Quel rôle doit jouer Marseille dans le cadre de la relance économique du pays ? Comment le territoire peut-il tirer son épingle du jeu ? Le président de la CCI Aix-Marseille Provence, Jean-Luc Chauvin, revient sur la méthode et les filières sur lesquelles le territoire doit miser pour décrocher les crédits de l’Etat.

Le discours n’a pas changé. Et fait encore plus sens à l’heure de la relance économique du pays : « Jouer collectif », pour construire des projets ambitieux pour le territoire. C’est le leitmotiv du président de la Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille Provence, Jean-Luc Chauvin.

« La crise, c’est quoi ? Ce sont des dangers et des opportunités », plaide-t-il. Opportunités qu’il convient de saisir, pour répondre avec cohérence et unité aux appels à projets du plan du gouvernement « France Relance », et ainsi espérer décrocher des financements. Car au-delà de la compétition internationale, c’est une compétition par territoire qui s’ouvre désormais.

« Optimiste né », le chef d’entreprise fait le pari de l’intelligence collective pour être à la hauteur des enjeux ; « parce que l’on sait que dans nos entreprises, seul on ne peut pas faire grand chose, mais ensemble, on arrive à faire beaucoup ».  Entretien.

Les 100 milliards du plan « France Relance », seront injectés sur les territoires via des appels à projets. Quelle méthode préconisez-vous pour obtenir les crédits nécessaires ?

Ce plan de relance, qui est un bon plan sur le papier, ne deviendra un bon plan de relance pour la France que s’il y a des projets ambitieux qui sont financés, et pas seulement des choses déjà dans les tuyaux. Il faut identifier trois ou quatre sujets majeurs, et pas quinze. Travailler ensemble, ne pas avoir de projets concurrents et les structurer depuis les grands donneurs d’ordre jusqu’aux start-up, avec l’université et les laboratoires de recherche, mais également avec les collectivités locales.

La méthode, c’est ce qui nous a souvent manqué justement. Il ne suffit pas de mettre « jouer collectif », à la fin d’un communiqué de presse. Il faut commencer par le faire.

Sur ce territoire, on a toujours voulu concourir tout seul, parce qu’on est toujours tous meilleurs. Pour exemple du PIA3 [Grand plan gouvernemental d’investissement de 57 milliards d’euros, lancé en 2019, ndlr]. On a rien eu. Peut-être faut-il se servir des leçons du passé pour l’avenir, et faire comme pour Marseille Provence 2013, où nous étions tous derrière la candidature et où nous sommes arrivés devant Bordeaux, où la Mairie était seule. Je pense donc que regrouper l’ensemble du monde économique par filières, sur 4-5 priorités et projets, est essentiel pour le moyen-long terme. Pour prendre un coup d’avance, car nous sommes dans une compétition de territoires.

, Jean-Luc Chauvin : « Marseille est une chance pour la France », Made in Marseille
Le Mucem, témoin de l’année Marseille Capitale européenne de la culture 2013

Justement, quelles filières avez-vous déjà identifiées et sur lesquelles le territoire peut miser ?

Il y a plusieurs filières d’excellence. D’abord la santé. Nous sommes hyper bons sur les biotechs. Je rappelle au passage qu’Eurobiomed est né dans cette maison. Parce que mes prédécesseurs, en particulier une personne [Marc Pouzet, ndlr] qui aujourd’hui est président du Conseil économique et social régional environnemental (Ceser), élu à la CCI, a décidé qu’il fallait créer une filière qui permette de passer de la recherche fondamentale universitaire en santé à la création de start-up, pour déposer des brevets et les mettre en application. Il faut continuer à aider cette filière, pour faire en sorte qu’on vienne produire ici. On a bien vu au plus fort de la crise, pas seulement au travers du professeur Raoult qui a été médiatisé, que nous avons une excellence sur ce territoire, avec l’Université, les laboratoires de recherche [deuxième place de recherche française, ndlr].

La relance passe aussi par la connectivité, le flux de données. Comment se positionne Aix-Marseille ?

La leçon de la crise de la Covid-19 c’est qu’en France, contrairement à d’autres pays européens, nous n’avons pas un seul hub de communication, mais deux : Paris et Marseille. Et j’ose le dire, Marseille aujourd’hui est mieux connectée que Paris. Je ne le dis pas pour faire plaisir, parce que je suis Marseillais. J’ai des exemples à l’appui. D’abord en termes de temps de réaction pour se connecter avec l’Australie, l’Asie, la côte Ouest des États-Unis, ou la côte Est… On est autant voire plus rapide que Paris, Londres, Amsterdam. Si vous êtes sur un hub de communication, vous avez l’avantage de la rapide et la qualité de vie est supérieure. Vous répondez donc aux besoins de vos collaborateurs et derrière vous créez de la valeur ajoutée avec ces data-centers.

Avec l’arrivée du dernier câble qui arrive de l’Amérique latine (en cours de travaux pour une mise en service fin 2021-2022), on sera dans les 5 métropoles mondiales les plus connectées. L’enjeu est phénoménal, d’où l’importance d’avoir une université aussi importante que la nôtre, qui doit continuer de s’ouvrir à l’international, et l’importance de revendiquer cette position géo-stratégique du territoire, de lien, de hub humain, de business, entre l’Europe et l’Afrique.

Dans le cadre de la relance, la question est : « Comment on attire les meilleurs mondiaux ici pour créer de la valorisation, de la capitalisation, de l’emploi pour le territoire et donc quelque part de la ressource pour pouvoir rattraper notre retard en infrastructures aussi ? ».

, Jean-Luc Chauvin : « Marseille est une chance pour la France », Made in Marseille
Marseille au coeur des connexions mondiales © Interxion

La région dispose d’atouts en termes d’économie décarbonée. Le ministre Bruno Le Maire a détaillé son plan hydrogène, à 7 milliards d’euros. Comment comptez-vous décrocher des financements pour cette filière ?

On est un leader en matière d’énergie. N’oublions pas qu’Iter, ça se fait ici [réacteur thermonucléaire expérimental international à Cadarache, ndlr]. On est en train de travailler sur l’énergie de demain. Il faut qu’on accélère. Nous avons un énorme potentiel et pourtant, on s’est débrouillé pour ne pas être identifié à l’origine, parmi les quatre régions cibles que l’État recommandait. C’est rentré dans l’ordre depuis.

Des industriels sont d’ores et déjà prêts à utiliser de l’hydrogène décarboné. On a aussi peut-être des solutions pour la mobilité lourde (transports de logistique…). Il faut réunir toute la filière, les industriels, les TPE, mais aussi les start-up, et se mettre d’accord sur un projet collectif de territoire, qui doit prendre en considération quel(s) usage(s) on veut pousser, et qui doit aussi consacrer que tout part du client. Une fois que l’on a regroupé la filière, il faut y ajouter les collectivités, aussi bien les mairies que la Métropole, le Département et la Région, en tant que chef de file pour en discuter avec l’État. Rassembler en dehors de tous les clivages politiques et partisans, dans l’intérêt général du territoire.

 

Par exemple, l’hydrogène dans le circuit de logistique lourde, c’est le transport en commun, donc les collectivités qui vont acheter des bus à hydrogène plutôt que des bus au gazole. S’ils ne font pas cet investissement-là, on a beau produire de l’hydrogène, ça ne sert à rien. Je parle aussi des collectivités pour éviter d’être en concurrence entre deux territoires. On est en partie pilote pour le compte de l’État de la restructuration sur le territoire de Gardanne-Meyreuil. On peut très bien imaginer aller y produire de l’hydrogène pour l’ensemble du territoire. Et la Région est bien entendu bienvenue pour nous aider, et faire en sorte qu’avec le Var, qui travaille aussi sur ce sujet, nous soyons complémentaires.

Vous parlez de rassembler les grands donneurs d’ordre et les collectivités, en-dehors de tous clivages politiques, pour répondre de manière collective aux appels à projets. Est-ce en bonne voie ?

Oui, c’est en bonne voie. Je ne crois pas que notre territoire restera une fois de plus à côté de ce qu’il se passe partout ailleurs. Peut-être qu’ici, c’est un peu plus long, qu’il y a des résurgences ici ou là, parfois réactivées par des élections à venir ou passées. Mais, ce n’est pas très grave. La réalité, c’est l’efficacité. On est au pied du mur. On verra bien qui veut jouer collectif ou qui ne veut pas.

Marseille a un rôle à jouer dans le plan de relance national. Marseille est une chance pour la France. À nous d’être à la hauteur de cette responsabilité. À nous de ne pas produire 30 projets pour faire plaisir à 29 personnes, parce que si on ne sait pas sélectionner, nous n’aurons pas de projets à la bonne taille.

C’est une course contre la montre qui débute…

Pour nous, ce qui est important c’est la territorialité, la rapidité de choix et de mise à disposition des fonds. Ça ne sera pas efficace si on met les fonds à disposition dans deux ans, parce que les dispositifs sont trop complexes, trop administratifs et trop techniques. Et nous, en amont, nous devons présenter des dossiers, et nous avons commencé à travailler depuis le mois de mai. Les grands donneurs d’ordre, les grands groupes français, nous indiquent qu’il faut tous les rassembler.

À la Chambre, nous sommes peut-être bien placés pour le faire, notamment avec cette liaison qu’on a aussi avec l’État et cette confiance qui s’est installée durant la crise. C’est pourquoi, on réclame un sous-préfet par département ou un interlocuteur en charge du plan de relance, parce qu’on a quand même besoin d’un peu de décryptage, et savoir quel est le niveau d’exigence.

Pour aller plus vite, qu’attendez-vous de la part de l’Etat ?

Il faut simplifier les procédures. Si on veut avoir des effets, quand on dépose un dossier à l’Ademe, sur telle ou telle innovation, si on doit faire le parcours de deux ans d’autorisation on aura rien fait…

, Jean-Luc Chauvin : « Marseille est une chance pour la France », Made in Marseille
Signature de l’implantation de Quechen à Fos-sur-mer en janvier 2018 sous l’égide du ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Lemaire

Exemple avec le dossier Quechen, qui n’est toujours pas installé ?

La volonté est là. Quechen a confirmé son investissement, mais on va d’étude en étude. On avance, mais on avance dans le cadre de la loi européenne, et nous, Français, on en met toujours plus que les autres. Et puis chez nous, c’est toujours plus compliqué, comme on est quand même le seul pays à avoir inscrit dans la Constitution le principe de précaution. Conclusion : ça bloque tout !

Évidemment, il faut contrôler, mais finalement on n’avance pas. À un moment donné, il faut être enclin par un principe de réalité.

Le droit à l’expérimentation est une solution qui tarde finalement ?

C’est un moyen et j’espère qu’elle n’est pas enterrée [elle entre dans le cadre de la loi 3D reportée en raison de la crise sanitaire, ndlr]. L’expérimentation devra permettre d’apporter plus de souplesse et faire en sorte qu’on ne bloque pas tous les projets au principe de précaution. Il y a des process à respecter, mais il y a aussi un intérêt général à préserver.

En France, on a peut-être trop mis en avant la protection des libertés individuelles en oubliant l’intérêt général. Du coup, on prend du retard. Ce retard nous coûte de l’emploi pour nos concitoyens, de la qualité de vie et du bien-vivre.

, Jean-Luc Chauvin : « Marseille est une chance pour la France », Made in Marseille
Le Grand Port maritime de Marseille, un outil de rayonnement mondial

Le Grand Port maritime de Marseille peut-il contribuer à la relance économique du territoire ? Quelles sont les relations avec la CCIAMP ?

Les relations entre la Chambre de commerce et le Port sont excellentes. Le Port est un grand outil, une grande infrastructure du territoire, et indispensable à l’activité économique industrielle avec les marchandises. Tout type de marchandises pour le commerce en Méditerranée, mais aussi pour le commerce mondial.

Et si des entreprises industrielles s’implantent ici, c’est bien parce qu’elles sont à proximité des réseaux de transport et qu’elles peuvent transporter dans le monde entier des matières premières pour les amener ici ou l’inverse, des produits finis, d’où l’importance de cette liaison [Marseille-Salon]. Que ce port enclavé soit relié aux autoroutes pour pouvoir entrer dans les corridors européens.

On est le sixième port européen, sur les dix premiers on est le seul à ne pas avoir de liaison. Si on gagne un réseau autoroutier, d’abord d’un point de vue environnemental, ça sera mieux, le bilan carbone sera amélioré, mais surtout on va pouvoir gagner des trafics (sans opposer au ferroutage). On développera peut-être le fret, mais aussi le fluvial, parce que je n’oublie pas qu’on a un fleuve qui remonte dans la vallée du Rhône et jusqu’à la Saône.

Mais s’il n’y a pas l’utilisateur, personne ne viendra investir des centaines de millions d’euros. Tout part du client et on a tous les outils pour le faire. Ce port est en croissance continue. Le port est un des éléments essentiels de la relance du territoire. L’aéroport qui aujourd’hui a moins de trafic passager peut-être va pouvoir aussi réfléchir à travailler davantage sur le fret aéroportuaire.

Tout le monde a un rôle à jouer dans ce plan de relance. Ça ne marchera que si l’on répond aux appels à projets ensemble. Tout le territoire.

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