Différentes structures de producteurs de lavandes des Alpes-de-Haute-Provence, du Vaucluse et de la Drôme ont officiellement lancé la démarche de candidature de l’or bleu au patrimoine mondial de l’Unesco.
Et si l’or bleu entrait au patrimoine mondial de l’Unesco ? C’est ce que souhaitent un grand nombre de structures, de producteurs, de scientifiques, de photographes, d’artistes et poètes, de parfumeurs…
À l’orée de la récolte annuelle de lavandes, un événement était organisé dans les Alpes-de-Haute-Provence (04), le Vaucluse (84) et la Drôme (26) pour affirmer cette volonté commune, et marquer officiellement le début du long processus pour la reconnaissance de la lavande au patrimoine mondial de l’Unesco des « paysages olfactifs et poétiques de lavandes ».
Pour affirmer leur soutien à cette démarche, parlementaires, représentants des collectivités locales et départementales, étaient présents à l’occasion de cette journée, initiée par différentes structures tels que le Comité des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (CPPARM), de la Commanderie de la lavande, des producteurs de plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) ou encore l’Université des Saveurs et des senteurs (UESS) de Forcalquier.
La France, leader mondial de production l’huile essentielle de lavandin
Fin 2018, les savoir-faire liés au parfum de Grasse entrent au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité de l’Unesco. « Il ne s’agissait pas pour nous d’aller sur le même registre, c’est pourquoi nous avons plutôt retenu cette notion de paysage et particulièrement cette caractéristique d’olfactifs et poétiques, parce qu’au regard de l’Unesco, la culture de la lavande ne prend son essor qu’après la Seconde Guerre mondiale, explique Xavier Lemonde, directeur de l’UESS. Pour l’Unesco, ce n’est pas si vieux que ça, mais on voit bien qu’en 70 ans, cette culture a profondément imprégné l’identité de la Provence et que tout un imaginaire s’est développé autour de la lavande ».
Une candidature « à haute valeur ajoutée historique, économique, et touristique », estiment les professionnels. La production de lavande et de lavandin est concentrée sur les trois départements du Sud-Est de la France, soit 28 889 hectares des superficies nationales, d’après les données de la Pac/FranceAgriMer. Les Alpes-de-Haute-Provence arrivent en tête avec 13 572 ha, devant la Drôme (8 686 ha) et le Vaucluse (6 631 ha).
En 2020, 2 000 exploitations agricoles et plus de 150 distilleries étaient recensées sur le territoire national. Les lavandes et lavandins sont cultivés en majeure partie pour la production d’huiles essentielles et dans une moindre mesure pour les fleurs et bouquets.
La France est d’ailleurs le leader mondial de la production d’huile essentielle de lavandin avec plus de 2000 tonnes produites annuellement, et le deuxième pays après la Bulgarie pour l’huile essentielle de lavande avec près de 150 tonnes produites en 2021.
Un patrimoine, une culture et un savoir-faire vieux de 2000 ans
Au-delà de l’aspect économique, cet élément majeur dans la cosmétique et la parfumerie, mais aussi dans l’apiculture avec le miel de lavande, représente tout un pan de la tradition provençale. Lors de la période de floraison, de très nombreux touristes du monde entier, particulièrement des pays asiatiques, viennent s’émerveiller dans les champs de lavande. Ces paysages magnifiés ont inspiré des coups de crayon, des plumes et des pinceaux.
En 2020, environ 60 000 touristes asiatiques ont traversé le département du 04 pour faire une halte sur le plateau de Valensole. Escale incontournable, depuis les années 2000, propice à de nombreux selfies et photos souvenirs. Sans oublier un savoir-faire vieux de plus de 2000 ans.
Démontrer la valeur universelle exceptionnelle de la lavande
La route vers la reconnaissance mondiale par l’Unesco est longue et complexe. « Nous devons prouver que nos paysages culturels ont une valeur universelle exceptionnelle et cocher au moins l’un des 10 critères de sélection établis par l’Unesco », précise Xavier Lemonde.
Parmi eux : représenter un chef-d’œuvre du génie du créateur humain ; apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue ou encore représenter des phénomènes naturels ou des aires d’une beauté naturelle et d’une importance esthétique exceptionnelle…
« Le travail qui sera conduit pour arriver à déposer cette candidature vise à caractériser ces paysages, répertoriés tout ce qui relève du champ artistique que ce soit de la littérature, de la photographie, de la peinture… Des événements populaires aussi comme les fêtes locales… », poursuit le directeur de l’Université des saveurs et des senteurs. Elle va, pour sa part, inventorier toutes les ressources bibliographiques contribuant à apporter la preuve de la valeur universelle exceptionnelle de la lavande.
La série d’éléments répertoriés place cette candidature dans dans le cadre de la Convention de l’Unesco de 1972, qui fêtera d’ailleurs son 50e anniversaire dans quelques semaines. En 1972, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture signe la Convention pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel qui entérine le rôle de l’Unesco pour la conservation de cet héritage. Depuis, 194 pays l’ont rejointe afin de sauvegarder près de 1 154 sites, dont 218 naturels et 39 mixtes.
Pour une candidature collective et co-construite
« Nous voulons fédérer tous les acteurs du tourisme, du monde économique, de la culture des territoires historiques pour porter une candidature commune et déposer un dossier construit collectivement », ajoute Laurent Depieds, président du Comité des plantes aromatiques et médicinales (CPPARM) et de l’UESS.
Il pourra compter sur l’appui des structures agricoles inter-départementales pour fédérer les trois départements : « un réseau est déjà structuré à travers les lavandiculteurs sur la zone de production qui va de la Drôme au plateau de Valensole », reprend Xavier Lemonde, précisant que la journée organisée début juillet, visait aussi à aller chercher le soutien indispensable des élus et des pouvoirs publics « car la candidature doit d’abord être portée localement, transmise au ministère de la Culture car c’est la France qui doit la présenter à l’Unesco ».
Elaborer la feuille de route avec des experts
Reste que pour élaborer la feuille de route, la priorité est de créer le comité de pilotage. Un groupement d’experts scientifiques, culturels, issus du milieu artistique, de l’entreprise… « pour apporter toutes les compétences et défendre cette candidature, tenir les objectifs et respecter le calendrier », ajoute Laurent Depieds. Le CPPARM a d’ailleurs fait appel à la grande spécialiste du sujet Nadia Bedar.
C’est elle qui a mené la candidature liée aux savoir-faire des parfums de Grasse avec succès et travaille actuellement sur la démarche de candidature pour l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco des savoir-faire liés à la ganterie en Pays de Millau.
Le groupement devra d’abord plancher sur une étape clé, essentielle pour la suite. Car la lavande doit d’abord intégrer la liste des 49 Biens français émargés sur les listes de l’Unesco, dont deux en résonance directe avec la candidature du secteur de la lavande : Les Causses et les Cévennes pour l’agropastoralisme reconnu en 2011, et en 2015, les Climats du vignoble de Bourgogne.
« J’y crois »
Il faudra entre 5 et 10 ans pour mener cette candidature à son terme. Un délai qui n’effraie en rien Alain Aubanel, président du Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises (CIEHF), habitué à traiter des dossiers « qui ont pris 10 ou 15 ans. Il y a un énorme travail, ça passera vite ».
Le CIEHF apportera une contribution financière et plus spécifiquement des moyens humains pour faire la promotion de cette initiative. « Notre job, c’est aussi de faire de la mise en relation et d’expliquer », dit-il, confiant dans l’issue de cet ambitieux projet. « La lavande le mérite à plus d’un titre : elle a toutes les qualités, elle façonne des paysages, c’est joli esthétiquement. Nos paysages de lavandes sont assez exceptionnels. On ne les voit pas de partout. C’est l’une des seules plantes qui mobilise les foules, attire des millions de personnes, c’est un savoir-faire ancestral, ça sent bon et ça soigne. En gros, tous les gens qui sont au coin du champ, ça ne leur apporte que du bonheur ».