Créée par Emmanuel Laurin, Sauvage Méditerranée confectionne des bijoux grâce aux déchets marins. Ou quand de la conscience écolo naît une petite révolution précieuse. Rencontre.
C’est à quelques kilomètres de Marseille qu’Emmanuel Laurin nous donne rendez-vous. Chez Camille, le nouvel artisan glacier de La Ciotat. Outre les savoureuses créations givrées au gingembre ou palet breton, ce n’est pas un hasard si ce marseillais d’adoption, à l’allure décontractée, a choisi cette adresse face à la Méditerranée. Durant toute la période estivale, l’entrepreneur a tenu un étal sur le marché nocturne ciotadin. Et ça se voit. « Franchement, c’est fatigant », lâche-t-il, avec le sourire.
Malgré les cernes, Manu ne regrette pas cette nouvelle expérience qui lui a permis de tester ses créations originales, griffées Sauvage Méditerranée, vendues jusqu’ici uniquement en ligne. Tous les soirs, les badauds faisaient une halte sur son stand, intrigués par un troc des plus inhabituels. Car payer ses articles avec des déchets ramassés dans la nature n’est pas monnaie courante.
Colliers en verre poli par la mer, boucles d’oreille en plastique 100 % recyclé, sacs en filets de pêche ou pochettes en voile de bateau… Engagée et participative, Sauvage Méditerranée est l’une des seules marques en France à proposer grâce à ses bijoux éco-conçus, une solution de recyclage des déchets marins. « Le premier qui est venu nous voir sur le marché nous a dit : je vois ces déchets dans la mer sans arriver à passer à l’action. Quand j’ai vu votre truc, ça m’a donné envie de m’y mettre. Vous allez me voir tous les trois jours », raconte Manu, avec satisfaction. Ce n’était pas une vaine promesse. Un petit pas pour lui mais un grand pour la planète, qu’Emmanuel a franchi il y a plusieurs années déjà.
Loin de sa Bourgogne natale et de ses journées rythmées par son entreprise, spécialisée dans la mise en relation de groupes de musique avec des organisateurs d’événements, le Dijonnais découvre le chant des cigales en 2015. La mutation professionnelle de sa compagne sonne comme une opportunité de changer de vie et de prendre le pouls de cette nouvelle région.
L’appel de la Méditerranée, tel le chant des sirènes, est irrésistible. Les Calanques, Cassis, La Ciotat… lui qui vient « plutôt de la terre » plonge dans les eaux de ces espaces mondialement connus, et « en même temps que j’ai été percuté par la beauté des sites de cette région, j’ai découvert la pollution en Méditerranée. Je peux dire que ça a été pour moi un double choc, car il n’y avait pas que cet aspect catastrophique, mais aussi de l’émerveillement ».
Au fil de ses crawls dans la grande bleue, muni d’un sac à dos gonflable, Manu commence à collecter les déchets flottants ou immergés, tout en imaginant la manière dont il pourrait donner à cette action solitaire une dimension solidaire, plus visible et percutante pour « arriver à faire en sorte que les gens voient ce que je vois. Avoir un endroit aussi beau et se prendre des paquets de chips dans la tête, sans compter ce que je voyais dans les profondeurs et qui n’avait rien de rassurant ».
Une éco-aventure inédite
L’ancien commercial se lance alors un défi : rallier Marseille à Toulon à la nage en deux semaines. 120 kms soit 8 kms par jour, en ramassant des détritus sur le parcours. Pour concrétiser cette idée, il tape à la porte de nombreuses associations qui oeuvrent à la préservation des fonds marins, et plus largement engagées pour la protection de l’environnement. « Elles m’ont conseillé, accompagné, aidé… », et deux ans après son arrivée dans le Sud, fort d’un entraînement physique intensif, il s’élance dans cette éco-aventure baptisée Le Grand Saphir.
Un clin d’œil à ce bien précieux qu’est la Mare nostrum et au Grand Bleu de Luc Besson. Le périple nautique est encadré par un kayakiste, un skipper et son voilier. « On a dormi là un soir », se remémore-t-il, en montrant du doigt le large. Tel un récit consigné dans un journal de bord, ces instants sont saisis par la caméra du jeune réalisateur Jérémi Stadler, jusqu’à l’arrivée à Toulon, le 8 juin 2017, Journée mondiale des océans. Ce passionné de sports extrêmes et de surf, embarqué dans ce projet un peu fou, signe un documentaire de 26 minutes. Le Grand Saphir, une révolte ordinaire, distingué du Grand Prix Ushuaïa et du Prix des Jeunes de la Méditerranée (PriMed), est diffusé sur plusieurs chaînes de télévision (France 3, Public Sénat…), donnant ainsi un formidable coup de projecteur à l’opération anonyme.
La question de poursuivre avec ce type d’opérations se pose, d’autant qu’avec « 100 kgs de déchets collectés, un kilo en moyenne par kilomètre nagé, ça m’embêtait de les remettre simplement à la poubelle. A ce moment-là, pas mal de structures de ramassage voyaient le jour et rencontraient ce même problème. On a alors décidé de créer une association spécialisée dans le recyclage des déchets marins ».
2018 marque ainsi la naissance de Sauvage Méditerranée dont le lancement fait grand bruit. Pour se faire connaître, l’ancien professionnel de l’industrie de la musique lance un clip de sensibilisation humoristique, en détournant le tube du rappeur Orelsan, Basique en Simple-Plastique. « 8 millions de tonnes de plastique atterrissent chaque année en mer. Simple, entonne-t-il. Des sacs, des gobelets et même l’emballage du goûter de ton petit frère. Plastique ». La vidéo comptabilise en quelques jours des centaines de milliers de vues.
Fédérer pour plus d’efficacité
Dans le même temps émergent les premières collections de bijoux de la petite marque qui veut dépolluer les océans. Tout est conçu de manière artisanale au sein de l’atelier aixois, et grâce à un réseau d’une quarantaine d’associations entre Nice et Montpellier (Le Grand Bleu, Clean My Calanques, Déchet Zéro & Co, Club de Voiles, Paddle Cleaner, Debout pour le climat…) qui remettent une partie de leurs déchets « que nous arrivons à revaloriser ».
Par upcycling, comme les filets fantômes remontés par les plongeurs de Palana Environnement, pour libérer la faune de ces engins dangereux pour son développement. Ou « 100% recyclage pour le plastique », grâce à un processus de transformation. « On le récupère, le nettoie, on le trie par couleur, après on le broie sous forme de petites paillettes. Une fois qu’on obtient ça, on les met dans un moule carré que l’on passe au four. Ça devient visqueux. Après, on le presse jusqu’à obtenir des plaques dans lesquelles on vient découper les petits motifs ».
Quelques personnalités adoptent la Sauvage attitude à l’instar Charles Berling, friand des sacs, du nageur Florent Manaudou, d’Antoine De Caunes… L’actrice Marion Cotillard y est même allée de son petit mot.
Toujours en quête d’aller plus loin, Manu marque un grand coup le 30 mai 2019, avec le Grand Défi. Sur la base d’un projet pédagogique mené avec des étudiants de l’école de commerce du sport business (Amos) de Marseille, il imagine une compétition de ramassage de déchets sur une journée et une distance de 8 kilomètres, entre la plage des Catalans et l’Escale Borély. La première du genre en Europe. « Votre article de Made in Marseille était le premier à paraître et a été partagé plus de 8 500 fois en quelques heures. C’est lui qui a déclenché la suite, puisque derrière près de 80 médias ont relayé le projet ». 1,3 tonne de déchets sont récoltés ce jour-là, dans la plus grande bonne humeur.
Le Grand Saphir acte 2 ?
Depuis, Sauvage Méditerranée s’est fait un nom. « Je ne pensais pas que cela prendrait une telle dimension. Pour moi, depuis le début, le plus important reste que les associations se rassemblent, c’est comme ça qu’on peut vraiment avancer et être plus efficace ».
L’atelier aixois a ouvert ses portes depuis l’année dernière à des designers et des stylistes de la région. Des collaborations artistiques devraient donner naissance à de nouvelles créations : du mobilier original, un série d’horloges, des hamacs en filets de pêche, ou encore des manches de couteaux. Manu envisage même de remettre la consigne au goût du jour.
Le projet d’avenir reste la création d’une recyclerie. Une sorte de tiers-lieu ouvert aux écoles, aux entreprises, au public… « où l’on ferait du ramassage le matin, des ateliers de transformation l’après-midi, mais aussi de la sensibilisation, et l’installation d’une boutique physique », imagine Manu, qui aimerait voir cette structure naître, « pourquoi pas à
La Ciotat ». Cette ville pour laquelle il nourrit une affection particulière pourrait-elle être le point de départ du Grand Saphir acte 2 ? « J’avais 4 ans de moins pour le premier, il faudra repartir pour de la préparation physique, ça permettrait de voir ce qui a changé… », dit-il songeur.
La plastification massive de la mer Méditerranée ne mérite-t-elle pas qu’il se jette une nouvelle fois à l’eau ? « Il ne faut jamais dire jamais ».