Écriture, répétitions, création de podcasts… Malgré sa fermeture, le théâtre de la Criée grouille de vie. Les professionnels de la culture préparent la reprise, réinventent leur relation avec le public, et viennent en aide aux étudiants avec un nouveau dispositif. Reportage.
Le long du Quai de Rive-Neuve, la silhouette imposante du théâtre national de la Criée trône toujours sur le Vieux-Port de Marseille. Ses lettres rouges brillent dans la nuit, continuant de marquer ce repère culturel au cœur de la cité.
Mais l’effervescence des soirs de représentation est bien loin. Du temps où le public animait le quai à côté des bars voisins. Les portes sont closes depuis bientôt 6 mois. La faute à qui vous savez.
Pourtant, loin d’une hibernation, la vie actuelle de la Criée s’apparente plutôt à un sommeil réparateur et constructif. Comme nous le confie la directrice Macha Makeïeff, « la machine à rêves tourne à plein régime », et elle est prête à les offrir au public dès que le réveil sonnera.
« Il ne faut rien abandonner de la qualité et de l’exigence »
Ce soir-là, nous avons la chance de pénétrer dans le dédale de couloirs, coulisses, plateaux et autres espaces du théâtre. Découvrant que la vie grouille, propulsée à l’énergie créative. Dans un coin, deux monteurs vidéo créent des séquences pour un spectacle. Là, des régisseurs s’activent sur un décor. En gradins, metteurs en scène et comédiens peaufinent leur pièce.
Une générale de la création Lewis versus Alice se termine juste dans la grande salle. « Si on doit partir en tournée demain, les spectacles seront impeccables », assure Macha. « Il faut que les artistes et les techniciens continuent d’exercer leur art, de créer, de vivre, d’avoir des heures de travail. On est comme des musiciens, si on s’arrête de travailler, nous deviendrons mauvais ».
Malgré l’absence de public, « il ne faut rien abandonner de la qualité et de l’exigence », poursuit-elle, tout en dirigeant une répétition des Hadza. La séance illustre bien ses propos, alors qu’elle pointe sans transiger des imprécisions à rectifier.
Inventer de nouveaux liens avec le public
Ces pièces, comme bien d’autres en préparation, font l’objet de représentations devant un public de professionnels, pour « se projeter sur la reprise de la culture ». Mais le théâtre maintient aussi le lien avec le grand public.
D’abord avec une nouveauté : un studio de création sonore flambant neuf. Un véritable outil de production artistique qui permet à la Criée de livrer à son public des récits historiques, des lectures, des créations. De grands talents sont mis à contribution. Charles Berling reprend des textes de Jean Giono, Pascal Rénéric propose des narrations historiques, et le compositeur Sébastien Trouvé s’occupe de l’habillage sonore et musical.
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Le Quai des étudiants : un dispositif de « santé publique » à la Criée
Mais, « si on ne veut pas perdre le sens des missions qu’a cette maison dans la ville », la relation avec le public est également une question de « santé publique » pour Macha Makeïeff. Elle appuie sur « la détresse psychologique d’être privés d’art, de culture, d’imaginaire, de stimulation intellectuelle. C’est hautement sanitaire aussi ».
Aujourd’hui, c’est la détresse des étudiants qui l’inquiète particulièrement. Certains d’entre eux occupent d’ailleurs le théâtre depuis lundi. Ils viennent de différentes filières, principalement artistiques, de toute la région. Au côté d’intermittents, ils revendiquent la réouverture des lieux de spectacles et de culture et tirent la sonnette d’alarme sur leur précarité et celle des professionnels du spectacle.
S’il s’agit bien d’une occupation, elle se fait toutefois en « intelligence » avec la direction du théâtre précise Lola Roy, qui fait partie du mouvement*. La Criée travaille justement « depuis des semaines » à mettre en place un dispositif dédié aux étudiants en difficulté, baptisé le Quai des étudiants : « des temps de découverte du lieu, des équipes, de la programmation, mais surtout des ateliers de pratique artistique et professionnelle », décrit Macha Makeïeff.
* : mise à jour jeudi 18 mars à 12 h 40, afin d’appuyer la nature du mouvement, à savoir une « occupation » et sa composition (qui s’est étendue bien au-delà des étudiants de l’ERACM).
Dans l’attente du feu vert de la Préfecture
L’objectif est multiple. D’abord, leur offrir « des temps d’immersion professionnelle, de formation, de stage, qu’ils trouvent difficilement en ce moment ». Un dispositif en partenariat avec Aix-Marseille Université afin qu’il puisse « s’articuler avec leurs cursus, et même leur rapporter des crédits ».
Mais la directrice espère également offrir un refuge à leur détresse, « au travers d’ateliers philo, d’art, de parole, ils trouveront une véritable écoute ». Elle précise que des thérapeutes participeront au dispositif. « C’est très dur ce que les étudiants traversent. Si certains sont en détresse psychique, ils pourront trouver un accompagnement ».
« Tout est prêt de notre côté et avec l’université » assure Macha Makeïeff. Le lancement des ateliers est toutefois suspendu à l’autorisation de la Préfecture des Bouches-du-Rhône. Cette dernière nous répond que « les modalités de ce dispositif seront évoquées lors d’un prochain rendez-vous ». Il devrait se tenir dans le courant de la semaine prochaine.
À revoir : la « minute made » avec Macha Makeïeff