Créé par Sahouda Maallem, en 2012, dans le 6e arrondissement de Marseille, 13 A’tipik, est un atelier de couture d’upcycling (l’art de faire du neuf avec du vieux), mais pas seulement. En plus d’être un chantier d’insertion, il s’est spécialisé dans la fabrication de vêtements adaptés aux personnes à mobilité réduite.
« Je souhaite créer des vêtements pour des personnes handicapées, des personnes fortes, plutôt maigres ou encore très grandes parce qu’il existe tous types de personnes, des personnes un peu hors normes, atypiques ». C’est ici tout se qui caractérise le concept imaginé par Sahouda Maallem.
La Marseillaise d’adoption a ouvert, en septembre 2012, son propre atelier de couture et d’insertion [Lire encadré] baptisé “13 A’tipik”, situé aux pieds de Notre-Dame de la Garde. Dans un désir de faire de sa « différence » une force et un atout, elle a souhaité créer un lieu célébrant l’interculturalité, tout en respectant l’environnement : « Je suis passionnée par l’upcycling depuis toujours, confie-t-elle, assise au bureau de son atelier de couture. Quand j’avais 15 ans, je fabriquais déjà des robes pour l’été avec mes soeurs. On achetait des pièces dans des fripp’ et on les additionnait à nos créations. Issue d’une famille nombreuse, je n’avais pas les moyens de faire autrement », raconte-t-elle.
La couture, une histoire de famille
« J’ai grandi dans une famille où il y a toujours eu de la couture. Dans ma chambre, il y avait une machine industrielle », se remémore Sahouda Maallem, Avignonnaise de naissance. Septième fille d’une famille de onze enfants, elle se souvient très distinctement de son père confectionnant des draps ou encore des rideaux pour la maison familiale : « Aujourd’hui je me fournis chez les frères Bensimmon, mon père à l’époque, se fournissait chez leur père », précise-t-elle.
Lorsqu’elle a obtenu son premier travail dans une boutique de vêtements avignonnaise, elle se rappelle avoir dépensé toute sa première paye dans des vêtements, qu’elle a partagé avec ses soeurs. En octobre 2000, elle a créé avec l’une d’entre elles l’atelier Chez Babel, spécialisé dans le prêt-à-porter et la location. Elle y a travaillé pendant 11 ans avant de venir s’installer à Marseille. Sa soeur dirige encore Chez Babel aujourd’hui.
« Comprendre les minorités, c’est mieux les accompagner »
Si Sahouda s’est intéressée très tôt aux minorités et aux injustices, c’est parce qu’elle les a vécues : « J’étais une bonne élève mais à l’adolescence, je me questionnais, je questionnais mes professeurs. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi nous étions étiquetés comme une minorité. J’ai alors commencé à avoir certains problèmes avec certaines personnes », se remémore la créatrice de 13 A’tipik, Française d’origine algérienne.
Ces problèmes l’ont poussé à devoir changer de collège en classe de troisième, avant de se diriger vers un lycée professionnel, dans la filière vente. Après ses études, elle a commencé à travailler dans une association, dans le milieu de l’insertion. Elle y est restée 28 ans avant de se reconvertir. Au cours de sa vie, elle a également vu de très près la situation des personnes à mobilité réduite : des suites d’une maladie, l’une de ses soeurs se déplace désormais en fauteuil roulant, ainsi que l’un de ses frères, victime d’un accident.
La fille de Sahouda, âgée de 34 ans, est également dans le même cas : « Elle est handicapée et souffre de surcharge pondérale. Elle m’a beaucoup apporté dans la création de 13 A’tipik », confie l’entrepreneuse, avant d’ajouter : « J’ai la chance d’avoir exercé ce métier pendant 36 ans. J’ai passé ma vie à trouver des solutions, et j’en trouve toujours. Ça devient presque un défaut parfois, c’est mon côté extrêmement optimiste. Mais on n’a pas le choix dans ce travail-là ».

Ces jours-ci, la moyenne d’âge des salariés est de 45 ans pour lutter contre la précarité des plus de 40 ans © I.B.
Lancement d’une collection capsule à son nom
Depuis la création de 13 A’tipik, Sahouda a eu l’occasion de créer des collections de décoration d’intérieur et elle a pu collaborer avec Kaporal ainsi que de designers français. Mais, la créatrice souhaite désormais voler de ses propres ailes avec le lancement d’une collection capsule à son nom.
« Dans mes vêtements, je veux trouver de l’harmonie afin que les personnes “atypiques” qui les portent se sentent belles et bien dans leur peau. C’est aussi pour ça que j’ai choisi le nom 13 A’tipik. Et j’ai enlevé les Y parce que j’aime bien mettre les points sur les I, c’est un peu ma façon de m’affirmer », plaisante la fondatrice. La Marseillaise d’adoption souhaite, d’ici fin 2020, sortir sa propre collection de prêt-à-porter, fabriquée à partir de matières réutilisées. Combinaisons, shorts, pantalons, robes, vestes mais aussi tenues décontractées.
Le chantier d'insertion, un travail à temps plein
Si 13 A’tipik créé des vêtements originaux ainsi que des vêtements adaptés aux personnes à mobilité réduite, c’est également un chantier de réinsertion : « Des organismes nous envoient des candidats qui rencontrent des difficultés sociales et professionnelles. On peut accueillir des jeunes qui n’ont pas d’expérience professionnelle, des personnes qui ont demandé l’asile politique, qui sont réfugiées, des personnes handicapées ou bénéficiaires du RSA. Après un entretien, on leur propose un contrat d’une durée déterminée de 6 à 24 mois », expose l’entrepreneuse.
Aujourd’hui, elle dirige 25 salariés dans son atelier de la rue des Antilles, dont cinq âgés de plus de 60 ans et deux de plus de 65 ans. Argentins, Syriens, Afghans, Comoriens, Roumains, Portugais… de nombreuses nationalités ont passé la porte de l’atelier au cours de ses 8 années d’existence.
Que le CDD soit à temps partiel ou à temps plein, l’objectif de Sahouda est de « re-mobiliser et dynamiser des personnes engagées dans un parcours d’insertion professionnelle » et les rendre « autonomes, libres et dignes ».
Mais leur offrir un CDD n’est quelques fois pas suffisant : « Depuis la création du chantier, j’ai dû avoir une dizaine de personnes sans logement. Avant d’être embauchés, ils vivent dans des foyers, mais lorsqu’ils commencent une activité professionnelle, la prise en charge s’arrête, déplore-t-elle. En ce moment, l’un de mes employés est d’ailleurs concerné. Nous venons de trouver une solution au bout de 6 mois, 6 mois sans logement, à dormir à droite à gauche ».
En plus de la problématique du logement, la créatrice de 13 A’tipik doit également régler le problème de la barrière de la langue, tout en travaillant sur le comportement et l’adaptation de ses employés en entreprise : « Je dépasse mon rôle à des moments, mais je pense que je n’ai pas le choix. C’est un package, les chantiers d’insertion. C’est tout, c’est leur histoire, leur vie que je vais partager pendant 6 mois, 1 ans, 2 ans… », conclut Sahouda.