Née dans le Panier, la tradition des santons de Provence se perpétue depuis près de 250 ans à Marseille. Ces dernières années, les artisans santonniers se battent pour transmettre leurs entreprises et protéger ce patrimoine local. Reportage.
Installé en enfilade sur les étals de la foire aux santons de Marseille, chaque petit personnage d’argile raconte une histoire. La tradition provençale, d’abord, qui se passe de main en main depuis le 18e siècle pour composer la crèche. De la nativité avec Marie, Joseph et Jésus, aux métiers d’antan, le saunier, la lavendière et le rémouleur.
C’est aussi le cordon ombilical d’une tradition familiale. Les Escoffier, les Saurel, les Rampal, les Carbonel, les Allamand-Bouvier, les Gonzagues, les Gâteau. Tous arborent fièrement leur patronyme sur le fronton des cabanes, témoin d’un savoir-faire transmis de génération en génération.
En 2016, l’Union des Fabricants des Santons de Provence (UFSP) recensait 151 maîtres santonniers dans les Bouches-du-Rhône, dans le Gard et le Vaucluse. Pour autant, plus de 20% des entreprises réalisent des activités très faibles ou en voie d’extinction.
Cette tendance est visible sur le Vieux-Port. Ils sont aujourd’hui 22 santonniers quand ils étaient 40 en haut de la Canebière, allées de Meilhan, 50 ans auparavant. Si leur nombre a réduit de moitié, les survivants « tiennent la baraque » avec des recettes plutôt en hausse.
Des disparités entre maîtres santonniers
Certains, comme les santons Escoffier, se portent même très bien. L’entreprise a réalisé près de trois millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023 grâce à la vente sur les foires, à ses revendeurs historiques en France comme à l’étranger, et sur le site internet.
Les ateliers Marcel Carbonel font aussi partie des « gros » réalisant 1,6 million d’euros l’année dernière. Son fondateur, premier artisan distingué Meilleur Ouvrier de France en 1961, a « donné ses lettres de noblesse au métier car il a réussi à en vivre. Avant on faisait ça en complément de son travail comme mon grand-père qui était mouleur sur métaux », retrace Michel Bouvier, président de l’Union des fabricants.
Ce petit-fils de santonnier a fait toute sa carrière comme neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS de Marseille. Mais, quand sa maman est décédée il y a près de 20 ans : « je n’ai pas pu laisser mourir la tradition », confie-t-il. Le scientifique a alors racheté les moules et le fonds de commerce d’une entreprise, « mais pas pour gagner ma vie ».
Le santonnier est de ces artisans plus confidentiels qui fabriquent seuls ou à deux, à la maison, pour écouler les stocks pendant la foire à Marseille. Comme les santons Saurel qui produisent en couple 5 000 pièces toute l’année pour les six semaines de foire à Marseille et Aubagne.
Vendre ou transmettre ?
Gérard Stratta a rejoint sa femme Nadine Saurel, fille de santonniers, après sa retraite. Aujourd’hui, ils se posent la question de la transmission de l’entreprise car les enfants, âgés de 27 et 30 ans, ont d’autres projets pour le moment. Mais pour l’expert-comptable de métier, désormais trésorier de l’association de la foire, « pas question de vendre ». Dilemme.
Pour Les Rampal, aussi, transmettre ou vendre « c’est le sujet du moment », confie leur petite-fille Julie. Le grand-père est souffrant. Mais ni les enfants ni les petits-enfants ne veulent se lancer. De son côté, Xavier Gonzagues, 40 ans, reprend tout juste la baraque de ses parents après avoir fait « plein de boulots par ci par là ».
Quant aux santons Marcel Carbonel, faute de transmission familiale, ils ont été repris par deux jeunes frères entrepreneurs, Hugo et Baptiste Vitali, qui connaissaient bien la famille Carbonel. Nous avions d’ailleurs fait un reportage dans les coulisses des ateliers en 2022. Leur cabanon s’est néanmoins retrouvé en fin de marché comme le veut la tradition en cas de changement de patron, et ce, uniquement en cas de non filiation.
Bataille pour protéger le santon de Provence
« À l’époque sur la Canebière, quand on se retrouvait à la fin, ça diminuait beaucoup les recettes. Aujourd’hui l’emplacement ne change pas grand-chose mais la tradition est restée », raconte Michel Bouvier.
C’est lui qui a mené la bataille, en 2014, contre un des santonniers qui produisait en Tunisie « loin du savoir-faire provençal ». Grâce au maire de l’époque, Jean-Claude Gaudin, il a créé son association précisant dans ses statuts le « fait en Provence ». Elle a remporté l’appel d’offres pour organiser la foire et exclure le fabricant.
Michel Bouvier travaille depuis 2016, avec ses confrères, à la création d’une « Indication Géographique » pour protéger le santon de Provence comme la porcelaine de Limoges. « Je crois qu’on est sur le point d’y arriver », se réjouit Christophe Hernandez, vice-président de l’association, et fondateur des ateliers Arterra en 1995.
Le santon évolue avec son temps
Basé dans le Panier, « le berceau du santon » aime-t-il rappeler, cet informaticien de formation a fondé son entreprise en faisant évoluer les règles de la tradition. « On joue sur la couleur naturelle de l’argile et on dessine le petit point blanc des yeux », explique l’artisan au regard rieur.
D’autres, se sont aussi mis aux footballeurs de l’Olympique de Marseille ou aux joueurs de la partie de cartes de Marcel Pagnol. Mais tous affichent fièrement la pancarte « Santons de Provence » sur le devant de leur stand. « La tradition n’est pas figée », sourit Michel Bouvier.
« On a bien évolué, ajoute Christophe Hernandez, car on arrive à toucher des jeunes acheteurs grâce aux santons plus modernes ». Il faudra réussir maintenant à les convaincre d’en faire un métier… et de transmettre à leur tour le flambeau de la tradition.