En 2025, le contrat qui lie la Ville de Marseille à Sodexo, société en charge de la restauration scolaire, arrivera à son terme.
Alors que la Ville planche sur la construction d’un modèle alternatif pour imaginer les cantines de demain, quelles relations entretient-elle avec Sodexo dont la situation monopolistique dérange ? Souvent sous le joug des critiques et habituellement peu prompt à prendre la parole, pour la première fois, le leader mondial de la restauration collective a accepté de revenir sur le contenu des assiettes des cantines de Marseille, la philosophie de l’entreprise et ses relations avec la nouvelle majorité municipale. Notre dossier.
« Alors, qu’est-ce que tu as mangé à la cantine aujourd’hui ? ». Depuis plus d’un mois, des millions d’élèves ont repris le chemin de l’école, et dans le même temps, celui de la cantine. À Marseille, Sodexo (Société d’exploitation hôtelière), leader mondial des services de « qualité de vie », détient seul le marché de la restauration scolaire.
Fondée dans la cité phocéenne en 1966 par Pierre Bellon, l’entreprise débute son activité par de l’avitaillement, notamment pour les bateaux faisant le trajet vers le Maghreb, avant de s’ouvrir au marché de la restauration collective. La multinationale française, restée une entreprise familiale, est aujourd’hui présente dans 80 pays (États-Unis, Chine, Brésil, Inde…).
Le groupe compte 460 000 salariés à travers le monde, 33 000 en France et environ 5 000 dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, répartis sur plus de 150 métiers, allant de pilote d’hélicoptère pour les livraisons dans les bases de vie au milieu de l’océan, à danseuse au Lido. Chose surprenante, le cabaret mythique des Champs-Élysées appartient à Sodexo (en négociation pour le vendre à Accor). L’entreprise est aussi propriétaire de Lenôtre, des Yachts de Paris, gère la restauration de la tour Eiffel, de nombreux stades et des lounges d’aéroports…
La Ville de Marseille a établi « un cahier des charges très précis, qui comporte des marqueurs extrêmement forts, que peu de collectivités de cette taille possèdent » Sylvain Coulange
50 000 repas servis quotidiennement aux petits Marseillais
Au fil du temps, la société s’est imposée comme un acteur multi-secteurs avec l’ambition de devenir le leader des services de qualité de vie. « L’idée est d’être présent dans tous les moments de vie d’une personne, pour favoriser la qualité de vie au quotidien. De la crèche, dont les enfants vont être nourris par Sodexo [qui en possède 500 en France], à la gestion de la conciergerie, le déjeuner d’entreprise, le soir utiliser mon pass Cesu pour faire garder mon enfant parce que je vais au théâtre, utiliser mes bons cadeaux du comité d’entreprise… jusqu’à la gestion des ascendants. C’est notre fil conducteur et ce qui permet de relier toutes nos activités les unes aux autres », explique Sylvain Coulange, directeur régional Sud (Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie), en charge du secteur écoles et universités de Sodexo.
Sa direction régionale, dont le siège est situé dans la tour La Marseillaise, compte un peu plus de 1 000 collaborateurs pour une quarantaine de clients.
Si Sodexo est surtout connue à travers le monde pour son activité de restauration collective, à Marseille, elle est célèbre pour la restauration scolaire, souvent pointée du doigt. Dans les années 1990, Marseille passe d’un fonctionnement en régie municipale à une délégation de service public (DSP) et de deux cuisines centrales, une au Nord, l’autre au Sud, à une seule. La cité phocéenne est la seule grande ville de France où la totalité de la restauration scolaire est attribuée à un prestataire unique.
Depuis plus de 20 ans, Sodexo nourrit tous les écoliers de la deuxième ville de France. Depuis 1993, au départ de la cuisine centrale du lot Nord, et depuis 1999 sur la cuisine centrale actuelle, à Pont de Vivaux. Tous les jours, 140 personnes s’y mettent aux fourneaux pour préparer 50 000 repas à destination des 320 cantines scolaires de la ville, et 740 000 pour plus de 2 000 autres établissements (écoles privées, crèches, restaurants d’entreprise, collectivités territoriales, maisons de retraite, prisons…). Des plats livrés en barquettes qui seront ensuite servis aux écoliers pour le déjeuner. Et c’est souvent là, entre l’entrée et le dessert que la soupe à la grimace s’invite à table. Alors qu’y a-t-il dans les assiettes et comment sont élaborés les repas ?
Des menus préparés avec des nutritionnistes
Lundi : Tomate vinaigrette à l’ail, gardianne de taureau (AOP), carottes persillées, yaourt nature sucré (bio), biscuits variés, pain (bio). Jeudi : mélange fantaisie (salade verte, carottes, maïs bio), Bolognaise de bœuf, rubans au blé complet et emmental râpé, portion de camembert, purée de pommes (sans sucre ajouté) pain (bio). Voici deux exemples de menus servis durant la semaine du 13 au 17 septembre 2021. Avec six composants, en incluant le pain, le poids du repas des petits Marseillais est le plus élevé de l’Hexagone. « Ça n’existe pas ailleurs, souligne Sylvain Coulange. Dans les marchés qui sortent aujourd’hui, les plus gros comportent 5 composants, la plupart 4 ».
Tous les menus proposés sont concoctés avec des nutritionnistes, Sodexo étant le plus gros employeur de France de la profession. À chaque cuisine centrale son diététicien. L’offre est également validée en « commissions menus ». Organisées par la Ville de Marseille, elles sont composées de représentants de la Mairie, de parents d’élèves, de l’équipe opérationnelle du prestataire, d’un diététicien, et donnent parfois lieu à « quelques ajustements, souligne Pierre Huguet, adjoint au maire de Marseille, en charge de l’Éducation, cantines scolaires et cités éducatives. Mais il y a une grande variété de repas, assez originaux, admet-il. Un effort est d’ailleurs fait sur le repas végétarien, et l’idée est de proposer un large choix aux enfants ».
Sodexo dispose également d’un pôle « offre alimentaire nationale » qui accompagne la construction des menus, « en lien avec l’intégralité de nos clients, en tenant compte de tous les enjeux du moment en termes d’apport nutritionnel, réduction du sel, du sucre, du fait maison, et des défis environnementaux… », poursuit Sylvain Coulange.
Vers un rééquilibrage de la tarification de la cantine scolaire à Marseille
Trois tarifs reposent sur dix quotients familiaux (l’exonération, demi-tarif et plein tarif). Le coût d’un repas à la cantine varie de 1,83 euro (tarif réduit) à 3,67 (tarif normal). Le tarif applicable aux familles domiciliées hors Marseille est de 3,89 euros, aux adultes et membres du corps enseignant à 7,43. Le coût du repas payé à Sodexo par la Ville de 3,715 euros (TTC). « Aujourd’hui, une famille de deux enfants qui a 1600 euros de revenus paye plein tarif comme une famille qui a deux enfants, mais un revenu de plus de 4 500 euros. Il y a ici, un vrai sujet d’injustice sociale, sur lequel nous travaillons. L’idée est bien sûr d’aller vers un rééquilibrage. Il faut que l’on puisse proposer une alimentation équilibrée, accessible, au plus grand nombre d’enfants. La restauration scolaire est un service public, mais qui a une vocation sociale », explique Pierre Huguet .
Le repas payé par les familles ne correspond pas à la totalité des coûts (personnel et structures ne sont pas intégrés). D’une certaine manière, elles bénéficient d’un tarif subventionné. La Ville n’intervient que pour l’exonération et le demi-tarif.
Le début d’une mutation en profondeur pour la restauration scolaire
Circuits courts privilégiés, part des produits de l’agriculture raisonnée augmentée, diversification des protéines combinés… ces dernières années, la restauration scolaire s’est engagée dans une profonde mutation de ses pratiques. La loi Egalim pousse dans ce sens, en instaurant différentes dispositions. À partir du 1er janvier 2022, les services de restauration scolaires et universitaires seront tenus d’utiliser au moins 50 % de produits de qualité et durables dont au moins 20 % de produits biologiques. Sur ce point, Marseille n’est pas dans les choux, bien au contraire.
Dans le marché renouvelé en 2018 avec Sodexo, sous la mandature de Jean-Claude Gaudin, la municipalité a établi « un cahier des charges très précis, qui comporte des marqueurs extrêmement forts, que peu de collectivités de cette taille possèdent », note Sylvain Coulange. Pas moins de 14 additifs ont été supprimés dans la composition des repas, la teneur en sel a été réduite de 30 %, 50 % des produits sont déjà issus de l’agriculture biologique « et on finira à 55 % à la fermeture du marché » (contre 30 % dans la précédente DSP), poursuit Sylvain Coulange. « 40 % de l’approvisionnement est local (20 % auparavant), soit dans un rayon de 150 kilomètres autour de Marseille, et ça augmente d’une année sur l’autre. Mais tout ça, chez nous, n’est pas nouveau », plaide-t-il.
Depuis plusieurs années, Sodexo travaille avec des producteurs locaux sélectionnés selon « des critères drastiques et de qualité », régulièrement audités, notamment lorsqu’il s’agit de faire manger les enfants et les tout-petits. Pas de centrale d’achat d’ailleurs, mais des acheteurs locaux, basés dans chaque région en lien direct avec l’écosystème de producteurs, permettant ainsi de négocier des accords territoriaux. Ainsi, Sodexo accompagne le développement de ces petites structures afin qu’elles puissent répondre aux besoins d’un groupe de cette dimension.
C’est le cas, par exemple, du producteur de lait du Mas de la Tapy à Saint-Andiol (Bouches-du-Rhône). Une exploitation de 70 vaches qui aujourd’hui fournit des litres de lait « pour la préparation de dessert maison. Nous avons aidé à sa structuration notamment sur la partie équipement, mais nous ne prenons qu’une partie de sa production que l’on dédie à un ou deux services. De la même manière, une fois des agriculteurs ou maraîchers sélectionnés, nous prenons des engagements de volume avant même que la graine ne soit dans la terre, parce qu’ils ont besoin de visibilité ». Une démarche qui participe, « vraiment à la structuration de la filière agricole », affirme le directeur régional.
80 % du pain bio est fourni par Pain et Partage, permettant à cette structure d’insertion de passer un cap dans sa production. 100 % des produits biologiques en fruits et légumes proviennent, quant à eux, d’Uni-Vert, première coopérative bio équitable de France située dans le Gard.
Le Club des Minots, les assiettes Sodexo à l’épreuve des papilles
Plus de qualité dans les assiettes donc, et pourtant cela ne semble pas toujours satisfaire les papilles des plus jeunes, qui ont eux-mêmes la possibilité de tester et d’approuver les menus proposés dans le cadre du « Club des Minots ».
Suspendu durant la crise sanitaire, il se réunit habituellement plusieurs fois dans l’année, dans différentes écoles de Marseille. Une dégustation au cours de laquelle une note inférieure à 8/10 donne lieu au retour du plat en cuisine pour être retravaillé, voire abandonné s’il ne séduit vraiment pas la jeune clientèle. « Et on se rend compte parfois que tout ce qui a été bien consommé et apprécié dans le cadre de ce club, ne l’est pas forcément en restauration scolaire, parce que l’environnement est probablement différent, centré autour de l’éveil gustatif, de la manière dont sont cuisinés les plats, il y a aussi un aspect présentation et service, qui peut changer le regard à la fois des enfants et des parents sur la restauration scolaire, ajoute Pierre Huguet. Tout dispositif est perfectible. L’important est de pouvoir travailler les nouvelles recettes avec les enfants. Ce club est là aussi pour les associer ».
La clé du succès de la cantine résiderait-elle dans l’éducation au goût ? Dans son reportage intitulé « Y avait quoi à la cantine ? » diffusé sur France 3, en 2020, la journaliste marseillaise, Valérie Simonet, qui avait décidé de tester le repas livré dans les cantines, mettait en évidence cette question gustative.
À l’époque, Sodexo n’avait pas souhaité réagir dans ce documentaire. « Les critiques sur la restauration scolaire vont dans le sens de l’histoire, mais malgré ses étiquettes qui lui collent à la peau, la restauration collective n’est plus celle d’il y a trente ans. Les enjeux de la restauration collective ont évolué : les populations ont changé, tout comme les modes de consommation. Les attentes ne sont plus les mêmes », répond aujourd’hui Sylvain Coulange.
Selon un récent sondage Elabe pour Sodexo, 63 % des parents interrogés jugent que la qualité des repas servis dans les cantines scolaires se serait améliorée depuis dix ans [lire encadré] « mais une acculturation des enfants reste nécessaire, estime Sylvain Coulange, exemple à l’appui.
Les Français et les cantines scolaires
Selon un récent sondage Elabe pour Sodexo, pour 63 % des parents interrogés, la qualité des repas servis dans les cantines scolaires se serait ainsi améliorée depuis dix ans. Plus de bio et/ou de produits durables, de menus végétariens, la qualité nutritionnelle de la cantine est majoritairement reconnue, rivalisant (pour un tiers de la population et des parents) et dépassant (pour près de la moitié des Français et du tiers des parents) celle des repas servis au foyer. L’élaboration des menus va encore évoluer avec la loi Egalim.
Plus de deux tiers des parents sondés considèrent que les enfants mangent autant (32%) ou plus équilibré (pour 37 %) à la cantine qu’à la maison. Globalement, la moitié incite les acteurs de la restauration scolaire à intensifier leurs efforts, notamment sur l’adaptation des plats aux goûts des enfants et leur variété au fil de l’année. Plus de 70 % des parents reconnaissent aussi à la cantine scolaire sa « dimension égalitaire » à une alimentation de qualité.
« Lorsque nous avons commencé à travailler avec Mademoiselle de Provence, qui fabrique des pâtes de façon artisanale, elles n’avaient pas le même goût que celles de la maison, forcément. Lors du premier repas, cela avait surpris et interpellé les enfants. Ça ne leur plaisait pas, parce que ce n’est pas la même farine, ni les mêmes process de production. Il a fallu du temps pour trouver la bonne recette et habituer le palais des enfants. Idem, lorsque l’on sert des pâtes sans sel, elles paraissent fades. Il y a, à mon sens, toute une éducation pour préparer les enfants à manger à la cantine : Qu’est-ce que tu vas manger ? Qu’est-ce que cela va t’apporter ? D’où viennent les produits ? Car nous resterons sur de la cuisine de quantité. À Aubagne, par exemple, c’est 5 000 repas par jour, avec une équipe de 40 personnes. Ce n’est pas la cuisine du coin. Le process ne changera pas. Ce qui peut changer, c’est la dimension politique et la façon dont nous pouvons communiquer sur ce que nous faisons, et sur ce que nous faisons de bien ».
Sodexo – Ville de Marseille, un nouveau dialogue qui se construit
Souvent accusée de manque de transparence, Sodexo a longtemps gardé le silence. En 2020, alors que le Printemps marseillais – aujourd’hui aux commandes de la Ville – martèle vouloir sortir du « monopole de la Sodexo » : pas un mot. Une situation pourtant vécue comme « une injustice », dit aujourd’hui Sylvain Coulange, « affectant nos collaborateurs ».
D’autant « qu’au fil des relations que l’on construit avec la municipalité, nous nous sommes aperçus que les élus ne savaient pas réellement ce qu’il y avait dans les assiettes, mais comme beaucoup de monde d’ailleurs et nous en sommes les premiers responsables », confie-t-il.
Depuis, Pierre Huguet et d’autres élus ont eu l’occasion de « découvrir concrètement le fonctionnement de ce gigantesque appareil de production qu’est la cuisine centrale », nous confie l’élu marseillais. Une visite initiée dans le cadre de la commission d’enquête, ouverte à la suite des dysfonctionnements dans les écoles de Marseille, mis au jour par la crise sanitaire. Laquelle vise aussi le service fourni par Sodexo, car avec l’application du protocole sanitaire strict dans les cantines scolaires, l’entreprise est une nouvelle fois sous le feu des projecteurs avec ce pique-nique difficile à avaler pour parents d’élèves, composé d’un morceau de pain, d’un pack de jus de pomme concentré, d’une macédoine en conserve, d’un biscuit, d’un carré de fromage et d’une pomme.
Pour Sylvain Coulange, la présentation sur la photo qui a circulé « n’aurait donné envie à personne. En revanche, les produits correspondaient aux critères nutritionnels pour les enfants dans une situation de crise, justifie-t-il. Ce n’était pas notre décision d’imposer ce pique-nique, mais celle de la Ville, nous avons dû nous adapter. Nous répondons à un donneur d’ordre. Je ne dis pas que nous ne savons pas faire, mais derrière cette commande nous avons dû nous organiser avec les fournisseurs avec lesquels nous ne travaillons pas habituellement, pour savoir s’ils pouvaient nous livrer d’autres types de produits. Nous, on cuisine. Nous ne sommes pas là pour faire l’intermédiaire, mais nous l’avons fait car on rend service à des collectivités, et il y a eu cet impact en fin de chaîne », poursuit-il. Après une période compliquée, il évoque des relations aujourd’hui « plus apaisées et constructives ».
La crise sanitaire, le confinement et la fermeture des restaurants scolaires intervenus au printemps dernier ont rappelé le caractère essentiel de la cantine, surtout auprès d’enfants pour qui cela représente le seul repas équilibré de la journée.
De fait, tout l’enjeu de la Ville durant cette période « était de maintenir en activité le service de restauration scolaire, insiste Pierre Huguet. La question des pique-niques est la conséquence directe de l’interdiction du service en self ayant entraîné d’énormes contraintes, sans compter que la cuisine centrale fonctionne à 3-5 jours à l’avance, avec un approvisionnement de plusieurs mois en amont. C’est pourquoi nous avions opté pour cette solution par roulement de classe, car nous avons dû limiter les composants pour alléger le service. La première proposition n’était pas satisfaisante, le maire l’a fait savoir, et on a demandé à Sodexo de réajuster leur proposition, avec la préparation de salade en cuisine et le renforcement de la qualité. C’est un exemple concret du dialogue entre deux partenaires avec des réajustements constants ».
« Lorsque nous avons pris position, durant la campagne, notamment pour mettre fin au monopole de la Sodexo, l’attaque n’était pas en direction des employés. C’est le choix fait par la majorité précédente qui était remis en cause » Pierre Huguet
Une nouvelle feuille de route
« Aller vers autre chose ». Mais vers quoi ? La municipalité planche sur un modèle « alternatif » qui place la restauration scolaire au centre d’un « véritable enjeu de développement du territoire, explique Pierre Huguet. Lorsque nous avons pris position, durant la campagne, notamment pour mettre fin au monopole de la Sodexo, l’attaque n’était pas en direction des employés. C’est le choix fait par la majorité précédente qui était remis en cause. D’une certaine manière, nous sommes arrivés au bout d’une logique. On est au bout d’un modèle néo-libéral qui ne correspond plus aux attentes des usagers, ni à nos aspirations ».
Le nouveau projet que souhaite construire la Ville repose sur quatre enjeux : l’approvisionnement, la production des repas, le service dans les cantines et la gestion des déchets. « Le premier objectif est de pouvoir proposer aux enfants une alimentation de qualité, bio et locale, participer à un modèle de développement durable et responsable, notamment dans la lutte contre le réchauffement climatique », précise-t-il.
Aujourd’hui, la feuille de route est encore vierge. Tout reste à écrire, en s’inspirant de recettes venues d’ailleurs. Marseille a récemment intégré le réseau « Un plus Bio » pour bénéficier du partage d’expériences et de mutations à l’œuvre dans de nombreuses villes françaises. « Aujourd’hui, que les villes soient en régie ou en DSP, elles font face aux mêmes enjeux et des choses bougent », poursuit l’élu.
À Paris, la restauration scolaire est prise en charge dans chaque arrondissement par la caisse de écoles. Montpellier a fait voter en juillet dernier, un rapport visant à renouveler la restauration scolaire à travers un projet plus global, qui intègre à la fois une dimension sociale, pédagogique, la construction de filières ou encore la mise en place d’une base logistique de transport. Une sorte de guichet unique pour organiser l’approvisionnement, « pas seulement de la cuisine centrale mais aussi d’autres établissements ».
L’idée n’est pas de calquer un projet mais d’ouvrir des pistes de réflexion. L’adjoint ne nie pas le fait que Sodexo a déjà « engagé ce travail, dans le cadre de la DSP, mais il demande de multiplier les partenariats pour aller plus loin dans le développement des filières ». Même discours du côté de Sodexo, pour qui la restauration de demain doit « englober toute la chaîne de la restauration collective. On doit être beaucoup plus fort dans la structuration des filières et leur accompagnement, mais aussi dans la valorisation de l’après ».
« Il y a un décalage entre ce que les enfants mangent à la maison et ce qui est préparé en restauration scolaire. Les normes ne sont pas les mêmes. La tendance est peut-être à comparer, mais on ne peut pas comparer » Pierre Huguet
Éduquer pour mieux comprendre ce que l’on mange
Sodexo a mis en place une mission anti-gaspi pour mesurer le niveau de consommation d’une école à une autre « et on voit qu’on passe de rien à tout, tous quartiers confondus. Il n’y a pas de règles, c’est une histoire de personnes ».
Sur d’autres villes de la métropole, l’entreprise a développé un partenariat avec la société les Alchimistes, spécialisée dans la collecte et valorisation des déchets alimentaires, qui l’accompagne sur ce sujet. Mais pour Sodexo, la valeur ajoutée réside dans l’approche pédagogique à mener auprès des parents et des enfants pour « une éducation nutritionnelle globale. On aura beau mettre des carottes bio, 9 personnes sur 10 ne sauront pas qu’elles sont les bios. Peut-être que dans dix ans, nous serons sur du 100 % du bio, mais s’il n’y a pas d’accompagnement, c’est peine perdue », estime Sylvain Coulange.
Uni-Vert, première coopérative bio équitable de France située dans le Gard, qui travaille avec Sodexo, anime, par exemple, des ateliers dans les écoles. « Souvent, on y va avec l’idée qu’on va apprendre notre métier aux enfants. On va faire des dégustations de pommes, et on arrive souvent avec des idées préconçues, car on se rend compte que les enfants aiment l’acidité », raconte Bertrand Feraut, président d’Uni-Vert.
Pierre Huguet partage l’idée d’une valorisation de ce qu’il y a dans l’assiette. « Il y a un décalage entre ce que les enfants mangent à la maison et ce qui est préparé en restauration scolaire. Les normes ne sont pas les mêmes. La tendance est peut-être à comparer, mais on ne peut pas comparer. En revanche, remettre du goût dans ce qui est préparé est essentiel ».
Un repas de qualité est un repas consommé
Cela passe par un renforcement et un meilleur accompagnement du personnel municipal pour tendre vers une amélioration du service. « Une formation des agents est indispensable pour faire en sorte que ce qui a été préparé soit bien présenté, et encourage les enfants à consommer. Un repas de qualité est un repas consommé avec tous les apports nutritionnels ».
Une manière également de lutter contre le gaspillage alimentaire. « La partie la moins consommée dans les écoles reste les fruits et légumes », souligne Pierre Huguet. De plus, la loi Egalim a proscrit l’utilisation d’ustensiles en matière plastique, de type assiette ou verre, mais également les bouteilles depuis le 1er janvier 2020.
En 2025, l’usage des récipients en plastique, utilisés notamment pour le réchauffage, sera interdit. « Il y a des points de progrès à atteindre. L’un d’entre eux est celui du contenant. Même si la barquette est en plastique biodégradable, visuellement ce n’est pas attirant », exprime le directeur régional. Dans les nouveaux marchés, les bacs en inox sont privilégiés, « mais soulèvent d’autres difficultés, comme des troubles musculo-squelettiques », ajoute Pierre Huguet.
« On ne peut pas passer d’un modèle unique de cuisine centrale préparant 50 000 repas par jour, à un modèle qui intègrerait plusieurs cuisines du jour au lendemain » Pierre Huguet
À Marseille, le grand plan école [présenté aujourd’hui par le Maire de Marseille, ndlr] qui prévoit la rénovation et construction de nouveaux établissements scolaires, laisse entrevoir la possibilité d’y implanter des cuisines à taille plus humaine. « En fonction des infrastructures, des solutions mixtes existent, avec une cuisine sur place et une partie livrée », précise Sylvain Coulange.
Autre hypothèse : passer de 6 à 4 composants par repas. Des pistes, « mais toutes les questions sont sur la table pour le moment », reprend l’adjoint à l’Éducation, avec prudence, car une phase transitoire sera nécessaire. « On ne peut pas passer d’un modèle unique de cuisine centrale préparant 50 000 repas par jour, à un modèle qui intègrerait plusieurs cuisines du jour au lendemain. Ça demande des financements, et du temps. C’est un sujet structurel qui dépasse la seule question de la restauration scolaire », ajoute l’élu.
Parallèlement, le contrat entre la Ville et Sodexo est soumis à évaluation, « pour voir comment nous pouvons améliorer la prestation dans la DSP telle qu’elle existe actuellement ». Dans ce cadre, Sodexo sera « écoutée. Ils restent des professionnels de la restauration collective ».