Celui que le New York Times a surnommé le « food activist », le chef Libanais Kamal Mouzawak, fait escale à Marseille à l’occasion de la 2e édition du Kouss Kouss Festival. Il sévira vendredi et samedi à la Friche La Belle de Mai. Quand le manger-ensemble devient une passerelle du vivre-ensemble. Petit avant-goût !
« La nourriture, c’est dire à l’autre « tfadal », c’est-à-dire « veuillez partager ce que j’ai préparé » ». La nourriture est l’une « des expressions les plus sincères et les plus authentiques de nos racines, de nos traditions et de notre histoire », assure Kamal Mouzawak. Ce « food activist », chantre de la nourriture œcuménique, est l’invité résident de cette deuxième édition du Kouss Kouss Festival. Pour les « Couscous du Toit », prévus ce vendredi 30 et samedi 31 août, à la Friche Belle de Mai, ce « chef » d’un autre genre a constitué une super brigade. Il sera ainsi entouré de la brigade des Grandes Tables, ses hôtes pour cet événement*.
« Make Food Not War »
À ses côtés également plusieurs cuisinières libanaises du Souk-El-Tayeb. Un « marché » (souk) « bon et éthique » (tayeb) que cet enfant d’agriculteurs crée en 2004, dans le centre de Beyrouth, où il fait travailler ensemble des producteurs de toutes confessions. Un lieu devenu incontournable. « L’idée est de soutenir les petits producteurs de toutes les régions libanaises. C’est aussi une plateforme qui ramène des gens de différentes religions, où l’on ne regarde pas l’appartenance politique, la couleur… autour d’un projet commun : c’est le produit de la terre qui rassemble et la cuisine qu’on en fait », exprime celui qui a fondé l’ONG « Make Food Not War » (Faites à manger, pas la guerre).
Dans cette même ligne, porté par l’idée de créer un « terrain commun, un lieu, une heure », pour se retrouver, il ouvre en 2009, le restaurant « Tawlet » (table en arabe), dans le quartier branché de Mar Mikhael. « En 2007, on a décidé de faire des festivités régionales autour des traditions culinaires d’un village ou d’une région, raconte-t-il. Pendant ces festivités, on a voulu garder un aspect traditionnel et donc la cuisine maison. Cela a eu beaucoup de succès, et c’est là qu’on a décidé en 2009 de répliquer le concept en ville et à un rythme régulier. C’est comme ça qu’est né « Tawlet » ».
« La nourriture est un moyen très simple pour s’ouvrir à l’autre »
Une table ouverte, où chaque jour une femme vient d’un village différent pour raconter son histoire et sa tradition à travers sa cuisine. Pour concocter cette cuisine « de derrière les portes des maisons », il avait convié des refugiées syriennes ou venues des camps palestiniens. « La nourriture est un moyen très simple pour s’ouvrir à l’autre. Il est très facile de partager un repas. Ça ouvre le cœur et l’esprit ».
Désormais six « tawlet », comme celles-ci, existent à travers le Liban, et une « version allégée » et éphémère a ouvert ses portes à Arles à l’occasion des Rencontres photographiques. « Le directeur des Rencontres est venu à Beyrouth avec le souhait de mettre le Liban à l’honneur à travers trois grandes expositions. En même temps, nous avons pensé qu’il serait bien d’avoir un autre type d’exposition sur la cuisine autour d’un projet solidaire, social et traditionnel, comme Tawlet. Ici, c’est plutôt une version cafétéria avec une équipe locale et des femmes qui viennent du Liban ».
Aux fourneaux, la brigade du 14-15e
Dans cette idée de partage des traditions et d’authenticité, il ne pouvait se passer d’une autre brigade pour ce temps fort marseillais. Ce prophète du slow food et de la cuisine macrobiotique s’est rapproché des habitant-es du 14e et 15e arrondissements de Marseille, avec lesquelles il a l’habitude de travailler. « Ce festival fait partie de toute une série d’événements que nous organisons avec ces cuisinières », souligne-t-il. Cette équipe de choc a été constituée durant plusieurs étapes de travail, ponctuées de rencontres, de partages et d’ateliers culinaires afin de préparer ce temps phare du festival. Une manière aussi pour cet humaniste culinaire de « montrer un autre aspect des quartiers nord ».
Ainsi 19 femmes ont enfilé le tablier pour réaliser les neuf couscous différents qui seront servis aux nombreux convives attendus ce week-end : le Moghrabieh, à base de boulettes de blé au poulet; le Freekeh à base de blé vert et de légumes; le végétarien; le couscous au poisson; l’agneau et raisins secs; le fameux couscous merguez ; et celui aux boulettes ; ou encore le Belboula, à base de semoule d’orge, amandes fumées, curcuma, oignon, raisins et artichauts.
« Arriver à faire partager les traditions »
Sans oublier le couscous chou-fleur, rappelant une salade avec pignons de pin, persil et citron, signé Merijn Tol. « C’est une amie hollandaise qui a beaucoup travaillé sur les traditions culinaires arabes, méditerranéennes, en Afrique du Nord et au Levant. Il faut savoir que le couscous n’est pas un plat libanais. Il faut faire la distinction entre la tradition de l’Afrique du Nord et celle du Levant, ce sont deux traditions différentes. Mais on a notre propre forme de couscous, et j’ai trouvé la présence de Marijn intéressante pour faire un pont entre ces différents mondes, et avoir la vision d’une cuisinière européenne sur la cuisine du couscous », explique-t-il, nourrissant l’espoir que « les gens seront contents et qu’on arrive à faire partager les traditions des uns et des autres ».
« Chef d’orchestre », Kamal Mouzawak a fait du bien-manger ensemble une passerelle vers le vivre-ensemble. Il dit aimer ce titre de « food activist », « car l’activisme c’est vouloir changer les choses, changer le monde, et je pense que chacun de nous devrait faire ça. Si on veut contribuer au changement, nous sommes tous des activistes ».