Le vent en poupe, la tête dans les nuages, les pieds sur terre… Il aura fallu 5 ans pour que l’idée saugrenue (mais pas tant dans la ville la plus ensoleillée de France) d’un restaurant 100 % solaire fasse ses preuves. Aujourd’hui Le Présage séduit autant les gourmets que les investisseurs. La guinguette actuelle entame sa transition pour devenir un véritable resto en dur éco-responsable. Il sera « le vaisseau amiral pour ouvrir la voie à un futur délicieux ».
« Je gagne très bien ma vie, mais je suis prêt à quitter mon emploi dans l’année, même pour un Smic, pour me reconvertir dans une activité alignée sur mes idées ». Stéphane Porta est technico-commercial marseillais dans le matériel médical. Mais il semble pressé d’embrasser une nouvelle vie. Pourquoi pas celle de cuistot solaire : « Hier, je suis tombé sur un article d’un média local qui parlait du Présage. Aujourd’hui, je suis là ».
Le Présage ? Ce restaurant solaire unique fait parler de lui depuis quelques années. « En plus de promouvoir l’énergie durable et locale, une cuisine inventive et gastronomique, c’est tout l’écosystème responsable qui me séduit », poursuit le futur-ex-commercial. Produits bio, locaux (voire ultra locaux avec le futur jardin en permaculture), méthanisation des déchets organiques, traitement et recyclage des eaux par phytoépuration… Le restaurant innove surtout avec une cuisine concoctée à la seule énergie du soleil. Le projet, porté depuis bientôt 5 ans, est un système global tourné vers « un futur désirable », selon les mots de son fondateur, Pierre-André Aubert.
Tout le monde veut sa place à la table du Présage
Désirable et désiré, puisque Stéphane est déjà prêt à s’investir personnellement, « mais aussi financièrement. Je réfléchis à mettre 20 à 30 000 euros ». Car le restaurant final, en dur, est encore à l’état de dessin, mais la levée de fonds touche au but pour le réaliser. Depuis 2017 et une première version éphémère, le fourneau solaire et son immense miroir a été peaufiné. Le terrain en friche déniché au technopôle de Château-Gombert à Marseille est quasiment acquis. Il accueille déjà la guinguette solaire, version réduite et déplaçable créée dans un conteneur maritime recyclé.
« On finalise la levée de fonds pour acheter le terrain et construire le bâtiment dès la fin de l’année. L’ouverture est prévue en 2022, se réjouit Pierre-André, confiant. Je l’ai toujours été. Encore plus au début. Je voyais le truc se faire en 2 ou 3 ans, je pensais aller plus vite, mais pas aussi loin ». Un bâtiment éco-conçu de 300 m², un terrain de 2 700 m², des aménagements divers et beaucoup d’énergie humaine…
Le projet coûte tout de même plusieurs centaines de milliers d’euros. Mais, il séduit les investisseurs privés, comme publics. « La Région Sud a mis 400 000 euros, la Métropole Aix-Marseille-Provence nous soutient aussi, pour le terrain notamment ». Sans compter des subventions à dénicher dans le Plan de relance national. La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, est d’ailleurs venue goûter la cuisine solaire « made in Marseille ». « Le projet parle à tout le monde parce qu’il englobe beaucoup de thématiques, poursuit Pierre-André. On parle circuit court, permaculture, bioclimatisme, gestion des déchets, de l’eau, de l’énergie. On pense un système dans sa globalité, mais surtout autour d’un média séduisant : l’assiette ».
Le solaire fonctionne à l’énergie gastronomique
Une assiette qui fait la différence. Il le sait : toutes les innovations, aussi éco-responsables soient-elles, ne passent pas toujours le cap de la viabilité économique, ni de l’adhésion des investisseurs et clients. « À la fin du XIXe siècle, Augustin Mouchot a mis au point une parabole solaire pour actionner une machine à vapeur lui permettant d’imprimer un journal. Il parlait déjà des ressources limitées de charbon pour l’industrie. Depuis, son concentrateur parabolique est dans un musée. Il y a 15 ans, notre fourneau solaire n’aurait pas marché, poursuit l’entrepreneur, et dans 15 ans, ce sera peut-être has been. Il y a l’effervescence de l’époque qui joue. Pour l’environnement et pour la gastronomie ». Ce dernier point explique pour lui le succès du Présage. Entamée en 2010, sa reconversion d’ingénieur aéronautique en chef solaire s’est faite en passant par des cuisines étoilées, comme Armand Arnal. Derrière les fourneaux, un de ses associés, Clément Flint, s’est également formé auprès d’enseignes prestigieuses. Pour les clients, comme Paul, « le concept est sympa, mais c’est surtout pour la carte innovante que je reviens. On ne trouve pas ces plats partout ».
Le miroir parabolique de 8 m2 qui surplombe la guinguette attise également les curiosités. La cuisine solaire a « quelque chose de poétique. On fait aussi ça parce que c’est beau : cuisiner sans électricité grâce à une énergie disponible en direct. Et puis les contraintes, comme les nuages aujourd’hui, c’est presque romantique ». Mais aussi spectaculaire. Pierre-André ne manque jamais de faire une petite démonstration de la puissance du soleil aux clients. Il passe un bâton dans le faisceau de rayons solaires concentrés, qui prend feu instantanément. « Il y a quelque chose de magique pour eux, car c’est une énergie invisible ».
Invisible d’accord, mais pourtant bien présente dans la ville la plus ensoleillée de France. « C’est fou que l’énergie solaire ait tant tardé à se développer ici. Mais maintenant c’est en plein boum. Photovoltaïque ou thermique, beaucoup de gens s’en emparent ». Et même si le soleil est gratuit, « faire la meilleure cuisine et la plus juste sur les plans humain, environnemental et financier… Ça coûte ! ». Les marges dégagées ne sont pas celles d’un restaurant classique. « C’est un choix. Dès le début, toute l’équipe était ok sur ce compromis. Mais il faut que ça reste rentable si on veut que ce soit durable. On évolue dans une société avec ses codes bien établis. On essaie de jouer avec pour la faire évoluer dans le bon sens ».
Les aventuriers de la cuisine solaire travaillent encore à trouver l’équilibre économique, avec un mot d’ordre : séduire. D’abord les clients, par la gastronomie inventive. Les professionnels du secteur, par l’innovation : « nos fours et fourneaux qu’on commercialise ». Mais aussi les décideurs et investisseurs pour financer et essaimer les guinguettes solaires, sous franchise, dans le monde et à Marseille : « comme pour les JO 2024. On espère en déployer quatre ou cinq, pour montrer au monde ce qu’on sait faire à Marseille ».
Une myriade d’applications apparaîtront, avec leurs potentiels économiques, entraînées dans le sillage du restaurant. Lorsqu’il sera construit, Le Présage sera « le vaisseau amiral pour ouvrir la voie à un futur délicieux ».