À l’instar d’autres filières touristiques, celle des croisières est très durement touchée par la pandémie de Covid-19. Jean-François Suhas, président du Club de la croisière Marseille Provence dresse un état des lieux de la situation et des perspectives, dans ce contexte particulier.
La région Provence Alpes Côte d’Azur accueille chaque année 2,5 millions de croisiéristes. Ils génèrent près de 2 500 emplois. La filière pèse plus de 400 millions dans l’économie régionale. Les deux mois de confinement ont eu de lourdes conséquences sur le secteur de la croisière, qui se prépare doucement à relancer son activité. Pertes, protocoles sanitaires à bord, croisières vertes… Le président du club de la Croisière Marseille Provence, Jean-François Suhas apporte un éclairage sur la reprise.
Pouvez-vous nous faire un état des lieux de la situation, avec un bilan chiffré des pertes ?
On a perdu à peu près 100 000 passagers en mars, soit 70%. Ce sont environ 560 000 passagers à ce jour, pour Marseille, et environ 1 million de passagers sur l’ensemble de la région. On perd environ 600 000 euros par escales. Les pertes sont évaluées à 100 millions d’euros déjà. Pour comprendre cette économie-là, il est important de savoir qu’on ne raisonne pas en chiffre d’affaires. Quand on parle de la croisière, on parle de l’impact industriel et touristique. Il est important de noter que ces pertes se répartissent pour deux tiers sur la partie industrielle avec toutes les activités en lien avec les services portuaires, les terminaux, l’exploitation des navires, l’avitaillement… Et un tiers sur le volet touristique. C’est important de le souligner.
Des compagnies de croisières sont-elles menacées ?
Les compagnies qui sont menacées, aujourd’hui, ne le sont pas à court terme. Elles sont menacées dans leur développement. Depuis bien longtemps, la plupart des compagnies ont fait le choix d’utiliser des pavillons étrangers, et donc n’ont aucune aide publique. Les compagnies se sont mises en capacité de se sauver, avec leurs banques, en fonction du marché, ou même en hypothéquant leur bateau. La reprise sera lente, et les croisières ne seront forcément pas pleines, mais cela va quand même permettre de survivre, parce que ça reste une industrie rentable, et on peut s’attendre à une guerre des prix. Donc, il n’y a pas de risque de disparition à court terme, mais par contre un vrai risque de changement, de rachat, de fusions entre certaines compagnies, parce que toutes ne pourront pas repartir en même temps.
Justement, quand on parle de reprise, certains premiers croisiéristes annoncent leur reprise début juillet. Quels protocoles sont mis en place ?
Ce sont les compagnies avec de « petits bateaux », plutôt de luxe qui devraient repartir début juillet, en proposant des choses originales : de l’expédition, mais en France, en évitant la promiscuité entre passagers, être en mesure d’espacer les tables… un peu à l’image de ce qui se fait dans l’hôtellerie de luxe. Les tests seront aussi de rigueur, pour tout l’équipage, mais aussi pour les passagers. Il faut la garantie que tout le monde embarque, soit avec une sérologie positive, soit avec un PCR négatif. Il y a des médecins à bord, ce qui permet de faire des tests quand vous en avez envie, y compris quand vous embarquez. Ça, c’est le monde à très court terme, c’est-à-dire celui de début juillet. Les épidémiologistes disent que l’épidémie finirait en juin, car c’est inscrit dans l’histoire des pandémies, même si on ne le comprend pas. Je m’inscris dans cette projection avec espoir. Mais, évidemment un buffet sur un bateau alors qu’il y a encore une circulation du virus, ce n’est pas envisageable.
Certains opérateurs préfèrent d’ailleurs reprendre, lorsque les conditions seront identiques à celles qu’ils ont connues avant. On aura la réponse aux alentours du 15 juin, pour savoir si les Français pourront aller en Grèce, en Espagne ou en Italie. D’ailleurs, je ne crois pas en une reprise de la croisière pérenne au niveau du tourisme européen sans l’ouverture de ces trois pays. Les 250 000 Américains qui viennent habituellement vont bien nous manquer, mais déjà avec les croisiéristes européens, on peut espérer redémarrer dès le mois d’octobre, avec 20 ou 30 escales mensuelles.
Vous participez à une visioconférence « les bateaux de croisière doivent-ils disparaître de Marseille ? » Comment abordez-vous cette question là ?
Très sereinement, parce que c’est toujours assez caricatural. Je ne m’exprime pas tant que ça sur le sujet. Il y a des gens qui s’expriment plus que moi sur la croisière, en particulier les hommes politiques qui ont besoin d’exister, les associations environnementales…
Les bateaux de croisière à Marseille, représentent 15 % des escales. Sur les 3500 escales du port de Marseille, il y en a que 500 qui relèvent de la croisière. Sur ces 500, plus, 20 % sont au gaz, donc on ne parle plus de pollution, mais encore de CO2. 80 % de ceux qui restent naviguent avec le nouveau carburant depuis le 1er janvier, surtout avec des systèmes de pot catalytique qui depuis 2 ans ont été installés sur quasiment tous les navires.
Durant, la période de confinement, j’ai demandé à des organismes type Atmosud, de faire des relevés atmosphériques, parce qu’il n’y avait plus de voiture, mais il n’y a jamais eu autant de bateaux, avec des paquebots présents 24h/24. Il n’y aucune trace d’eux sur le plan environnemental, alors qu’on nous dit tous les jours, par des calculs dénaturés, que le transport maritime en général, dont fait partie la croisière, couvre toutes les pollutions marseillaises. Quand on aura que des voitures électriques, effectivement on trouvera la trace des bateaux. Pour le moment, ils ne représentent que 10-15% de la pollution, et 1% qui sont les paquebots.
Ces bateaux gigantesques ont, selon vous, encore un avenir ?
C’est vrai que c’est un symbole de « mass maket », ils sont trop gros, très gros. Mais nous sommes aussi de plus en plus nombreux. On est 7,5 milliards sur la terre. Il y a des gens qui ont envie de partir en mer, mais si vous ne faites pas ces gros bateaux, avec lesquels vous partez en mer pour 700 ou 800 €, voire 1000 € la semaine dans les conditions de rêve, vous partez pour 10 000 € et tout le monde ne peut pas se le payer. Ces gros bateaux ont encore de l’avenir, dans la mesure où ils ont quand même compris en les faisant au gaz, qu’il ne fallait pas plus parler de pollution.
Je suis un écolo convaincu, j’ai passé ma vie sur des considérations écologiques et environnementales. Pour l’heure, ma seule satisfaction, c’est d’avoir été entendu par ces opérateurs. Il y a 5 ou 6 ans, lorsque j’ai commencé à les alerter en leur disant que s’ils voulaient venir à Marseille, il fallait passer au gaz, se connecter à quai… Je crois beaucoup en l’innovation, à la fois, en l’économie parce que c’est elle qui nous permet de vivre, on l’a bien vu durant ces deux mois, mais aussi à l’écomodernisme qui consiste à trouver la solution la plus écologique. Et ce qui est évident, c’est qu’avec l’énergie fossile, on s’est tous trompé. Il faut donc s’adapter. Il y a sur les bateaux, et particulièrement sur les paquebots des opportunités techniques qui nous permettent d’imaginer une exploitation zéro émission.
Peut-on réguler l’arrivée des touristes à Marseille ?
Complètement. Il y a des points de frictions, notamment à Notre-Dame de la Garde, et je demande depuis plusieurs années, de limiter l’accès. 400 000 à 500 000 croisiéristes sur les 2,5 millions de touristes. J’en ai déjà discuté avec le recteur. Il faut faire payer les places de parking. Les croisiéristes ne verraient pas non plus d’inconvénient à payer l’accès, et visiter sur certains créneaux horaires. C’est un lieu emblématique de Marseille, les touristes veulent y aller.
Croyez-vous en la capacité de résilience des touristes parce que l’image de la croisière a été écornée pendant la crise sanitaire ?
Elle a été écornée comme celle de chaque secteur symbolique. La plupart des croisiéristes font partie d’un public averti et convaincu. À partir du moment où le risque sanitaire sera bien maîtrisé, ils reviendront. Sur la croisière, on a vraiment des gens qui aiment la mer, partir en mer, et n’ont pas envie de faire autre chose, et qui se sentent en sécurité sur un bateau. Naturellement, il faut rassurer les gens. Organiser des escales avec des accès à des hôpitaux.
Évidemment, on ne pourra redémarrer tant que l’ARS n’aura pas donné le feu vert. C’est qui est une évidence, c’est que la conception des futurs navires va être impactée. Les nouveaux bateaux qui vont être construits le seront avec des zones plus importantes de confinement, plus d’infirmières et de médecins, par exemple… Le mot d’être reste la « rassurance », et j’utilise volontairement ce terme.