Après des années d’attente, le plus célèbre des immeubles marseillais, la Cité Radieuse, construite par l’architecte emblématique Le Corbusier est enfin rentrée au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Initiée en France en 2002, la démarche qui vise à inscrire au patrimoine mondial de l’UNESCO 17 œuvres majeures de la production architecturale de Le Corbusier, dont la Cité Radieuse de Marseille, s’est concrétisée. Car le dossier de candidature « L’œuvre architectural de Le Corbusier – Une contribution exceptionnelle au Mouvement Moderne » a été examiné par le Comité du Patrimoine mondial.
Pour André Malrait, adjoint au maire de Marseille délégué aux Monuments et Patrimoine historiques « Cela prouve une nouvelle fois que Marseille est une ville d’art et de culture, reconnue dans le monde entier. L’installation du Mamo sur le toit même de la maison du Fada en est une vivante illustration. Par ailleurs, cette nomination devrait susciter des retombées économiques et touristiques encore plus importantes pour la deuxième ville de France qui accueille déjà 5 millions de touristes chaque année. »
La Cité Radieuse, un bâtiment exceptionnel à Marseille
Située sur le boulevard Michelet dans le 8e arrondissement à 200 mètres du stade Vélodrome, la Cité Radieuse est un ouvrage exceptionnel. Plus communément appelé Maison du Fada par les Marseillais, le bâtiment est bâti sur pilotis pour libérer l’espace au rez-de-chaussée qui permet aux habitants de circuler plus facilement de part et d’autre.
Autre anecdote intéressante, son implantation nord – sud, complètement décalée par rapport aux autres constructions dans le quartier, permet à tous les appartements d’être traversants, d’avoir une double orientation et le soleil le matin et le soir. Aucun appartement n’est exposé nord ! Et c’est une belle initiative, surtout à Marseille où le soleil est l’élément le plus important. D’ailleurs, les deux façades sont largement vitrées pour permettre un éclairage naturel optimal.
Les travaux de l’unité d’habitation marseillaise ont débuté en 1945 avant une inauguration sept ans plus tard en 1952. Avec ce bâtiment et les autres du même style, Le Corbusier a révolutionné l’architecture et l’urbanisme du 20e siècle. Car contrairement aux immeubles des villes anciennes de 10 mètres d’épaisseur et 25 mètres de hauteur, l’architecte a doublé ces dimensions afin de libérer l’espace au sol tout en gardant la densité d’un bâtiment classique.
Ainsi, les différents immeubles peuvent être plus espacés les uns des autres et les espaces au sol libérés transformés en jardins ou en espaces verts récréatifs et fédérateurs. Certains équipements pourraient y être réalisés tels que des écoles, terrains de sport et de jeux, dispensaires, jardins de promenade, parkings, etc.
Les appartements de la Cité Radieuse sont en quelque sorte des « villas suspendues au-dessus du sol » puisqu’ils comportent deux niveaux en duplex. Ils sont accessibles par de longs et larges couloirs nommés « rues intérieures », desservies par une batterie d’ascenseurs. L’un des niveaux du logis est à hauteur de cette rue et lui sert d’accès, l’autre niveau passe ou au-dessus ou en dessous du niveau de la rue. Petit plus non négligeable : à chaque niveau, chaque façade d’appartement est prolongée vers l’extérieur par une loggia.
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour classer les œuvres de Le Corbusier à l’UNESCO ?
La candidature pour classer les œuvres de Le Corbusier au patrimoine mondial de l’UNESCO a été initiée pour la première fois en France en 2002. Une première candidature avait été déposée mais refusée à Séville en 2009 puis à Paris en 2011. Deux échecs liés principalement à l’originalité du dossier : il fallait classer 17 oeuvres en même temps.
En effet, si dans la majorité des cas une candidature porte sur un seul site, celle de Le Corbusier porte sur plusieurs lieux puisque les différentes œuvres se situent dans sept pays différents. Une situation inédite car jusqu’à présent, les séries inscrites au patrimoine mondial comme les Beffrois de Belgique et de France par exemple concernent des pays transfrontaliers. Avec l’œuvre de Le Corbusier, c’est la première fois que divers pays du monde se sont rassemblés : France, Allemagne, Argentine, Belgique, Inde, Japon et Suisse.
« C’est une difficulté que nous avons assumé mais qui a engendré des inquiétudes de la part d’ICOMOS, le comité qui évalue les candidatures. De plus, le fait qu’il y ait dans le dossier des œuvres monumentales et d’autres plus modestes les a aussi désorientés », explique Michel Richard, Directeur de la Fondation Le Corbusier qui a initié la candidature.
Face aux deux échecs, le dossier de candidature a alors été revu et repensé. De 19 œuvres majeures, il n’en reste « plus que » 17 et l’accent a été mis sur l’argumentation. Le but n’étant pas d’inscrire l’intégralité des œuvres de Le Corbusier mais de représenter l’ensemble de ses idées, de ses conceptions, en somme de son travail. C’est pourquoi classer une œuvre majeure comme seulement la Cité Radieuse de Marseille par exemple n’a jamais été une volonté de la Fondation.
Parmi les séries déjà inscrites à l’UNESCO entièrement française, on compte par exemple les Fortifications de Vauban, entrées au patrimoine mondial en 2008. L’œuvre de Vauban comprend ainsi 12 groupes de bâtiments fortifiés et de constructions le long des frontières nord, est et ouest de la France. Cette série, qui constitue le meilleur exemple du travail de l’architecte militaire de Louis XIV, comprend notamment des villes neuves créées ex-nihilo, des citadelles, des enceintes urbaines à bastions et des tours bastionnées.
En France, d’autres endroits mythiques sont déjà répertoriés à l’UNESCO et parfois depuis de nombreuses années comme le Mont-Saint-Michel et sa baie (1979) ou encore les rives de la Seine de Paris (1991). L’année dernière, le patrimoine viticole français a été mis en lumière avec l’entrée dans le classement mondial des climats du vignoble de Bourgogne ainsi que des coteaux, maisons et caves de Champagne.
Que change l’inscription au patrimoine mondial pour les œuvres de Le Corbusier ?
Charles-Édouard Jeanneret-Gris, plus connu sous le pseudonyme de « Le Corbusier » a construit au total 78 bâtiments dans 12 pays différents et travaillé sur près de 400 projets architecturaux. Ce Suisse de naissance naturalisé Français est aujourd’hui une référence à travers le monde en termes d’architecture et d’urbanisme. Classer l’ensemble de son œuvre n’a donc pas pour but de faire découvrir son travail et son talent au public mais d’en assurer la protection.
« Notre souci est la préservation de l’œuvre de Le Corbusier. Quand je dis « nous », je parle des sept pays qui, par cette candidature, s’engagent à protéger et conserver cette œuvre. Ce qui est important aussi pour la Fondation est qu’un organe international comme l’UNESCO accepte de veiller dessus », souligne Michel Richard.
Découvrez la Cité Radieuse en images
Les autres œuvres de Le Corbusier de la candidature
En plus de la Cité Radieuse de Marseille, 16 autres œuvres majeures de la production architecturale de Le Corbusier font partie du dossier de candidature. On trouve ainsi :
- La Villa Le Lac – Corseaux, Suisse, 1923
Considérée par beaucoup comme l’acte fondateur d’une certaine idée de la modernité, la Villa « Le Lac » compte parmi les réalisations les plus personnelles et les plus inventives de Le Corbusier. La villa se trouve au bord du lac Léman, dans la commune de Corseaux, sur une étroite parcelle entre la rive du lac et la route de Lavaux.
- Les Maisons La Roche-Jeanneret – Paris (17ème), France, 1923 – France
Les Maisons La Roche et Jeanneret sont deux maisons mitoyennes. Elles ont été conçues comme un ensemble architectural unique mais elles ne relèvent pas du même programme : la Maison La Roche est celle d’un riche collectionneur célibataire tandis que la Maison Jeanneret répond aux besoins d’un couple avec trois enfants. Les maisons concrétisent la rencontre entre la peinture puriste, que le commanditaire Raoul La Roche collectionne et l’architecture moderne naissante.
- La Cité Frugès – Quartiers Modernes Frugès – Pessac, France, 1924
Les Quartiers Modernes Frugès revêtent une importance capitale d’un point de vue historique dans la mesure où ils sont à la fois la première cité de logements sociaux réalisée par Le Corbusier et son premier projet à grande échelle. Construite entre 1924 et 1926, La Cité illustre l’approche de recherche et d’innovation des architectes modernes et la volonté de Le Corbusier à transgresser les normes, les conventions, les savoir-faire routiniers.
- La Maison Guiette – Anvers, Belgique, 1926
Première commande reçue par Le Corbusier à l’étranger, la Maison Guiette inscrit, dès 1925, L’Œuvre architecturale de Le Corbusier dans une dimension internationale. Elle est le signe de sa reconnaissance précoce à l’échelle européenne et contribue fortement à la naissance de l’architecture moderne en Belgique et aux Pays-Bas.
- Les Maisons de la Weissenhof-Siedlung – Stuttgart, Allemagne, 1927
Les maisons de la cité du Weissenhof à Stuttgart, composées d’une maison individuelle et de maisons jumelées, ont été conçues par Le Corbusier et Pierre Jeanneret en 1927. Elles ont fortement contribué à ce que la cité du Weissenhof soit considérée comme l’une des réalisations les plus représentatives du Mouvement Moderne après la Première Guerre mondiale.
- La Villa Savoye et le pavillon du jardinier – Poissy, France, 1928
Sur un vaste terrain de sept hectares, libre de toute contrainte, la Villa Savoye est l’icône absolue du Mouvement Moderne. La maison se présente sous la forme d’un simple parallélépipède aux quatre faces équivalentes, posé sur pilotis et couvert d’un toit-terrasse d’où se détachent les formes plus souples d’un solarium. Les formes sont pures, immaculées, universelles.
- L’immeuble locatif Porte Molitor Appartement Le Corbusier – Boulogne-Billancourt, France, 1931
L’immeuble d’habitation est implanté à cheval sur les communes de Boulogne-Billancourt et du 16ème arrondissement de Paris. Il est le premier immeuble d’habitation au monde à façades entièrement vitrées. L’immeuble préfigure aussi les principes de la Ville radieuse.
- L’Immeuble Clarté – Genève, Suisse, 1932
Réalisé entre 1930 et 1932, l’Immeuble Clarté, aussi connu sous le nom de « Maison de Verre » est un immeuble locatif de 9 étages avec 50 appartements regroupés autour de deux cages d’escalier.
- La Manufacture à Saint-Dié des Vosges, Usine Duval – France, 1946
L’industriel Jean-Jacques Duval confie à Le Corbusier, en juillet 1946 la reconstruction de sa bonneterie, fondée en 1908, détruite aux deux tiers en novembre 1944. L’architecte saisit cette occasion pour réaliser une « usine verte », ce programme issu des standards de la Ville Radieuse et de la Charte d’Athènes
- La Maison du Docteur Curutchet – La Plata, Argentine, 1949
Le programme originel prévoyait une maison d’habitation pour une famille (un couple avec deux filles) et un cabinet médical (cabinet et salle d’attente). M. Curutchet demanda à Le Corbusier de créer une séparation claire entre les aires de travail et d’habitation et d’offrir à toutes les pièces principales une bonne orientation et une vue sur la place et le parc voisins.
- Le Cabanon – Roquebrune-Cap-Martin, France, 1951
Le cabanon de Le Corbusier est un témoignage de ses réflexions sur la production standardisée. Il représente l’aboutissement d’une recherche sur la notion de cellule minimum qui se situe au cœur des préoccupations des architectes modernes du 20ème siècle et renoue avec le mythe de la cabane primitive.
- Le Complexe du Capitole – Chandigarh, Inde, 1952
Chandigarh est une ville nouvelle construite après l’Indépendance de l’Inde en 1947 et réputée internationalement pour son urbanisme. Le plan de la ville de 500 000 habitants a été préparé par Le Corbusier à partir d’un plan précédent d’Albert Mayer. Il a aussi conçu plusieurs bâtiments publics importants tels que le Capitole qui fait partie de la candidature au classement de l’UNESCO.
- Le Musée d’Art occidental – Tokyo, Japon, 1954-1957
La collection (peinture et sculpture) qui appartenait à Kojiro Matsukata (1865-1950), un homme d’affaire japonais, avait été confisquée par le gouvernement français après la Seconde Guerre mondiale. Apres des pourparlers, elle est restituée en 1953 par la France au gouvernement japonais, celui-ci ayant accepté d’abriter cette collection dans un nouveau bâtiment destiné à faire connaître au peuple japonais l’évolution passée, actuelle et future de l’art occidental.
- La Chapelle Notre-Dame du Haut – Ronchamp, France, 1955
Construite entre 1953 et 1955, la Chapelle Notre-Dame du Haut est érigée à l’emplacement d’un ancien sanctuaire romain et d’une ancienne chapelle reconstruite une première fois dans l’entre-deux-guerres. Elle remet en cause tous les codes du plan et des formes de l’architecture chrétienne.
- La Maison de la Culture de Firminy, France, 1955-1969
La Maison de la Culture de Firminy fait partie d’un ensemble cohérent appelé « le Centre de recréation du Corps et de l’Esprit » et qui compte une autre réalisation de l’architecte : L’Unité d’Habitation. Elle a été entièrement conçue par Le Corbusier qui inaugure l’ensemble du gros œuvre achevé en mai 1965, quelques mois avant son décès.
- Le Couvent Sainte-Marie de la Tourette – Eveux, France, 1959
Le Couvent Sainte-Marie de la Tourette a été édifié par Le Corbusier pour les frères dominicains entre 1956 et 1959, sur un projet élaboré dès 1953.
Un autre site candidat : l’Étang de Berre
Le Sud-Est de la France compte quelques sites emblématiques déjà reconnus dans le patrimoine mondial de l’UNESCO. On peut ainsi citer les monuments romains et romans d’Arles ou encore le centre historique d’Avignon avec le Palais des papes, l’ensemble épiscopal et le Pont d’Avignon respectivement inscrits depuis 1981 et 1995.
D’ici un ou deux ans, un autre site devrait déposer sa candidature afin de la faire examiner par le Comité du Patrimoine mondial. Il s’agit de l’Étang de Berre, plus grande étendue salée d’Europe, qui malgré un passé industriel qui entache encore son image aujourd’hui, représente pourtant un ensemble de phénomènes naturels remarquables et témoigne d’un processus écologique et biologique unique dans l’évolution des écosystèmes en général.
Le député-maire de la commune de Martigues porte ainsi le projet de cette candidature et espère obtenir le classement de l’Étang de Berre dans cinq ans.
Par Agathe Perrier