd’hui présidente du Fonds de dotation, Marie-Victoire intervient de manière bénévole au sein de la Maison de Solenn.
Fondée en 2004, la structure affiliée à l’hôpital public de Cochin, à Paris, propose une prise en charge globale de la santé des adolescents. Une étape de la vie inéluctable où des souffrances peuvent apparaître et se traduire de différentes manières jusqu’aux plus extrêmes.
C’est ainsi qu’aux côtés d’un pédopsychiatre, débutent des séances de thérapie par le vêtement. « Nous recevions des adolescents qui vivaient des situations extrêmement difficiles. Nous avions mis en place une « vétothèque ». C’est comme une bibliothèque, mais pour les vêtements. On échangeait beaucoup, on parlait de la semaine à venir, si des sorties ou des événements étaient prévus et en fonction, on choisissait ensemble trois vêtements, en plus des leurs, avec lesquels on créait des looks ».
Une jolie manière de leur permettre de se réconcilier avec leur image, « d’apprivoiser leur corps à travers le miroir, mais aussi d’apprendre à jouer avec les vêtements lorsqu’on a des complexes ». Une époque où elle fait même intervenir des « copains graphistes pour montrer aux jeunes comment on peut retoucher une taille ou une poitrine, allonger une jambe sur les photos des magazines. Loin de la réalité. C’était une très belle expérience, riche et enrichissante ».
Le goût des autres
Autant que la naissance de son premier enfant, qui bouleverse son quotidien. Comme de nombreuses mères, avec un époux régulièrement à l’étranger, elle jongle entre son rôle de maman et celui de cheffe d’entreprise. Quatre ans plus tard, enceinte du second, le rythme effréné conjugué au désir d’être plus disponible pour ses enfants, la pousse à revenir aux sources.
C’est le début d’une nouvelle vie, toutefois rythmée par tout ce qu’elle a toujours connu. « À la maison, depuis toute petite, tout tournait autour de Constructa, avec beaucoup de dîners professionnels. Je suis née Constructa, j’ai grandi avec Constructa, et je peux même dire que je considère Constructa comme un membre de ma famille ».
Marie-Victoire commence ainsi à travailler aux côtés de son père dans un univers où les chiffres remplacent les indémodables tissus imprimés. D’abord directrice des relations extérieures, elle représente régulièrement son père lors d’événements, tout en s’ouvrant à d’autres horizons.
Je suis née Constructa, j’ai grandi avec Constructa, et je peux même dire que je considère Constructa comme un membre de famille ».
Bien que le concept de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) date du début des années 2000, la prise de conscience, elle, n’est pas si lointaine. Un aspect auquel Marie-Victoire s’intéresse de près quelque temps après son arrivée. Elle retrouve dans ce domaine « ce rapport à l’autre qui me passionne, l’échange. J’ai enfin pu trouver une place dans laquelle je m’épanouis chez Constructa, dit-elle, avant de poursuivre. J’ai eu beaucoup de chance de partager ces moments avec papa. J’ai toujours connu mon père à travers sa vie professionnelle, mais là j’étais au cœur du système, je le voyais évoluer. J’ai beaucoup appris avec lui et je continue d’apprendre aux côtés de mon frère ».
Architecte de profession, Jean-Baptiste a repris les rênes de la société. « Il n’avait jamais dirigé une entreprise de 200 collaborateurs. Chacun a trouvé ses marques et ça se passe très bien. C’est quelqu’un de très différent de mon père, mais en même temps c’est le même », lance-elle dans un éclat de rire.
Un autre style teinté du même fond et de cette exigence presque intrinsèque aux Pietri. « Papa était quelqu’un de très fantasque. Il pouvait nous emmener en voyage du jour au lendemain pour nous faire découvrir les plus belles choses du monde, mais en même temps il était aussi très exigeant, d’abord avec lui-même. Je n’ai jamais vu mon père en vacances. Il travaillait tout le temps. Il a construit un empire qui lui a demandé beaucoup de travail ».
« Ça remet l’église au centre du village »
Élevée dans la culture du « rien n’est impossible », leitmotiv cher à Marc Pietri, Marie-Victoire marche dans ses pas. « Il disait toujours qu’il fallait remettre l’humain au centre, respecter l’autre, la nature… ». Elle a répondu sans aucune hésitation à l’appel des Apprentis d’Auteuil en ouvrant sa maison pour permettre à de jeunes adultes issus des quartiers prioritaires d’apprendre à nager. « J’ai été tellement touchée par ces jeunes que j’intimidais énormément, ça me paraissait fou d’ailleurs. Mais je leur ai dit que nous avions des choses à faire ensemble. Et on a fait plein de choses ».
Par son biais, grâce au Cercle des nageurs, ils ont pu finir leur apprentissage l’hiver. « Appréhender la mer englobe beaucoup de choses. Lorsqu’ils apprennent à nager en mer, qu’ils l’apprécient, je pense aussi qu’ils sont plus sensibles à sa protection. C’est un cercle vertueux ». La rencontre « qui les a le plus embarqués », c’est avec le nageur Fabien Gilot, au « 29 ». « Il leur a raconté son histoire et à quel point c’était possible de réussir en se donnant les moyens d’y arriver ».
Visite de la « TLM » jusque sur son toit, remise des diplômes, atelier de mixologie (cocktail sans alcool) au MX aux Docks Village, ou encore cours de danse afro avec la tornade Maryam Kaba… « Pour nous, il s’agit juste d’ouvrir notre carnet d’adresses. Pour eux, ça ouvre un champ des possibles. Ça leur donne la niaque, l’envie d’avancer. C’est aussi extrêmement enrichissant. Je suis toujours émerveillée de l’échange humain. Et comme disait mon père : « Ça remet l’église au centre du village ». Je vais continuer. C’est une conviction chez moi, ça fait partie de mon éducation ».
Les premières orientations de la Fondation Marc Pietri
Cette suite s’écrit entre autres à travers la création prochaine de la « Fondation Marc Pietri », dédiée à l’égalité des chances. Sous l’égide de la Fondation de France, les premières actions seront orientées sur la situation des femmes isolées et victimes de violences, sur la monoparentalité, mais aussi le mal-logement. « C’est quelque chose que mon père voulait absolument. Les dernières années de sa vie, il voulait que Constructa travaille sur des concepts d’immeubles pour des familles monoparentales. C’était un visionnaire sur un certain nombre de sujets ».
Marie-Victoire travaille actuellement avec Nacera Bouaza, co-fondatrice de Vivre et Habiter. Elle qui a vécu pendant 10 ans avec sa famille dans un logement trop petit, avant d’être relogée au terme d’un parcours du combattant, milite pour un logement pour tous. Cette structure de l’économie sociale et solidaire, basée à Sarcelles, fait le lien entre demandeurs de logement et bailleurs sociaux pour aider les familles à constituer leur dossier et à trouver rapidement un appartement adapté.
Avec Constructa, elle travaille à l’installation de tiny-house, ces petites maisons en bois mobiles, pour aller à la rencontre des publics éloignés et les rapprocher de l’accès au logement. Un concept qui pourrait se déployer ensuite dans la cité phocéenne, avec l’ambition d’être une solution transitoire pour les femmes victimes de violences conjugales.
La Fondation devrait aussi s’appuyer sur des initiatives déjà en cours, à l’instar « d’Entreprendre pour toi », coordonnée par la fondation Onet. Plusieurs entreprises majeures du territoire ont pris part à cette démarche lancée en octobre 2021. Dans ce cadre, les collaborateurs de Constructa proposent du mécénat de compétences. « Ce qui est important, c’est de rester dans le périmètre que je me suis fixé, celui de l’égalité des chances, mais j’ai vraiment envie de coller aux besoins du territoire, avec des sujets qui ressemblent à Constructa, en m’appuyant sur un état des lieux précis et sans me précipiter », dit-elle, quand une anecdote reflétant « parfaitement les engagements de Constructa », lui revient en mémoire.
Les tortues de Floride
Direction South Beach, milieu des années 90. Le programme « 1500 Ocean Drive », dont la conception a été confiée à l’architecte américain Michael Graves, doit voir le jour au cœur du quartier Art déco de Miami Beach, sur un terrain de près d’un hectare en bord de mer. Mais problème.
L’un des immeubles en construction prive la plage de lumière et menace la ponte des œufs des tortues de Floride. « L’association de protection des tortues de Floride est venue voir mon père, en exposant la problématique. Pour résoudre la situation, il a travaillé avec les membres afin de trouver un système qui laissait passer la lumière. Il a été durant de nombreuses années le mécène de cette association et a fait de la tortue l’emblème de ce programme. Il s’est adapté aux besoins. C’était ça, Marc Pietri », raconte Marie-Victoire avec fierté. Même s’il « n’aurait sans doute pas voulu qu’elle porte son nom », elle sait que son père « serait fier » de la création de cette Fondation à l’image d’une vie. Tout simplement.