À La Plaine, le chantier entamé le 11 octobre se poursuit. Deux ans de travaux seront nécessaires pour livrer une place flambant neuve. Chaque jour, un ballet de camions se met en place pour faire avancer ce chantier très controversé, qui renvoie dos à dos, l’autorité publique et les habitants entre eux. Immersion au coeur du débat.
La transformation de la place Jean Jaurès, dite La Plaine, est un combat de longue haleine qui secoue toute une vie de quartier à la croisée des 1er, 5ème et 6ème arrondissements de Marseille, et retentit dans la ville entière.
L’histoire d’un projet très vite compliqué à mener
Dès l’automne 2015, des bruits courent sur une possible transformation de la place. Vite, les informations sont confirmées et la Société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire métropolitaine (Soleam), en charge du projet, annonce trois réunions de concertation publique dans la foulée fin novembre et début décembre 2015. La Soleam y présente ses axes de réflexion et le futur visage de La Plaine. S’estimant « ignorée » lors de ces rencontres, une partie des habitants du quartier se braque contre le projet. L’Assemblée de la Plaine, un collectif citoyen, se fait alors la voix de ces habitants mécontents.
Après plusieurs années d’études, la Soleam lance les travaux en octobre 2018. La collectivité se retrouve alors face à une forte contestation et une frange d’habitants toujours plus récalcitrants. Après des affrontements entre policiers et manifestants, la place est occupée puis évacuée à plusieurs reprises. Le démarrage du chantier a du mal à passer pour les opposants. Alors que certains arbres sont tronçonnés pour faire place aux travaux, les installations de chantier et barrières de sécurité sont prises pour cible par les opposants. La mairie prend une décision radicale. Elle décide d’ériger un mur de 2,5 mètres de haut tout autour de la place. « Nous avons pris cette décision car il était important que le chantier puisse démarrer et que les ouvriers puissent travailler en sécurité », nous explique Gérard Chenoz, président de la Soleam.
« Je ne comprends pas ce qui leur pose problème dans le projet », affirme encore aujourd’hui Gérard Chenoz. Pour Marta, l’une des porte-paroles de l’Assemblée de la Plaine « l’ennui, c’est que si on n’est pas d’accord avec le projet, on nous taxe d’extrémistes et on refuse de nous entendre. La réduction du marché et la montée en gamme de la place faisaient partie des invariants sur lesquels nous n’étions pas d’accords à la base ».
La concertation et l’ambition du projet en questions
La question de la concertation et de l’implication des habitants apparaît comme centrale dans les désaccords autour de ce projet. Brigitte Bertoncello est professeur d’urbanisme à l’université d’Aix-Marseille. Elle pointe justement cet élément : « À Marseille, on n’a pas cette culture de la concertation pour toutes les parties prenantes : élus, techniciens et habitants ». D’après la chercheuse, il y a plusieurs degrés dans la concertation « l’information, la consultation, la concertation, la participation et la co-construction. Dans le cas de la Plaine, on n’était plus dans le domaine de l’information visiblement. On doit faire un aménagement pour une population et non pas contre celle-ci ».
A la Soleam, Gérard Chenoz ne comprend pas ces querelles. Il affirme que les pouvoirs publics ont organisé « une concertation légale, même au-delà. Ce n’était pas de la co-construction, mais on n’était pas loin de cela ». L’élu enchaîne « certains voudraient qu’on ne fasse rien et qu’on laisse la place comme telle […] avec la question de la gentrification, le problème c’est que si c’est dégradé, on ne fait rien alors ? Nous avons axé cette rénovation sur deux thématiques majeures : la végétalisation et la piétonnisation. Je suis convaincu que ce projet plaira à tout le monde en fin de compte. Les « pour », les « contre », tout le monde va y trouver son compte. ».
Marta de l’Assemblée de la Plaine n’est pas d’accord avec l’autorité publique : « on a assisté à une stratégie de pourrissement volontaire de la place pour que les habitants soient prêts à accepter n’importe quel projet pourvu que ça change. Nous, on défend l’idée d’un quartier populaire, où il y a des gens pauvres qui vivent. On veut qu’ils puissent y rester et bénéficier des services publics qui manquent. La Plaine, c’est l’emblème de cette politique marseillaise qui vise à écarter les pauvres et les populations qui sont moins représentatives au niveau des élections et faire venir des gens de classe moyenne qui vont amener la richesse à Marseille ».
Fin du marché de la Plaine. L’incivisme des commerçants en illustration pic.twitter.com/05CUmfQ0Vo
— Justine (@OhLaGourde) 10 décembre 2016
Ces deux conceptions de la ville et la manière dont on pense celle-ci s’opposent d’après Brigitte Bertoncello « on assiste ici à un véritable conflit d’échelle entre intentions métropolitaines et intentions locales. Les décideurs veulent une place d’ambition métropolitaine, un espace qui a vocation à montrer l’attractivité et la modernité du territoire. Alors que les opposants sont plutôt favorables à un espace de proximité, en adéquation avec leurs usages ».
Un nouveau collectif d’habitants favorables au projet
En marge du début des travaux et pour s’opposer à la gronde de l’Assemblée de La Plaine qui n’avait pas de « contrepoids médiatique« , un second collectif d’habitants s’est monté : les Riverains de la Plaine. Il compte une quarantaine de membres actifs, qui se disent favorables au projet, soutenant que « la Plaine ne peut pas rester comme elle est ». Nicolas en est le porte-parole, il n’est pas inquiet sur l’avenir de son quartier « ce n’est pas un projet urbain qui va imposer un mode de vie au quartier. On va s’approprier le projet et le faire vivre à notre façon ». Les membres de ce collectif ont été particulièrement séduits par la piétonnisation de la place qui jouait jusqu’alors le rôle de parking géant.
La transformation de la Plaine prévoit en effet la piétonnisation de 85% de la place et l’aménagement d’une voie de circulation traversante, en remplacement d’un anneau de circulation à sens unique qui ceinture aujourd’hui toute la La Plaine. Le nombre de places pour les forains du marché doit être diminué et certains nouveaux arbres seront plantés à la place de ceux déjà existants comme nous vous l’expliquions en juillet dernier.
Un projet compris au cœur d’une vaste zone de rénovation
Le projet se situe à la croisée de cinq pôles d’intervention identifiés par la ville : Curiol, Trois Rois, Nau, Bons Enfants et Olivier/Ferrari. Ces cinq pôles qui correspondent à des lieux de rénovation de voirie, de stationnement, de piétonnisation, de réhabilitation de bâti. La Soleam indique par ailleurs sur son site que 19 300 m² de locaux commerciaux (Ndlr : soit l’équivalent de la moitié de la surface du Centre Bourse) sont vacants sur l’ensemble de la zone.
Le projet de La Plaine s’inscrit donc au cœur d’une volonté plus large de transformation du quartier. Dans son magazine « Regards » de janvier 2015, l’Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise (Agam) s’interrogeait déjà sur les profils des Marseillais, et expliquait que les néo-marseillais, c’est-à-dire ceux qui habitent Marseille depuis moins de 5 ans, élisent domicile en priorité dans les 1er, 5ème et 6ème arrondissements.
« La part des cadres et professions intermédiaires est nettement plus élevée parmi les néo-Marseillais par rapport aux autres groupes », nous explique la revue. Ces autres groupes, ce sont : les natifs de Marseille, les habitants de Marseille nés en PACA et les Marseillais nés à l’étranger. Ces éléments portent à croire que les dynamiques de gentrification dénoncées par les opposants du projet de la Plaine, sont en réalité déjà en marche.
Vers une gentrification du quartier ?
Le quartier de La Plaine est un quartier nocturne, mélangé et à forte identité. Des établissements comme L’Intermédiaire, le Bar de la plaine ou le Petit Nice font figure d’institutions locales. La Plaine, c’est aussi un quartier avec ses figures et son ambiance. Les deux plus significatives traductions de ce mode de vie sont certainement la Sardinade du 1er mai et le Carnaval qui rassemblent chaque année des personnes de tous âges autour d’un événement autogéré, festif et populaire. C’est cette identité que les opposants au projet de l’Assemblée de la Plaine, craignent voir disparaître avec la nouvelle place Jean Jaurès, plus « minérale » « aseptisée », « boboïsée », gentrifiée en somme.
David Mateos Escobar est un sociologue marseillais. Dans le cadre de ses recherches, il s’est particulièrement intéressé aux dynamiques de gentrification. Selon lui, la situation est moins alarmiste que celle décriée par les opposants. Il tempère « c’est une crainte légitime mais c’est plus un imaginaire. On a tendance à lire les transformations des quartiers centraux sous le prisme de la gentrification. C’est un outil qui est devenu trop récurent voire excessif pour décrire des dynamiques toujours plus complexes ». Le chercheur s’est particulièrement intéressé au centre-ville marseillais et note que « les pentes de la Plaine (rues Thiers, Sénac et Curiol) ont connu un processus de paupérisation unique quand on s’intéresse au centre-ville dans son ensemble. Ces îlots ont connu une trajectoire de dégradation matérielle. Alors que le Cours Julien, a connu une trajectoire qu’on pourrait éventuellement assimiler à de la gentrification ».
Interrogé sur les transformations qu’induiront les travaux de la Plaine, Mateos Escobar insiste « quand on s’intéresse aux politiques publiques, il faut s’enlever de la tête qu’il y a un lien de cause à effet entre les intentions et les résultats […] ce n’est pas parce que les décideurs expriment le souhait de voir le quartier monter en gamme, que ce sera possible. Il y a des dynamiques très diverses selon des quartiers, des rues, des ilots… Le centre-ville n’est pas un. Par exemple, le quartier de Belsunce qui a connu de nombreuses transformations n’est pas devenu un quartier tendance ou encore moins huppé, mais on peut affirmer qu’il change ».
Brigitte Bertoncello abonde également dans ce sens « est-ce que transformer une place ça va générer de la gentrification ? Je n’en suis pas convaincue à Marseille. En revanche, c’est le signal dans la manière dont l’aménagement a été conçu de volonté de changement social. C’est un pari que la ville de Marseille s’est fixé depuis plusieurs années sous couvert de plus de mixité sociale. Cette place, c’est un fusible, un déclencheur qui renvoie à la manière dont on fait la ville et dont on la pense. Il y a eu des tous temps des mutations physiques et sociales de la ville. Marseille est une ville populaire et elle le restera. On ne peut pas transformer radicalement une ville. Il faudrait avoir les moyens de cette gentrification ». Les moyens que l’urbaniste pointe ici, ce sont notamment les infrastructures qui contribuent à installer durablement une population de substitution. Autrement dit les écoles, services publics en tous genres, commerces.
Bars à pain, épiceries solidaires, restos vegan, des commerces étiquetés comme « bobos » se font peu à peu une place dans le centre-ville marseillais. Les infrastructures publiques telles que les transports en commun ou l’état des écoles ne suivent pas toujours. Le mauvais état du bâti de nombreux immeubles marseillais dans ce secteur du centre-ville, qui a entraîné l’évacuation de quelque 1 600 personnes à ce jour suite au drame de Noailles, est certainement un repoussoir pour de nouveaux habitants plus aisés. Marseille s’apprête à entrer dans une nouvelle aire de rénovation de son centre. Et les défis sont nombreux.
Excellent article, qui semble bien référencé. Pour l’améliorer: ajouter des liens vers des sources éventuelles.
Dans la professeure d.urbanisme explique dans son commentaire qu’on doit faire une rénovation pour une population et non pas contre. Je pense qu’il serait plus juste de dire qu’on transforme une place pour la population dans la mesure où l’espace public doit le rester au bénéfice de tous.
Mais oui ! Enfin un article équilibré sur la Plaine. Nous, les habitants de la Place, en avons assez de mes voitures, assez d’une place à l’abandon, nous voulons une place piétonne. Et même si le projet n’est pas satisfaisant, il va dans la bonne direction. Alors oui la gentrification est une question. Mais ce n’est certainement pas en laissant une place à l’abandon qu’on règle la question. La seule solution est bien de rendre la Plaine piétonne. Même partiellement, c’est déjà ça.
Que les cocos de la plaine ne s’inquiètent pas, ni les riches du 8eme ni les touristes de New York vont envahir la plaine. Par contre si vous trouvez des touristes c’est votre faute vous louez vos appartements sur air bnb ou booking donc vous êtes et serez responsables de ce tourisme invasif. La plaine est un quartier agréable il ne changera pas. Quand on prendra un verre on pourra enfin être sûr de larges trottoir que sur des mini trottoirs et poser les verres sur le toit de la voiture. Ça sera plus propre car c’est un désastre. Par contre seul hic à Marseille comme à toutes les villes, faut des parkings gratuits pour les promeneurs, un tarif raisonnable à 50 euro par mois pour les résidents et les commerçants. Arrêtons de chasser la voiture du centre ville et les habitants. Il suffit de voir saint ferréol et le désastre orchestré par les décideurs politiques. Il faut des parkings des parkings des parkings. Depuis 20 ans Toyota fabrique des voitures hybrides et tous les constructeurs préparent cette transformation. Après que les jeunes étudiants ou les retraités n’ont pas de voiture c’est super. Il y a des systèmes de voitures en libre service, des twizzy, des vélos voilà. Mais arrêtons avec les mauvais problème. Et soyons honnête une grande place qui sert de parking au 21eme siècle c’est ridicule.
Pourquoi encore des parkings en centre ville ? Pour faire circuler encore plus de voitures ? Non, il faut des transports en commun performants, pourquoi pas des petits véhicules publics comme à Aix, qui peuvent circuler dans les petites rues étroites du centre-ville et permettent à tout le monde de se déplacer.