Le dernier film du photographe Yann Arthus-Bertrand était diffusé au Château de la Buzine dans le 11e arrondissement. Mélange de témoignages face caméra et de scènes vues du ciel, il tente de comprendre pourquoi « l’humanité n’avance pas ».
Par quoi commencer? Ce père israélien, qui raconte sa peine et la façon dont il a perdu sa fille dans un attentat-suicide ? Ou bien cet homme palestinien qui a perdu la sienne, à l’âge de dix ans, touchée par une balle en caoutchouc à la sortie de l’école, mais qui refuse de se venger ? Cette femme cambodgienne qui pleure sans s’arrêter, parvenant à peine à stopper ses sanglots pour interpeller les politiques ? Ou cette gamine qui s’est enfuie, dans la nuit, parce que ses parents la maltraitaient ? Des prisonniers américains aux enfants d’Amérique du Sud, des femmes africaines aux surfeurs australiens, on passe d’un portrait à un autre, d’une vie à l’autre, sans autre explication. À la sortie de « Human », on ressort groggy, étourdi après trois heures intenses où l’émotion succède aux séquences d’hélicoptère sur fond de musique majestueuse.
Ce long-métrage aux allures de saga laisse pensif. « On n’a pas fini de réfléchir. C’est grandiose. Et très philosophique… », ponctuait une dame, à la sortie de la projection. De la Bolivie à l’Afrique du Sud, en passant par l’Espagne, les Etats-Unis, cette saga nous transporte aux quatre coins du monde sans autre explication que ces tranches de vie, racontées sans fil directeur, et qui évoquent tantôt l’amour, l’argent, le bonheur, la réussite, la guerre… « On a tous dans notre vie des gens que l’on a rencontrés et qui nous ont fait avancer, nous ont rendu meilleur », explique Yann Arthus-Bertrand, qui a compilé pendant trois ans pas moins de 2 000 interviews, dans 75 pays différents. «J’ai rêvé d’un film où la force des mots résonne sur la beauté du monde».
C’est bien ce qui ressort du film : l’esthétique, avant la politique. Car derrière les émotions, un constat se dégage de cette mondialisation humaine qui traverse les langues et les cultures : chacun, à un moment, parle un langage universel, pour raconter sa douleur ou ses joies, ses petits bonheurs comme ses grands projets. « Human » raconte la vie sans mettre en perspective dans quel conflit, dans quel pays, dans quel contexte ceux qui nous content leurs aventures se déploient. Les séquences filmées par drones sont spectaculaires et ajoutent à l’émotion poignante, palpable du début jusqu’à la fin. Oui, en voyant ce patchwork de coutumes, de cultures, de visages, on remarque que l’humanité est interchangeable. C’est précisément le but du réalisateur. Mais cette humanité présentée comme un tout n’en est pas pour autant désincarnée ou dénuée d’aspérités. Les différences de culture sont visibles : elles font simplement partie d’un genre humain plus vaste qu’elles.
Seule touche de politique dans ce long panorama subjectif, l’ancien président urugayen José Mujica, qui en appelle à la « sobriété » face à la croissance effrénée du monde occidental. Dans le plan suivant, des images de tours immenses où de petites silhouettes passent des coups de téléphone au milieu de bureaux ultra-lumineux. Pas besoin de paroles pour comprendre le message, face à tous ces témoignages dont la simplicité se passe d’interprétation, au profit d’une empathie poétique parfois salutaire.
Human, 3h11, par Yann Arthus-Bertrand. Un projet financé par la Fondation Bettencourt Schueller.