Réorganisation, développement d’outils de travail performants, déploiement des badgeuses, dialogue social… Olivia Fortin, adjointe en charge de la modernisation des services de la Ville de Marseille, œuvre à la transformation de l’administration en profondeur. Entretien.
Le visage est encore marqué du conseil municipal historiquement long (plus de 10 heures) du lundi 8 février. Et il y a ce dîner avec son ancienne équipe. Un moment de rires, mais aussi de nostalgie. Depuis le 4 juillet, l’ancienne directrice de production, Olivia Fortin, embrasse la fonction d’adjointe en charge de la modernisation des services de la Ville de Marseille. Une toute nouvelle délégation dont le cœur est la « transformation ».
Du monde de l’entreprise à celui de la politique, l’instigatrice du mouvement Mad Mars, puis du Printemps marseillais, découvre un univers où l’immédiateté n’existe pas. Si elle s’y était « préparée », elle mesure à quel point « les lourdeurs administratives », contraignent l’exercice politique, « surtout quand on veut avancer vite », confie-t-elle, dans son bureau du pavillon Daviel. « En tant que cheffe d’entreprise, lorsque j’avais besoin de quelqu’un, je passais un coup de téléphone, après entretien c’était bouclé ». Puis, il y a la découverte de l’administration, elle-même, et de ses outils qu’elle juge « archaïques ».
Dans cette majorité municipale plurielle, Olivia Fortin revendique sa liberté, même si elle affectionne le travail d’équipe. Sa manière de penser n’étant pas « façonnée par une culture politique en particulier. Ce que je fais au quotidien n’est pas non plus lié à des intérêts ou des positions nationales. Ma seule volonté, – parce que peut-être j’ai fait 25 ans de production d’événements – c’est changer la vie quotidienne des Marseillais(es), d’avoir quelque chose d’efficace. C’est mon seul objectif ».
L’efficacité, selon Olivia Fortin, réside dans la « coopération ». Pour nourrir son action, elle a fondé avec la Fondation Jean-Jaurès « un observatoire de l’efficacité de l’action publique », qu’elle co-dirige avec le premier adjoint de la ville de Nantes. Cette instance « met en réseaux des spécialistes de ces questions-là. On travaille ensemble pour faire émerger des problématiques qui me servent ensuite à nourrir mon action ».
Elle s’appuie aussi sur le réseau « Cités en commun », qui regroupe toutes les villes de gauche et écologistes de France. Un partage de bonnes pratiques et dispositifs qui font leurs preuves, « qui permettent de gagner du temps, mais aussi montrer ce qu’on fait de bien à Marseille. On travaille d’ailleurs à la signature d’une convention de coopération entre nos administrations ».
C’est la première fois qu’une délégation « modernisation des services de la ville » est créée à Marseille. Que représente-t-elle pour vous ?
D’abord cette délégation, c’est moi qui l’ai voulue. Elle correspond au sens de mon engagement politique depuis trois ans, à savoir changer la vie des gens. Pour que la ville soit capable de livrer un service public de qualité, pour tous et partout sur le territoire, il est impératif de rendre aux agents leur capacité d’agir. Depuis beaucoup trop de temps, notre fonction publique a été abandonnée par les responsables politiques. Le fait qu’il n’y ait pas eu d’adjoint en charge de ce sujet depuis Irma Rapuzzi est d’ailleurs très marquant, alors que la manière dont nos agents sont outillés pour pouvoir exercer leurs missions est un sujet crucial.
Pour les personnes non averties, cette délégation reste un peu floue. Quelles sont vos missions principales ?
Cette délégation, ça veut dire se soucier particulièrement de la façon dont notre « outil mairie » fonctionne. C’est bien sûr la gestion de nos 17 000 agents, nos moyens de communication, nos systèmes d’information, la manière dont nos équipements fonctionnent, avec les bureaux municipaux de proximité… C’est la relation avec les habitants.
On souffre à Marseille d’un manque de service public, d’inégalités dans la manière dont nos services publics sont répartis. Aujourd’hui, pour que tout ça s’améliore, il faut que l’on modernise notre administration. Il y a un besoin de la transformer en profondeur pour être en capacité, demain, de livrer ce service public auquel tous les habitants de Marseille ont droit.
Le maire de Marseille a annoncé début janvier une profonde réforme des services de la Ville. La première étape, c’est la concentration des directions générales adjointes. Concrètement, qu’est-ce que cela va changer dans la manière de travailler ?
Jusqu’à présent, les 13 directions générales adjointes (DGA) fonctionnaient en silo, avec très peu de transversalités. De fait, lorsque que le directeur général des services réunissait son Comex [comité exécutif, ndlr] qui lui permet d’assurer la coordination de l’ensemble de son administration, ça représente jusqu’à 22 personnes. Dans ce contexte lourd, c’est très difficile d’assurer de la cohésion.
Resserrer l’organigramme va nous permettre d’avoir un pilotage plus cohérent de notre administration et une meilleure coordination de l’action. Et on a besoin d’insuffler de la transversalité au sein de ces directions.
Par exemple, sur le plan « école d’avenir », nous avons besoin à la fois de gens bons en marché public, bons en construction, bons en urbanisme, bons en transition écologique parce qu’on veut des oasis de fraîcheur, bons en vie associative, parce qu’on veut que l’école s’intègre dans le quartier… On ne peut plus gérer le bâti des écoles, uniquement avec la case « bâtis des écoles ». La transversalité est nécessaire.
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À quelle échéance aura-t-on un organigramme définitif ?
Nous avons lancé cette démarche au conseil municipal de lundi par la création des sept postes de directions générales adjointes. Ça nous permet maintenant de lancer des recrutements. Les gens en fonction au sein de l’administration marseillaise peuvent candidater, notamment les anciens DGA.
On s’ouvre bien sûr à des recrutements extérieurs. D’une manière générale, pas seulement sur ces postes, c’est important de pouvoir faire rentrer dans notre administration des personnes qui viennent d’ailleurs pour insuffler des pratiques différentes, des points de vue différents, pour renouveler un peu nos pratiques. On pense avoir les sept DG en poste d’ici à juin. Et cela constitue le point de lancement de la réorganisation.
Ensuite, comment va évoluer la réorganisation ?
Une transformation de la culture de l’administration doit être opérée. Pendant trop longtemps, notre administration a été pensée en s’appuyant sur une question de moyens plutôt que guidée par des objectifs. Vu la situation financière de la Ville, nous avons l’obligation de prioriser notre action, c’est-à-dire interroger l’ensemble des actions menées jusqu’à maintenant pour déterminer si elles doivent être reconduites ou pas. Et nos priorités sont claires : c’est orienter les moyens vers les écoles, le logement, et ces problématiques qui sont nos étendards.
Il y a aussi toute une réflexion à mener sur le bien-être des agents au travail. Nous devons offrir à tous nos agents la possibilité d’avoir une carrière intéressante au sein de la ville de Marseille, avoir de pouvoir se former, avoir des mobilités pour pouvoir changer de métier, parce qu’il y a aussi des métiers qui ne peuvent pas s’exercer tout au long de sa vie. On a aussi une volonté forte d’outiller nos encadrants.
Nous avons d’énormes déficits dans les outils de communication interne. Plus de la moitié des agents qui n’ont pas d’adresse mail professionnelle. Il faut absolument qu’on développe les outils de communication de la Ville pour que l’ensemble des agents puissent être directement informés des projets de la mairie, qu’ils puissent comprendre ce que l’on attend d’eux et qu’ils puissent eux-mêmes accéder à l’ensemble des dispositifs qui existent.
Vous évoquiez lors du dernier conseil municipal des « outils archaïques », lesquels précisément ?
Les outils qui permettent la coordination des agents dans les écoles sont complètement obsolètes, parce que pour chaque secteur [la ville en compte 4 pour les écoles] il y a un grand tableau au mur avec des petites fiches sur lesquelles se trouve le nom des agents, une ligne en dessous pour les absents, une ligne au-dessus avec les présents, et on déplace les fiches quand on déplace les agents d’école. C’est un système imprécis qui génère des erreurs, et sur le terrain entraîne de réels problèmes dans la vie des agents.
Par exemple, lorsqu’un agent est appelé en renfort dans une école, parfois à une heure de bus, et que finalement sur place on n’a pas besoin de lui, quel ressenti peut-il avoir sur l’utilité et la reconnaissance de son travail ? Les agents qui font la coordination du personnel des écoles ont besoin d’outils fiables et qui leur permettent d’être plus efficaces.
Parmi les outils de modernisation, le maire évoquait l’installation de badgeuses. Peuvent-elles résoudre ces problèmes ?
Cela a commencé à être déployé dans certains sites, mais pas tous, car la Ville compte plus de 500 sites de travail. C’est actuellement en phase de tests dans certaines crèches et bientôt en phase test dans les écoles. Ces étapes sont importantes pour voir comment ça se met en place. C’est l’une des demandes de la Chambre régionale des comptes, mais c’est aussi dans l’intérêt de tout le monde pour avoir une gestion au quotidien beaucoup plus sûre et qui permette aux agents d’arrêter d’être déplacés pour un oui ou pour un non.
Pour les écoles, par exemple, les badgeuses permettront de savoir de manière instantanée où il y a besoin de renfort, et l’envoyer au bon endroit. C’est un système de gestion plus pratique et efficace. Dans les crèches, on va probablement se rendre compte que les agents font plus d’heures que ce qu’elles doivent à l’administration. Et donc, nous pourrons travailler sur des mesures pour les récupérations des heures.
Vous avez annoncé lors du dernier conseil municipal des mesures d’urgence, ainsi que le lancement d’une commission d’enquête. Comment envisagez-vous ce vaste chantier de réorganisation dans les écoles ?
Déjà la commission d’enquête s’interroge sur le passé. Elle vise à tout ressortir des placards, poser des choses sur la table et les regarder de manière très attentive pour comprendre pourquoi on arrive à cette situation aujourd’hui.
Le chantier de refondation qu’on mène depuis janvier regarde vers l’avenir. Il vise à organiser les choses, particulièrement pour septembre prochain. Comment fonctionnent nos quatre secteurs scolaires. Quelle est la chaîne managériale ? Quelle est la fiche de poste des agents ? Nous y travaillons en concertation avec les organisations syndicales, mais aussi avec les acteurs de l’éducation, les associations de parents d’élèves, des enfants, pour que l’on puisse repenser globalement la manière dont ces missions sont menées.
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Vous travaillez également sur un plan pluriannuel de recrutement. L’avez-vous chiffré ?
On sait qu’on a besoin de monde dans les écoles, mais on sait aussi que nos comptes doivent être à l’équilibre. Ce plan de recrutements dans les écoles reste une priorité et pour pouvoir donner des chiffres dans quelques semaines, il fallait que l’on parte sur des bases saines.
On connaissait la situation, mais on a découvert des choses dont personne n’aurait pu avoir connaissance sans l’audit externe du cabinet Deloitte, comme les 30 millions d’euros fictifs. Sinon on reprend les mêmes chiffres qu’on nous donne et on continue. Comment tu construis un plan pluriannuel de recrutement quand tu ne sais pas quelle est ta marge de manœuvre ?
Comment se passe le dialogue social, notamment avec le syndicat majoritaire Force ouvrière ?
Ça se passe bien avec l’ensemble des organisations syndicales. Chaque organisation syndicale porte particulièrement certaines valeurs, une certaine vision. Et elles sont aussi, pour certaines, représentatives de certains corps de métiers plus que d’autres. C’est un exercice riche que je pratique maintenant depuis plusieurs mois.
Je suis très frappée de voir que nos organisations syndicales sont toutes très impliquées dans ce projet de transformation. Toutes viennent avec des propositions, nous envoient des contributions, comme sur le chantier qu’on a lancé sur la refondation des écoles. Elles travaillent à nos côtés dans une relation hyper constructive parce que je pense qu’après ces 25 ans d’abandon, il y a un besoin aujourd’hui pour l’ensemble des agents d’être réimpliqués, de trouver du sens à leur métier.
Des syndicats comme la CGT et la FSU ont pourtant décidé de ne pas signer.
Le fait que des organisations syndicales n’aient pas signé ce protocole n’est ni surprenant ni problématique. On est dans un cadre démocratique. Le dialogue social, c’est faire des propositions, des pas les uns vers les autres. C’est ce qu’a fait le maire en assouplissant le premier protocole.
Et comment interprétez-vous la position des élus qui ont voté contre le nouveau protocole d’accord le 8 février en conseil municipal ? C’est un sujet de discorde au sein de Printemps marseillais ?
C’est la même chose que le dialogue social, c’est la démocratie. C’est un sujet qui fait débat au sein de notre groupe, comme d’autres sujets, mais ce n’est en aucun cas une fissure au sein de notre mouvement. C’est évident que je fais partie des gens qui abordent l’ensemble des questions avec un prisme différent que celui de certains élus, qui ont notamment milité au sein d’un parti politique. Mais c’est une belle complémentarité qui nous permet d’avancer.
Sur ce sujet-là des cantines : on a des enfants qui ne mangent pas alors que parfois, c’est leur seul repas de la journée ; des parents qui se retrouvent à devoir complètement réorganiser leur journée pour pouvoir s’occuper justement de leurs enfants jusqu’à parfois perdre leur boulot dans un contexte de crise sociale qui est inégalée ; des agents qui souffrent réellement au travail, d’un manque de visibilité, d’un manque d’organisation. C’est ce sujet qui m’intéresse et la manière de résoudre ces problématiques. Ma responsabilité, c’est que les cantines soient ouvertes.
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Benoît Payan a annoncé à l’occasion de notre émission l’Aparté politique vouloir des services publics ouverts jusqu’à 20 heures. Comment allez-vous mettre en œuvre cette réforme ?
Cela fait partie des sujets qui seront étudiés par le groupe de travail sur les bureaux municipaux de proximité, lancé par Sophie Roques au dernier conseil municipal. C’est aussi un des enjeux de modernisation de nos services municipaux. Les habitudes des Marseillaises et des Marseillais ont évolué depuis des années. Mais nos services n’ont pas bougé. Comment est-ce qu’on apporte le meilleur service possible à l’ensemble de nos usagers ? La question des horaires d’ouverture en fait partie.
Ça passe aussi par la dématérialisation d’un certain nombre de procédures. Et nous menons aussi des réflexions sur le nomadisme de nos services publics pour qu’on puisse aller au plus près des gens.
C’est-à-dire, avec des bus ?
C’est avoir la possibilité d’aller au plus près des usagers pour ceux qui en sont les plus éloignés (sourires).
Les dates des élections départementales ont été confirmées, elles auront lieu les 13 et 20 juin. Comment vous positionnez-vous ?
Sur ce point, la vision de Mad Mars et celle du Printemps marseillais convergent, parce que c’est dans notre ADN à tous les deux. Je suis persuadée que pour les Départementales comme pour les Régionales, si les forces écologistes, de gauche et citoyennes se rassemblent, il y a un chemin pour la victoire.
Vous souhaitez jouer un rôle dans ces scrutins ?
Je vais jouer un rôle ? Certainement. Maintenant qu’on est responsables politiques, c’est de notre responsabilité d’aller aussi dans ces combats-là et faire progresser nos idées.