Josiane est un nouvel alcool marseillais produit avec l’agave ramassé sur le Frioul. Une plante jugée envahissante par les autorités publiques, qui menace la biodiversité du Parc national des Calanques.
Bouteille épurée, design minimaliste et liquide cristallin : voici Josiane, un alcool d’agave 100% marseillais. Après trois ans de travail, Justine Batteux et Axel Schindlbeck sortent enfin, avec le distillateur Martial Berthaud (Atelier du Bouilleur), le fruit de leur labeur. Un produit alliant écologie, artisanat et leur amour pour Marseille.
« Il y a trois ans, Axel revenait du Mexique. On se baladait sur l’Ile du Frioul lorsqu’on a remarqué qu’elle était pleine d’agaves et que ces derniers, non-endémiques et considérés comme des plantes envahissantes, étaient en train d’être arrachés dans le cadre du projet Life Habitats Calanques, se rappelle Justine. Nous sommes donc entrés en contact avec le Parc national des Calanques qui cherchait, à ce moment-là, un moyen de revaloriser ce déchet vert. Nous avons proposé d’en faire un alcool marseillais, tel le Mezcal d’Oaxaca ».
En 2017, le Parc national des Calanques lançait en effet le projet Life Habitats Calanques. Prévu jusqu’en décembre 2022, il vise à préserver et restaurer les habitats naturels du littoral des Calanques. Le projet a, entre autres, pour but d’empêcher la prolifération d’espèces végétales non-endémiques envahissantes. Ces dernières, l’agave d’Amérique, le figuier de Barbarie, les griffes de sorcières et la luzerne arborescente, peuvent conduire au déclin d’espèces locales.
« Troisième cause mondiale de l’érosion de la biodiversité »
« L’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) a identifié les espèces exotiques envahissantes comme étant la troisième cause mondiale de l’érosion de la biodiversité, nous explique Laureen Keller, chargée de mission Life Habitats Calanques, le problème est qu’elles se développent bien plus vite que les plantes endémiques, comme l‘astragale, le plantain à feuilles en alène, la saladelle ou l’astérolide maritime. Elles se sont mises à coloniser, voire à prendre la place de ces espèces locales ».
De manière indirecte, la faune est également menacée, par exemple « l’astragale de Marseille est pollinisée par un grand nombre d’espèces sauvages, comme les abeilles. Si elle venait à être remplacée par les plantes envahissantes, les pollinisateurs pourraient également disparaître, ne trouvant plus ce dont ils ont besoin », continue-t-elle.
Actuellement, la présence des espèces non-endémiques dans le Parc national des Calanques est avancée. Mais elle n’est pas critique. Elle est régulièrement contrôlée par des opérations d’arrachage. C’est à ce stade du projet que Justine et Axel entrent en jeu : avec leur laboratoire de recherche Reveeal, créé il y a un an, ils ont mis au point un moyen de donner une seconde vie à ces déchets verts.
Des premières tentatives laborieuses
C’est ainsi que débute l’aventure de ces trois individus, à la recherche de la meilleure façon d’exploiter les agaves, signifiant « digne d’admiration » en grec ancien. Fraîchement greffés au projet Life Habitats Calanques, ils essaient dans un premier temps de fabriquer de l’alcool « à partir de 5 cœurs d’agaves, car seul le cœur est gardé. Sur le premier test, on était très satisfait du goût mais on en a sorti seulement 1 litre », se rappelle la co-fondatrice de Reveeal.
La deuxième année, les instigateurs du projet organisent une véritable campagne d’arrachage : au total, 1,5 tonne d’agave est récoltée, puis cuite dans un four à boulanger. Résultat : 7 litres sont produits, une production encore trop maigre pour le trio qui se rend compte que « si les plantes ne sont pas assez mûres ou restées au soleil trop peu de temps, la fermentation ne rend pas bien », ajoute Justine.
Une récolte tardive pour des agaves plus sucrés
La troisième année, fort de leurs précédentes expériences, ils décide d’arracher les agaves un peu plus tard afin qu’ils soient plus sucrés et moins gorgés d’eau. Cette fois, après la récolte, les cœurs sont cuits dans un sauna pendant 5 jours à 50 degrés. Ils sont ensuite découpés à la main, pressés et fermentés durant un mois, en plein soleil.
Après cela, place à la distillation, qui dure environ deux jours. L‘alcool récolté est ensuite dilué à l’eau pour descendre à 45 degrés. Il repose enfin pendant environ trois mois. « La mise en bouteille s’est faite en novembre. Ce projet nécessite beaucoup de patience, mais il en vaut la peine », nous confie Justine. En effet, avec cette méthode, 100 litres ont été produits.
Josiane veille sur la plage du Prophète
Pourquoi appeler cette boisson Josiane ? Lorsqu’on lui demande, Justine adopte un ton mystérieux : « Sur un rocher de la plage du Prophète, il y a un tag « Josiane », depuis de nombreuses années. Il ne s’efface pas parce que quelqu’un vient sans cesse le refaire. C’est un mystère, ce tag, avec une personne inconnue le maintenant en vie. Les agaves sont un peu pareils. Ils sont là, depuis très longtemps, on ne sait pas qui les a introduits mais ils font partie de Marseille, raconte-t-elle avant d’ajouter : on aimerait beaucoup pouvoir trouver l’auteur de ce tag, pour lui dire qu’il nous a inspirés et lui offrir une bouteille ».
Et si la bouteille Josiane est faite à base d’alcool d’agave, Reveeal a créé un deuxième produit, Viviane, un mélange d’eau de vie de vin et d’alcool d’agave : « On cherchait un deuxième nom pour cette bouteille-là. En repassant sur la plage du Prophète, on a remarqué un deuxième tag avec écrit « Viviane », on s’est dit que c’était parfait », se rappelle Justine.
La récolte de cette année est en vente sur le site internet. Concernant ses futurs projets, Reveeal s’intéresse d’ores et déjà à une autre espèce envahissante de Marseille, le figuier de Barbarie. Mais avant cela, l’équipe se concentre sur Josiane, un pur « concentré » marseillais, justement.