Au procès hors norme de la rue d’Aubagne, le parquet a exceptionnellement porté un réquisitoire à deux voix. Il demande jusqu’à 5 ans de prison et 200 000 euros d’amende.
Six semaines après le début du procès de l’habitat indigne. Six ans après les effondrements de deux immeubles au 63 et 65 rue d’Aubagne à Marseille. Le procureur, Michel Sastre, va enfin détailler ses réquisitions ce 12 décembre devant une salle comble de la Caserne du Muy.
Les familles des huit victimes, leurs soutiens, les collectifs, les avocats des parties civiles et de la défense, les journalistes sont venus en nombre pour écouter ce long argumentaire d’un procès dit « hors norme ».
Parmi eux, les 16 prévenus : les copropriétaires cités, Julien Ruas, ancien adjoint à la prévention des risques à la Ville de Marseille, Xavier Cachard, co-propriétaire et avocat du syndic Liautard, ainsi que les représentants du bailleur social Marseille Habitat. Tous sont suspendus aux lèvres de l’avocat général.
« La cupidité des uns, la négligence des autres, et surtout l’indifférence de tous »
Mais, à l’étonnement général, le représentant du parquet ne fait pas cavalier seul. Ce matin, fait assez rare pour être mentionné, le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone, l’accompagne. « Nous allons mener un réquisitoire à deux voix », annonce ce dernier, vêtu de sa longue robe noire et blanche.
Le procureur explique sa venue pour « rendre justice aux victimes, et leurs proches, qui sont décédés par la cupidité des uns, la négligence des autres, et surtout l’indifférence de tous ». Nicolas Bessone veut donc ouvrir une nouvelle page judiciaire pour Marseille qui souffre de 1 400 arrêtés de périls depuis novembre 2018.
« La lutte contre l’habitat indigne est une politique pénale que je souhaite prioritaire », lance le procureur de la République, nommé en octobre 2023 pour mettre la lutte contre le narcotrafic sur le haut de la pile. « Les réquisitions seront fermes mais sans excès et adaptées à chacun », prévient-il.
Des amendes pour Marseille Habitat et le cabinet Liautard
Michel Sastre enchaîne. Pendant plus de quatre heures, il passe au crible les prévenus. C’est d’abord au tour de Marseille Habitat, propriétaire du 63, et de son ancien directeur Christian Gil. Le procureur démontre l’état insalubre du mur séparant les numéros 63 et 65. Le parquet requiert par conséquent 200 000 euros d’amende contre le bailleur et 30 mois de prison ferme contre M. Gil, assorti de 30 000 euros d’amende.
Vient ensuite le cabinet Liautard, syndic du 65, dont Monsieur Valentin avait la charge. Le procureur reproche « une récurrence des périls » que le cabinet « ne pouvait pas ignorer ». Le parquet requiert 100 000 euros d’amende pour le syndic, ainsi que 30 mois ferme avec 30 000 euros d’amende contre M. Valentin. Depuis, l’entreprise a mis la clef sous la porte, absorbée par l’agence Siga.
Du ferme contre un ex-adjoint, un avocat et un expert
Pour sa défense, le gestionnaire avait mentionné « avoir été influencé par les copropriétaires et leur avocat Monsieur Cachard ». Pour ce dernier, également copropriétaire, le parquet requiert 5 ans de prison dont deux avec sursis et 150 000 euros d’amende.
L’ancien adjoint au maire, Julien Ruas, risque quant à lui trois ans d’emprisonnement ferme, mais sans sursis, assorti de 45 000 euros d’amende. Son avocat Maître Campana, ancien bâtonnier de Marseille, qualifie son client de « bouc émissaire ». En face, le parquet estime que l’élu disposait « de toutes les informations » sur l’état de l’immeuble.
Selon le procureur, ces informations auraient pu être transmises en temps et en heure à Richard Carta venu expertiser le 65 « en une heure ». Cela aurait ainsi pu renforcer « les doutes » de l’expert avant de partir en vacances au Danemark pendant trois semaines. On requiert pour lui aussi trois ans de prison ferme, dont un an avec sursis, pour « manquements graves ».
Le réquisitoire vise aussi contre les co-propriétaires
Les co-propriétaires n’étaient pas prévenus au départ. Mais le parquet a « adapté une attitude ouverte » face à la mobilisation des parties civiles. Les procureurs les ont ainsi ajoutés au tableau des prévenus. Ils relèvent « un objectif de jouer la montre. Et de dépenser le moins possible » pour réaliser les travaux alors même qu’un devis avait été réalisé.
Le parquet demande donc des peines de prison ferme. Pour Michèle Bonnetto, quatre ans dont deux avec sursis. Pour le fils Bonnetto et madame Coellier, deux ans dont un avec sursis. Enfin, quatre ans, dont un an avec sursis pour Gilbert Ardilly, alors que sa femme est relaxée.
« Je suis contente car les propositions de citer les propriétaires ont été entendues », se réconforte Liliana Lalonde, la maman de Julien, mort sous les décombres. Quant à Imane Saïd Hassani, fils aîné d’une autre victime, Ouloume, il juge que ces réquisitions « ne sont pas assez sévères (…) pour faire changer les choses ». L’ancien locataire espère encore que le tribunal se prononce plus sévèrement.
Les parties civiles, soutenues par les collectifs, se réuniront demain soir, 12 décembre, à 19 heures au cinéma Gyptis pour demander l’ouverture d’une commission d’enquête sur l’habitat indigne aux parlementaires. Et continuer leur mobilisation hors-norme, comme ce procès, pour informer les habitants.