Poids lourd dans l’univers de la cosmétique, l’Occitane mise sur l’agroécologie en soutenant les petits producteurs locaux. Le groupe favorise le retour de la biodiversité sur les exploitations agricoles, tout en assurant la qualité de ses matières premières. Reportage sur les terres de Provence.
C’est une petite route de campagne légèrement sinueuse qui nous mène au pied du massif du Concors, sur le grand site de la Sainte-Victoire, un site classé Natura 2000 par l’Union européenne. Tout au bout, entre champs de lavandins et herbes aromatiques, se dresse un imposant mas provençal du 17e siècle.
Au milieu d’un vaste domaine agricole, une ancienne ferme restaurée il y a une vingtaine d’années et transformée en maison d’hôtes. Les propriétaires des lieux, les Mary, ont laissé derrière eux la luxuriante île de la Réunion, où ils se sont rencontrés, pour s’installer au milieu des collines de Provence, sur la commune de Jouques près d’Aix-en-Provence avec le désir de revenir à la terre, à l’authenticité.
Leur quotidien se partage entre l’accueil des touristes venus du monde entier et leur production agricole bio, que le couple entretient « avec amour ». Sur leur parcelle de 10 hectares, entourée de forêts, poussent lavandin, thym, romarin et une verveine rare et précieuse cultivée sur un hectare dans cet environnement préservé. « La plante en elle-même n’est pas rare, c’est la manière dont elle est cultivée qui lui confère cette rareté », précise Jean-Charles Lhommet, directeur du service « biodiversité et filières durables » de l’Occitane. Créé en 2008, ce département compte neuf agronomes.
Les agriculteurs, l’âme de l’Occitane
Depuis 2016, Philippe et Magalie Mary travaillent avec le groupe de cosmétique français qu’ils fournissent de cette plante au parfum citronné. « On passe beaucoup de temps sur notre parcelle, on accorde beaucoup d’attention au quotidien à nos plantes, un peu à la manière d’un maraîcher », sourit Philippe.
Grâce à la qualité du terroir et ce soin apporté par les agriculteurs, cette verveine vive, aux notes olfactives puissantes, est utilisée comme ingrédient principal de l’eau florale biologique de la collection rafraîchissante de parfums et de soins vendue à travers le monde.
En France, la culture de verveine est assez confidentielle. C’était pour le groupe « un pari audacieux que de produire de la verveine en France, mais nous voulions être engagés dans une démarche qui a du sens. Elle est produite différemment et pour nous il était intéressant d’avoir ce lien renforcé avec les agriculteurs qui sont l’âme de l’Occitane », poursuit Jean-Charles.
L’agroécologie, un modèle d’avenir
Afin de développer, sécuriser et assurer la traçabilité des ingrédients iconiques de l’Occitane, comme le karité produit au Burkina Faso, l’immortelle de Corse ou encore l’amande, la verveine et la lavande qui fleurissent sur les terres de Provence, le groupe travaille en lien étroit avec les producteurs partenaires en les accompagnant dans leur transition écologique.
Et au regard de son ancrage territorial et de partenariats historiques, il est apparu « comme une évidence » à l’entreprise, fondée en 1976 dans les Alpes-Haute-Provence, de s’appuyer sur le principe de l’agroécologie.
Ce modèle « qui permet de faire revenir la vie dans le sol par la mise en place de couverts et d’arbres, d’avoir une biodiversité intéressante sur les parcelles et qui permet également de répondre aux enjeux du changement climatique par la séquestration de carbone, par la microclimatisation des parcelles, nous semblait être la bonne voie, explique Justine Humbert, responsable de l’équipe « biodiversité et filières durables » chez l’Occitane. Ça permettait d’embarquer tout le monde dans cette dynamique. C’est aussi une philosophie qui s’applique à tous les terroirs », poursuit l’agronome, la première recrutée par le groupe il y a dix ans.
L’agroécologie constitue aujourd’hui pour l’Occitane l’unique réponse possible pour assurer des exploitations rentables en dépit du changement climatique, de garantir la préservation et la régénération de la biodiversité, et le futur des générations à venir.
Pour une agriculture durable et vertueuse
Pour encourager l’agriculture régénératrice en Méditerranée, le groupe a ainsi initié la création du collectif « Agroécologie et commerce équitable » qui regroupe une quinzaine de producteurs, dont les Mary. Ils sont accompagnés techniquement par les ingénieurs agronomes de l’Occitane vers un mode d’agriculture plus résilient. « La biodiversité est un cheval de bataille très important pour notre petit environnement et l’Occitane nous aide à le faire vivre », ajoute Philippe Mary, président du collectif.
En 2018, le groupe a financé un diagnostic de la biodiversité existante sur ses terres d’un montant de près de 10 000 euros, mettant au jour un écosystème « assez riche », ainsi que la présence d’espèces protégées de la flore et la faune. Le lézard ocellé ou la huppe ont trouvé gîtes et couverts chez les Mary.
Cette analyse a également donné lieu à des recommandations comme la mise en place de nichoirs pour chauves-souris et oiseaux, fournis par l’Occitane. « On a toujours eu cette volonté de préserver et d’améliorer le lieu, d’offrir à la nature des milieux où l’on n’intervient pas et d’autres qu’on couvre », ajoute Philippe. Outre l’utilisation d’habitats de vie sauvage pour les oiseaux et insectes, il utilise des méthodes biologiques telles que l’utilisation de cultures de couvertures végétales et la diversification des haies.
Moins de rendement de l’arbre mais des fruits d’une meilleure qualité
Dans les Alpes-Haute-Provence, Jean-Pierre Jaubert a lui aussi décidé de s’engager dans des pratiques durables agricoles. Sur le plateau de Valensole, réputé pour ses champs de lavandes, s’élèvent ses amandiers.
Jean-Pierre a vu les choses en grand dès le départ. C’est en discutant, un jour de 2022, avec Olivier Bossan, président de l’Occitane, qui se penche à l’époque sur une ligne de soins dont l’ingrédient central est l’amande, que « d’un coup, je plante 25 hectares, ça a marché du feu de dieu et j’ai planté 25 hectares supplémentaires », raconte l’agriculteur qui a repris l’exploitation familiale en 1979.
Aujourd’hui, avec ses 22 000 amandiers replantés de variétés typiquement provençales, qui s’étendent sur 80 hectares, Jean-Pierre Jaubert est le principal producteur français de l’Occitane et contribue à la relance de la filière de l’amandiculture dans le sud de la France. « J’avais envie depuis un certain temps de replanter des amandiers et de revenir aux cultures traditionnelles », explique-t-il, tout en nous montrant du doigt une machine de conception artisanale.
Cette machine sert à nettoyer le pied des arbres où il envoie « de l’engrais organique de poules ou de moutons », dit-il avec tact. « Avec l’agroécologie, on exige moins de rendement de l’arbre, mais on en obtient des fruits d’une qualité incomparable, d’autant plus sur le plateau de Valensole. Il fait froid et cela rend les amandiers plus résistants. Un arbre, s’il souffre un peu, vous fait un meilleur fruit ».
Les défis liés aux changements de pratiques agricoles
Si Jean-Pierre ne pratique pas l’agriculture bio, depuis près de deux ans, il s’est lancé dans l’agroécologie, testant différents procédés. Il a opté progressivement pour la couverture végétale, créé un bassin de récupération des eaux de pluie afin de ne pas surexploiter les rivières alentours et installé 300 ruches autour des amandiers.
Le fait de couvrir les sols, de réintroduire les arbres, d’utiliser des engrais organiques, lui permet de rétablir un équilibre de l’écosystème cultivé. « Toutes les racines qu’il fallait labourer, creuser, arracher, aujourd’hui ce sont elles qui font le travail, simplement par compensation», livre l’agriculteur, constatant que ces amandiers résistent mieux à la sècheresse et à certaines maladies depuis quelques années.
Replacer la biodiversité au centre de la production, c’est ce qui importe à Jean-Pierre qui a rejoint le collectif « Agroécologie et commerce équitable ». « Mais expérimenter, ça coûte quand même », poursuit-il, pestant contre les mulots qui se sont attaqués à ses arbres. « J’ai perdu un hectare. À 10 000 euros l’hectare, sachant qu’il faut 5 ans pour que les arbres commencent à produire… », calcule le producteur sans terminer, arrachant une branche qui servira à réaliser un perchoir. « Les buses vont pouvoir s’y poser et lutter contre l’invasion », poursuit-il, sans perdre son objectif de vue de cultiver autrement. Le mélilot servira aussi de répulsif naturel.
Pour les agriculteurs, la mise en place de ces nouveaux systèmes de culture agroécologique induit une nécessaire prise de risques, inhérente à toute démarche pionnière. « Il faut trouver un écosystème le plus proche de la nature. L’écosystème repose sur un équilibre et lorsqu’on change de pratiques cela peut demander plusieurs années pour le trouver », note Justine.
En agroécologie, chaque avancée induit de nouveaux défis pour lesquelles la dynamique collective constitue un levier essentiel, comme celle qui anime l’association « Agroécologie et commerce équitable ».
Ces nouveaux paysans-chercheurs
La force du collectif réside dans la présence d’exploitations familiales très diversifiées. Rose, verveine, immortelle, amande… Exit la concurrence, et place « à des discussions plus fluides permettant d’ouvrir un peu plus l’imaginaire sur les pratiques et sur des territoires variés d’Ardèche, de Corse et de Provence », poursuit Justine. Le partage de pratiques vertueuses et la mutualisation des savoir-faire entre les producteurs est au cœur de la démarche.
Les partenariats avec ces paysans-chercheurs sont poussés jusqu’à la « recherche collaborative avec ceux qui savent faire le mieux », souligne Justine. Chez les Mary, la tradition s’accompagne d’une recherche constante d’innovation. Un « jardin prospectif » va bientôt voir le jour sur un quart d’hectare de leur parcelle pour tester une dizaine de variétés de plantes, « essayer plusieurs extractions possibles, soit pour une nouvelle gamme de produits, soit pour remplacer des ingrédients chimiques par des ingrédients d’origine naturelle », annonce Magalie, « excitée » par le projet dans son ensemble « qui a redynamisé notre production ».
À l’issue de plusieurs années d’expérimentation, les résultats obtenus seront partagés avec d’autres acteurs du monde agricole. L’association donnera accès à l’ensemble de ces données en open source, dans l’optique d’accélérer la diffusion des connaissances en matière d’agroécologie. « On espère trouver ici plein de solutions, comme on l’a fait au Burkina Faso, mais ce n’est pas concevable de les garder pour nous, exprime Jean-Charles Lhommet. Nous sommes presque en train de parler de bien commun, de la planète. Il faut que cela puisse bénéficier aux autres et ça ne va pas nous enlever des parts de marché ».
Certification en commerce équitable à l’horizon 2025 pour une agriculture durable
C’est la raison pour laquelle, le diagnostic de départ « était important pour chacun des agriculteurs afin de déterminer précisément la meilleure manière de les accompagner, mais parce que pour nous il n’y a pas de transition écologique sans équité économique », poursuit Justine.
Fort de son expérience sur la filière d’approvisionnement en beurre de karité équitable au Burkina Faso, fabriqué selon des méthodes traditionnelles, directement auprès des coopératives de femmes, sans intermédiaire, l’un des principaux objectifs du groupe est de finaliser des certifications de commerce équitable avec tous ses producteurs d’ingrédients emblématiques d’ici à 2025. « Les démarches administratives sont lourdes et longues, mais nous avons observé ce que cela apportait sur le long terme et les garde-fous. On ne perd pas de vue que nous sommes liés aux consommateurs pour lesquels la transparence devient de plus en plus importante, poursuit l’agronome. Cette certification nous oblige à une amélioration continue. L’autre avantage, c’est le reversement d’un pourcentage à un collectif, ce qui va nous permettre de financer certains aspects de l’agroécologie. Cela crée un cercle vertueux ».
Cette certification garantit des contrats pluriannuels de trois ans minimum, ou encore un prix rémunérateur couvrant les coûts de production et permettant aux producteurs de vivre dignement de leur exploitation. « Elle constitue le socle indispensable à leur transition écologique, en assurant la pérennité de leur exploitation et en leur permettant d’investir sur l’avenir ».