Durant la saison estivale, des Marseillais ont prêté leur piscine pour permettre à des jeunes de 16 ans et plus, issus des quartiers prioritaires, d’apprendre à nager. Cette initiative encadrée et lancée par des entrepreneurs engagés porte ses fruits. Retour sur une expérience qui se poursuit cet hiver au Cercle des nageurs.
Raoul fait les derniers préparatifs dans sa maison située dans le quartier de Malpassé (13e). Avec son épuisette, il retire les dernières feuilles qui flottent dans la piscine, car dans quelques minutes, plusieurs jeunes vont participer à un cours de natation.
Durant toute la saison estivale, à l’image de Raoul, des Marseillais ont décidé d’ouvrir leurs portes à des adolescents de 16 ans et plus, issus des quartiers prioritaires de la ville, pour leur permettre d’apprendre à nager, dans un cadre plus intimiste, sécurisé et loin des regards inquisiteurs. Si pour certains, c’est le premier grand plongeon, d’autres ont déjà effectué quelques séances, le plus difficile dans cette démarche étant de se jeter à l’eau.
L’idée est née il y a quelques mois, à l’occasion d’une discussion dans une piscine chez l’entrepreneur Christophe Barolotto, co-fondateur de l’entreprise MailnBlack, spécialiste des solutions de sécurité informatique et de Provepharm, dans l’industrie pharmaceutique. Elle est portée par Impact Jeunes, dispositif créé par Apprentis d’Auteuil avec le soutien de différents acteurs du territoire comme La Fabrique du Nous, de l’entrepreneur social Tarik Ghezali, ou encore Marseille Solutions.
Jri : Maroine Jit
Trois priorités
Cette initiative part d’un constat sans appel : « 75 % des jeunes qui arrivent en sixième dans les collèges REP + ne savent pas nager, explique Nathalie Gatellier-Vignalou, responsable du dispositif Impact Jeunes. C’est à la fois une humiliation dans une ville comme Marseille avec 60 kilomètres de côte, et en même temps, c’est priver les jeunes de plein d’opportunités d’emploi dans les métiers de la mer, de la croisière, ou de la réparation navale, mais aussi aux formations de surveillants de baignade qui amènent à des métiers en tension. Et puis, c’est aussi les priver de loisirs ».
L’opération pilote a eu lieu au moins de juin, après un appel lancé sur les réseaux sociaux. « À notre grande surprise, nous avons eu beaucoup de réponses, notamment de personnes dans le 13e arrondissement, poursuit Nathalie. On a commencé avec un couple qui, avec grande confiance, a ouvert sa piscine, en accueillant cinq jeunes qui voulaient passer leur diplôme de surveillant de baignade et qui ont pu trouver un job d’été grâce à ça ».
« Ça fait tomber les préjugés »
C’est avec enthousiasme que Marjorie et Antoine Bongiorno, domiciliés à La Rose ont prêté leur piscine, puis trois autres couples, à l’image de Sophie et Raoul Benoît du Rey. « Ma maison a toujours été ouverte. Pour moi, ouvrir ma maison ne pose aucune difficulté. J’ai trouvé ces jeunes très motivés pour apprendre à nager », nous confie Raoul.
Motivés et assidus. C’est le cas de Moudasser, impatient de « tester les compétences acquises dans la mer de Marseille », nous confie-t-il entre deux brasses. Ce jeune réfugié soudanais, arrivé à Marseille il y a 3 ans, s’est dit « surpris » d’un accueil aussi « chaleureux. Je pense que faire des compliments à Raoul ne sera jamais assez suffisant. Il nous a ouvert sa porte, il nous aide, il nous a fait confiance et ça fait chaud au cœur », poursuit l’apprenti nageur.
Un étonnement vis-à-vis de cette ouverture, dont font souvent part les jeunes, selon Ismael, le maître-nageur, « car ce sont deux mondes qui évoluent en parallèle qui ne se côtoient pas dans la vie de tous les jours. Des jeunes nous disent : « ils ne nous connaissent pas, ils nous ouvrent leurs portes, ils n’ont pas peur de nous ». Eh bien, non, et cette expérience fait tomber tous les préjugés d’un côté comme de l’autre, et je trouve ça génial ».
Un dispositif encadré
Ce professeur d’EPS a d’emblée été séduit par ce projet, car au-delà de l’aspect lien social et loisirs, c’est pour beaucoup la chance de se former. « Que cette finalité puisse être atteinte, c’est-à-dire sortir diplômés pour ceux qui le désirent, aller sur le BNSSA (qui permet de devenir nageur sauveteur, ndlr) et pourquoi pas devenir maître-nageur, car on en manque en France c’est important. Certains étaient très très motivés, car quand on a démarré, la température de l’eau était à 15-16 degrés », raconte Ismael, tout en encourageant ses élèves : « Allez, plus vous allez faire de longueurs, mieux c’est ».
Avec deux autres professeurs de natation agréés, il a encadré des groupes composés de 5 jeunes à raison de 10 heures de cours, soit une heure par semaine. Le coût de cette opération revient à 280 euros par jeune (incluant l’indemnité du maître-nageur, les frais de coordinations, la mobilisation des jeunes et des particuliers…), financé par Impact Jeunes. L’action a aussi reçu l’appui également du centre social Lagarde, du Lab des Possibles de la Métropole Aix-Marseille et le soutien du Collectif #Marseille Fraternelle.
Objectif : 15 piscines pour l’été 2022
Bilan ? 28 jeunes ont profité de cette expérience dans les piscines de 4 particuliers. À l’issue, 5 ont pu rentrer en formation surveillant de baignade. Les autres pourront poursuivre cet hiver au Cercle des nageurs, grâce à l’appui de Constructa et à la piscine des Dauphins pour obtenir le diplôme de 25 mètres, voire celui de surveillant de baignade.
Avant l’été 2022, l’objectif est de mobiliser dans toute la ville des particuliers « désireux de rencontrer des jeunes motivés ». Soit une quinzaine de piscines pour former 75 jeunes, répartis en 15 groupes. Alors qui est prêt à se jeter à l’eau ?