Samia Ghali, sénatrice et maire socialiste des 15e et 16e arrondissements de Marseille depuis bientôt neuf ans, se confie sur son inquiétude à l’approche des élections présidentielles de mai prochain et sur ses points de désaccords avec les candidats de gauche.

Fervente partisane de la non-légalisation du cannabis, sujet qui l’a d’ailleurs motivé à se lancer dans la politique de son propre aveu, Samia Ghali a du mal aujourd’hui à se rattacher à l’un des candidats de gauche dans la course à la présidentielle. Consciente des difficultés des quartiers Nord et de ses cités, outre le trafic, pour y avoir grandi, la sénatrice-maire ne manque pas d’idées pour créer de la mixité dans son secteur. Et c’est principalement sur une refonte de l’école qu’elle mise. Reportage.


, Entretien avec Samia Ghali : éducation, transport, cannabis, présidentielles, Made in Marseille Made in Marseille – Bonjour Samia Ghali. Dans quel état d’esprit vous trouvez vous pour cette année présidentielle qui démarre ?

Samia Ghali – Je la trouve morose. Je suis un peu inquiète que l’on ne se retrouve pas dans un vrai débat de fond pour savoir quelle France nous voulons pour demain. Car c’est ça une élection présidentielle : elle doit dessiner l’image de la France de demain. Après, on est d’accord ou pas politiquement avec les propositions, mais au moins aller vers ce débat et, aujourd’hui, ce n’est pas ce que l’on retrouve.

L’affaire Fillon, je dirais, a tué justement ce débat de fond que les Français attendaient et on se retrouve dans une élection qui n’en est pas une. Les gens ne savent plus pour qui voter, car ils sont en incapacité de vous dire le programme de l’un ou de l’autre. Ce sont d’ailleurs des bouts de propositions qui ne sont pas en réalité des programmes, c’est juste une philosophie qu’on retrouve chez chacun des candidats mais, finalement, personne n’a une vraie ossature de ce qu’il voudra faire quand il sera président et cela m’inquiète car c’est quand même une démocratie qui est en train de souffrir.

Il y a quelques mois, vous aviez annoncé vouloir soutenir le vainqueur des primaires, mais finalement Benoit Hamon ne vous inspire pas plus que ça, puis récemment vous avez annoncé être séduite par les idées d’Emmanuel Macron et sa vision de la société. Il y a aussi Jean-Luc Mélenchon que vous rejoignez sur certains sujets…

Il y a deux choses : d’abord cela prouve que je suis une femme qui regarde et qui écoute et que je ne me positionne pas par copinage. Ça n’a d’ailleurs jamais été ma façon de faire de la politique. Ensuite, je n’ai pas dit que je soutiendrai le vainqueur de la primaire, mais que je serai fidèle au Parti Socialiste (PS). Et je reste fidèle au PS.

Pour Benoît Hamon, je suis contre certaines de ses propositions comme le revenu universel qui est pour moi une régression de la société française pour la femme, pour la jeunesse et pour tout le monde. À partir de là, je considère que je ne suis pas en phase avec lui mais je ne suis pas la seule et peut-être que je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Je ne peux en tout cas pas donner un parrainage à quelqu’un dont je dis que je ne pourrais pas défendre ses propositions quand même ! D’ailleurs, je ne pense pas, et j’espère pour lui, qu’il n’a pas besoin de mon parrainage.

Pour Mélenchon, j’ai dit lors du débat sur la légalisation du cannabis dans Public Sénat (le 15 février 2017, ndlr) que je suis plus proche de lui que de Hamon, mais sur cette question-là seulement ! Pour autant, ça ne veut pas dire que je suis un soutien de Mélenchon car il y a d’autres choses sur lesquelles je ne suis pas d’accord avec lui.

Pour Macron, c’est complètement différent car il a peut-être considéré que j’avais des choses importantes à dire car il a pris la peine de venir me voir quand il était en déplacement à Marseille. Il m’a demandé mon point de vue sur certains sujets, son directeur de campagne m’a aussi contactée pour avoir mon sentiment sur certaines choses et donc je considère, à partir de là, qu’il avait compris la façon dont il fallait procéder. J’ai apprécié pouvoir échanger avec lui, chose que je n’ai pas appréciée avec les autres car il n’y a pas eu d’échanges. Mais j’ai toujours les mêmes positions.

De quel côté de la balance penchez-vous alors aujourd’hui ?

Aujourd’hui, je n’ai pas de penchant car je regarde. Je ne sais pas si je me positionnerai clairement d’ailleurs pour la simple et bonne raison que je n’ai pas la totalité de ce que Macron veut faire et je ne connais pas les programmes des uns et des autres. J’attends. Si Benoît Hamon change demain sa position sur la légalisation du cannabis ou en tout cas assouplit son positionnement, je considérerai à ce moment-là que je pourrai discuter.

Par contre il y a une chose dont je suis sûre : ce qui a fondé ce que je suis aujourd’hui, je ne vais pas le renier pour faire plaisir à Pierre, Paul ou Jacques. La vie politique est assez dure, il y a assez de compromis à faire notamment par rapport à sa propre famille pour m’obliger à me travestir ou à être en désaccord avec moi-même.

Vous avez indiqué à Sud Radio la semaine dernière, ne pas soutenir Benoît Hamon notamment à cause de sa position sur la légalisation du cannabis. C’est pourtant un sujet sur lequel Jean-Luc Mélenchon se dit aussi favorable. Cela ne vous gêne pas ?

Apparemment Mélenchon a dit qu’il était pour maintenant, mais moi ma position est toujours la même ! J’ai toujours dit que je ne soutiendrai jamais un candidat qui préconise la légalisation du cannabis car cela fait partie de mon ADN. Donc je ne penche pas pour Mélenchon, en tout cas sur cette question-là, car il a changé d’avis.

J’aimerais d’ailleurs expliquer pourquoi je suis contre : fumer la cigarette, ce n’est pas bon pour la santé du fumeur, mais vous ne mettez personne en danger en fumant la cigarette. Dans l’acte de fumer, au moment où vous avez absorbé votre cigarette, votre cerveau reste le même, votre comportement aussi car la cigarette n’endommage pas vos cellules psychologiques. Le cannabis, c’est autre chose. Pendant la période de pause d’un salarié quel qu’il soit (médecin, professeur, policier, infirmière…), si vous allez fumer un joint ou plus suivant les besoins et que vous allez travailler, je ne suis pas convaincue que vous êtes dans tout votre état.

J’ai fait partie de la commission au Sénat où on a travaillé sur ces questions-là pendant six mois, cela m’a conforté dans ce que je ressentais déjà. Il n’y a pas très longtemps d’ailleurs, je parlais avec Marcel Rufo (pédopsychiatre de renom, ndlr) et il m’a dit que j’avais raison d’être contre, que l’on ne se rend pas compte des dégâts que cela fait chez les adolescents. Pour lui, si on légalise, on va avoir de vrais problèmes de santé publique en France que l’on ne pourra plus gérer car c’est irrémédiable chez un enfant.

Ça c’est pour l’aspect médical…

Sur l’aspect sécuritaire ensuite, mis en avant par certains qui ne sont jamais venus dans une cité et qui ne connaissent pas du tout le trafic, aujourd’hui, la cocaïne rapporte autant que le cannabis. Elle est aujourd’hui vendue, elle est dans le trafic. Ça veut dire que le jour où on va légaliser, on ne leur tuera pas leur clientèle mais on va leur augmenter. Car celui qui veut fumer occasionnellement, il ira dans le magasin de shit, mais pas celui qui a besoin de consommer tout le temps. On sait très bien qu’on est en France et qu’il y aura des taxes et qu’on augmentera le prix sur le motif que ce n’est pas bon pour la santé et ça fera comme pour les cigarettes.

Allez au marché aux puces de Marseille et vous verrez le nombre de vendeurs de cigarettes à la sauvette qu’il y a. Pourquoi il y a des marchands de tabac qui font des manifestations en France ? Car ils n’arrivent pas à vendre leur cigarette à cause du prix et des marchands à la sauvette. Donc on voit que, économiquement, on ne tue pas le réseau par la légalisation et je ne veux pas qu’on mente aux Français vis-à-vis de cette question.

La situation aux États-Unis, depuis la légalisation, montre qu’il y a eu développement du trafic sur d’autres substances et même sur le trafic de prostitution de mineurs. Comme quoi un trafic en amène un autre. La légalisation ne réglera pas la question de l’insécurité et des règlements de comptes, ni du trafic. Et moi, mon jugement, je l’ai fait sur le terrain, depuis que je suis petite car j’étais de l’autre côté de la barrière. Je n’ai jamais consommé mais j’ai vu des amis, mon petit ami, les gens autour de moi, j’ai vu les ravages de la drogue et c’est ce qui fait que je suis entrée en politique.

Certains sont pour la légalisation afin de pouvoir mieux contrôler la composition du shit qui est souvent coupé à l’huile de vidange et bien d’autres produits…

Mieux contrôler quoi ? Je reprends l’exemple de la cigarette : quand vous allez l’acheter, elle est contrôlée. Et pourtant vous avez aussi des cigarettes qui se vendent où il n’y a que des pourritures dedans, c’est presque du charbon ! À un moment, cela voudra dire que l’on va permettre à ceux qui ont les moyens, d’acheter le bon shit dans les magasins, et à ceux qui ne les ont pas, de s’acheter de la merde.

Une chose est sûre : parce qu’on est en France, on sera obligé de limiter le THC (delta-9- tétrahydrocannabinol, la principale substance psycho active du cannabis, ndlr). Comme on va le limiter, la personne qui a l’habitude d’avoir un truc assez fort, elle ne va pas se contenter de juste ce qu’on lui propose et ira acheter illégalement.

Pourtant, pour ceux qui sont pour la légalisation, notamment les 150 personnalités marseillaises qui ont signé un appel national, cela permettrait de faire gagner de l’argent à l’État notamment grâce aux taxes qui pourraient servir à faire de la prévention, construire des écoles, des gymnases, des bibliothèques… plutôt que cet argent aille dans les poches des dealers.

Et quand vous aurez des enfants schizophrènes vous en ferez quoi ? Et combien cela va coûter à l’État ? Cela ne veut rien dire de dire que ça va faire gagner de l’argent à l’État. C’est l’argument de ceux qui veulent se donner bonne conscience, et généralement ce sont les fumeurs de joints qui veulent se donner bonne conscience. Ce n’est d’ailleurs pas à ceux-là que je m’adresse, c’est aux plus faibles, car ceux-là, c’est leur problème.

Que préconisez-vous alors à la place de la légalisation ?  

On ne s’est jamais vraiment posé la question du consommateur sur ce sujet. Je ne suis pas pour que le consommateur se retrouve en prison car il a fumé un joint mais je veux qu’il soit traité de la même façon que pour l’alcool : on retire le permis, on fait des tests… Pourquoi les Français ont changé leur façon de boire aujourd’hui ? Ils ont changé leur comportement car la réglementation fait que l’on peut réguler les choses. C’est pareil ici : on fait des contrôles et on verbalise le consommateur si on veut récupérer des sous, avec des verbalisations à 150€ minimum avec obligation d’être suivi par son médecin. Cela fera réfléchir.

Il y a du travail et de la prévention à faire aussi, même si c’est illégal. On fait bien de la prévention contre la violence faite aux femmes et c’est pourtant illégal. Il n’y a donc pas de débat là-dessus. Mettre aussi des cellules de désintoxication : une personne qui veut sortir de ça, c’est très compliqué aujourd’hui comme ça l’était à mon époque. Je pourrais débattre encore plus sur ce sujet-là car ma position est construite, elle n’est pas juste sectaire ou idéologique.

Puisque l’on parle de la situation des cités, trouvez-vous que les projets de rénovation urbaine mis en place par l’ANRU depuis 15 ans sur une dizaine de cités des quartiers nord, sont efficaces dans la lutte contre le chômage, le trafic, la délinquance, l’isolement, le communautarisme et autres maux qui touchent les quartiers difficiles ? 

C’est plutôt de l’enfumage. Je suis pour que l’on arrête la Politique de la Ville dans la façon dont elle fonctionne. C’est fatigant et usant car dès qu’on dit aujourd’hui qu’on met l’argent de la politique de la ville, on considère qu’on a tout réglé alors que c’est faux, c’est que du « blabla », ce n’est pas en adéquation avec la réalité et avec ce qu’il faudrait faire, c’est très long, ça ne crée pas d’emplois et ça ne rend pas les gens plus heureux car on n’est pas sur les vrais sujets.

Le vrai sujet aujourd’hui, c’est l’école. Moi je suis pour que, dès l’école maternelle, on permette à des enfants d’aller dans des écoles bilingues et de qualité et vous verrez que la mixité se fera à partir de là. Mélenchon dit par exemple de faire des cartes scolaires pour arriver à ça. Mais enfin, on en a fait 1 000 cartes scolaires et si vous n’avez pas envie de mettre votre enfant dans telle école, vous trouverez toujours un moyen pour y déroger !  Je ne crois pas en ça.

Par contre, si on fait de ces écoles, des écoles élites, avec des enseignants de qualité, des classes plus qu’allégées, des classes bilingues, je vous garantis que tous les gens qui regardent ces quartiers dans le style  « on les aime mais on ne se mélange pas », je suis sûre qu’ils viendraient y déposer leurs enfants car il y aurait une qualité d’éducation. Ce qu’on ne veut pas pour ses enfants, il ne faut pas l’imposer aux autres.

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Pour Samia Ghali, c’est en créant des « écoles élites » que l’on amènera de la mixité

À quelles mesures pensez-vous plus concrètement pour faire de ces écoles des « écoles élites » ?

Aujourd’hui, avec la réforme des rythmes scolaires contre laquelle je suis, on se retrouve avec des enfants qui doivent tuer le temps. Je l’ai vécu moi aussi à titre personnel. Il n’y a rien de pire que de tuer l’ennui. C’est pour ça qu’il faut remettre de la vie à tout cela en ouvrant par exemple les écoles pour des activités après la classe, mais pas pour faire du soutien scolaire. Par exemple si un enfant n’est pas bon en français, on va lui faire faire d’autres choses comme du théâtre et de la musique et ça va peut-être le faire progresser plus facilement.

Je suis pour aussi pour l’apprentissage du langage informatique dès le primaire qui est aujourd’hui, comme l’anglais, pris pour une deuxième langue. C’est important si on veut que, demain, nos enfants soient performants par rapport aux Chinois, Japonais ou Américains. Et aussi mettre en place des écoles du numérique comme je suis en train d’essayer de le développer.

Il faut de façon générale créer de l’ambition. Aujourd’hui l’école est fermée dans des schémas déconnectés du monde ! C’est une nécessité dans le développement d’un enfant. Là on peut considérer qu’on a donné des moyens à l’école pour faire réussir les enfants et vous verrez que la question de la mixité sociale  se réglera de cette façon-là. Et cela n’empêche pas de faire de la rénovation urbaine.

Au delà de l’école et de la mixité sociale, il y a un enjeu déterminant à résoudre dans les quartiers nord : l’accès aux transports en commun. Quels sont les trois projets prioritaires selon vous ?

La prolongation du métro jusqu’à l’hôpital Nord, car c’est une nécessité et cela règlerait beaucoup de problèmes. Ce serait aussi créer, dans un premier temps, un tramway depuis Euromediterranée, donc le centre-ville, jusqu’à Saint-Exupéry, redescendre Consolat, le littoral, remonter la Castellane, Bricarde, Plan d’Aou. Arriver à mailler tous ces quartiers. Ensuite, plus tard, prolonger ce tramway pour repartir sur l’Estaque, le Rove et Ensuès-la-Redonne.

Où vous voyez vous en 2020 ? 

À Marseille, ça je peux vous le garantir. Si vous m’aviez demandé, la première fois que j’ai été élue en 1995, où je me voyais en 2008, je n’aurais pas pu vous répondre ou en tout cas je n’aurais jamais répondu que je me voyais maire de secteur ! Je n’ai pas fait de plan de carrière politique. J’essaie d’avancer politiquement et c’est ce que je fais qui m’amène à ce que j’obtiens et pas l’inverse. J’avance, je ne sais donc pas où je serai en 2020, mais je ne m’interdis rien.

Par Agathe Perrier

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