La crise du Covid-19 n’a pas épargné les marchands de journaux. Dans son kiosque, place Sébastopol (4e), Alain fait de la résistance. Les habitants du quartier se mobilisent pour lui permettre de sauver son activité.
« Pendant le confinement, Alain est une des personnes qui a le plus aidé les personnes âgées du quartier, il n’a peut être pas de médaille mais c’est un héros quand même ». Pour Fabienne de Courbeville, comme pour nombre d’habitants de ce quartier, le mot « héros » n’est pas trop fort, pour qualifier Alain.
Dans le quartier des Cinq-Avenues (4e), il est connu pour sa bonne humeur, son sourire, sa gentillesse, et ses attentions toutes particulières, comme glisser le journal sous le rebord de la fenêtre d’une de ses plus fidèles clientèles, lorsqu’elle ne peut se déplacer. « Alain, c’est l’âme de ce quartier », ajoute Fabienne.
Cela fait 30 ans qu’Alain Ghoubiguian anime la place de Sébastopol avec son kiosque à journaux. Durant le confinement, il a continué chaque jour à travailler, tout en entretenant la solidarité : « Je suis DRH dans une grande association médico-sociale et pendant le confinement j’ai continué à travailler tous les jours. Je partais en vélo le matin pour ne pas prendre les transports collectifs et voyais Alain tous les matins aller remettre le journal aux personnes âgées ou immobilisées du quartier comme il le fait, je pense, depuis toujours. Je le voyais aussi , le week-end, lui ou sa femme, faire des courses, rendre service aux uns et aux autres dans la journée », raconte Fabienne de Courbeville, qui vit dans le quartier depuis 2005.
« Certains collègues pensent déjà déposer le bilan »
Discret et serviable, Alain n’aime pas étaler ses problèmes, mais prête toujours l’oreille à ceux des autres. Pourtant, aujourd’hui, c’est lui qui se trouve en difficulté. « Au début du mois de mai, après que Presstalis a déposé le bilan, on ne recevait plus du tout de journaux, on ne vendait plus rien. Au bout d’un mois, un système de secours a été mis en place par les Messageries Lyonnaises de Presse (MLP). Depuis, ils nous fournissent de la marchandise d’une manière assez sporadique, des titres qui sont intéressants, ou pas, mais qui nous permettent de survivre en attendant. Aujourd’hui, la situation devient très difficile, on [les marchands de journaux, ndlr] ne pourra pas tous tenir le coup longtemps de cette manière. Certains collègues pensent déjà déposer le bilan », explique-t-il gravement, devant son kiosque, à deux pas des Cinq-Avenues.
En effet, Presstalis, précipité vers la faillite par la crise sanitaire du Covid-19, a laissé les marchands de journaux français, et en particulier du sud-est, dans une impasse. Car si l’ex-géant de la presse française a été repris début juillet sous le nom de France Messagerie, il n’a toujours pas recommencé à approvisionner les Marseillais.
Alain, toujours fourni par MLP, regrette donc un manque de grands titres nationaux : « MLP distribue à peu près 35 à 40% de la marchandise nationale, mais il manque des titres comme Télérama, l’Observateur, l’Express ou encore Paris Match. Ce sont des titres d’appel, ils permettent d’attirer de la clientèle dans un commerce et de vendre. Ces titres là, on n’en a plus. Le chiffre d’affaire est en chute libre », explique Alain. (lire encadré)
Survivre mais aussi assurer la pluralité de la presse
Fabienne, comme d’autres fidèles, ne pouvait rester inactive face à cette situation. Grâce à son groupe Entraide Sébastopol, lancé durant le confinement pour aider les habitants du quartier, elle a relayé un appel à venir en aide à « notre marchand de journaux place Sébastopol », en proposant d’acheter 15 jours voire 1 mois de journaux par avance, afin de lui garantir un minimum de trésorerie : « Je trouvais scandaleux qu’après une telle période de solidarité, on laisse mourir à petit feu celui qui est probablement le plus aidant du quartier », ajoute-t-elle.
Une pétition nationale intitulée « Rendez-nous nos journaux » a également été lancée en mai, afin de ramener de nombreux grands titres dans les kiosques. Elle a déjà rassemblé près de 1100 signatures : « Les gens s’organisent, ce sont des clients, des amis presque, parce qu’on se connaît depuis tant d’années. Ils essaient de sauver la situation pour nous, bien sûr, mais aussi au niveau de la pluralité de la presse parce qu’il y a beaucoup de titres qu’on ne reçoit plus et la pluralité, comme elle devrait exister, n’existe plus. On reçoit des petits titres pour monsieur et madame tout le monde, mais ce n’est pas ça, la presse », précise Alain, fin connaisseur.
Depuis de nombreuses années, entre retraites, changement d’activité ou difficultés, des kiosques à journaux n’ont pas d’autres alternatives que de baisser le rideau. Pour leur offrir une seconde vie, à Marseille, des artisans locaux réinvestissent ces kiosques à l’abandon, avec de nouveaux concepts (torréfacteur, glacier, bar à ongles…).
Alain lui a décidé de se battre pour ne pas mettre la clé sous la porte. Exceptionnellement, ce marchand de journaux gardera son kiosque ouvert toutes les matinées de l’été, dans l’espoir de pouvoir renvoyer ou liquider son stock d’invendus s’élevant à 150 produits, non remboursables. « Et puis, la clientèle est là. On ne peut pas se permettre de leur dire « allez chercher ailleurs ». Il faut rester présent », confie-t-il, car ce qui est sûr c’est qu’Alain, lui, adore son métier et ses clients ne comptent pas le laisser tomber.