En parallèle de l’avènement des comedy clubs à Marseille, les femmes humoristes se font une place dans un milieu concurrentiel et très masculin. Si les clichés ont la vie dure, la scène féminine de l’humour se structure.
Les Mécaniciennes n’ont pas les mains dans le cambouis, sous la carrosserie d’une automobile. Ce groupe de femmes humoristes se produit tous les mercredis à Marseille, au Garage comedy club, dans le quartier du cours Julien, jusqu’au 30 avril.
Pour lancer cette session, elles ont organisé un best of le 26 février devant une salle pleine à craquer. La maîtresse de cérémonie, Véra Peñuela Allegrini – dite « la patate » sur Instagram – rappelle l’importance d’un tel événement. Car les chiffres parlent d’eux-mêmes : « seulement un humoriste sur six est une femme ».
Gabrielle Giraud, standuppeuse montante à Marseille, participe à relancer la machine. Propulsée par ses vidéos sur les réseaux sociaux, elle veut casser le cliché que « les femmes sont moins drôles » en démontrant que cette sous-représentation des femmes dans l’humour est « le fruit d’une histoire patriarcale ».

Les clichés ont la vie dure
« Il n’y a pas si longtemps, quand la religion était encore ultra présente dans le quotidien des Français, il était obscène de rire en public. En particulier chez les femmes qui étaient perçues comme des femmes de joie. Rire, c’était désobéir », retrace l’artiste. « Alors imaginez celles qui… font rire », laisse planer Auri, fondatrice de stand-up girls by Auri.
Ce « stand-up girls » est à comprendre comme une invitation : « les femmes debout ! ». Car, les trois humoristes sont unanimes. Quand tu es une femme et que tu montes sur scène, « c’est un acte politique ». Dans le sens où les femmes parlent de sujets intimes et engagés, parfois méconnus voire incompris par les hommes. « Quand tu détiens un micro, tu as une responsabilité », abonde Véra.
Surtout pour détricoter les préjugés ? Encore aujourd’hui, Gabrielle Giraud relève des réflexions qui la font bondir. « T’es drôle pour une meuf », lui glisse-t-on d’un côté. « Faites du bruit pour la prochaine, c’est jamais facile de passer, première surtout quand c’est une meuf », entend-t-elle de l’autre.
Se créer une safe place
Alors, par peur d’alimenter ce cliché, la pression est encore plus forte. « C’est comme quand tu fais un créneau en voiture. Tu as tellement peur qu’on te dise que tu conduis mal parce que t’es une femme, que tu te mets une pression de dingue », compare Véra.
Cette pressurisation de la scène engendre bien souvent une boulimie de travail. « Avant les scènes, tu vois les mecs boire des coups, alors que les meufs sont le nez dans leurs fiches », observe Gabrielle. D’autant que certaines ne peuvent pas s’exercer suffisamment pour augmenter leur niveau.
« Il faut comprendre que moi j’ai de la chance, je joue beaucoup (…), explique Gabrielle. Mais ceux qui ont le pouvoir, qui tiennent des stand-ups et les festivals, ce sont des hommes. Ils programment moins les femmes. Donc elles jouent moins, elles s’exercent moins, et sont moins fortes… C’est un mécanisme ». Ce qui peut parfois nourrir un sentiment de perte de confiance, de lassitude, voire de découragement.
Une solidarité féminine dans l’humour à Marseille
Pour « prouver » le talent des femmes, plusieurs humoristes ont donc créé des scènes 100% féminines, de manière régulière, pour faire tourner une soixantaine d’artistes. Elles « se refilent aussi des plans » dans une boucle WhatsApp. « Il y a une vraie solidarité entre nous à Marseille. Plus qu’à Paris », estime Gabrielle.
Cependant, encore début 2024, « les clients n’étaient pas prêts à payer pour une scène de femmes », note Gabrielle. Alors elles ont rendu la soirée des Mécaniciennes gratuite avec un chapeau à la sortie. « Mais on programme peu d’artistes pour que chacune puisse être bien rémunérée », précise Auri.
Les choses semblent néanmoins bouger, petit à petit. Le 26 février dernier, le ticket pour les Mécaniciennes était fixé à 13 euros. Et la salle du Garage était comble. Ce 8 mars, l’Art dû organise aussi la soirée les Gadjis pour la journée des droits des femmes. Mais le but, avant tout, prévient Véra : « c’est que ces soirées disparaissent ».