Alors que Digital Realty veut construire son cinquième data center à Marseille, des élus et citoyens s’organisent pour dire stop. Ils jugent ces « méga ordinateurs » en décalage avec l’urgence écologique, quand l’entreprise numérique défend un modèle responsable.
D’un côté comme de l’autre, ils ont décidé de passer à la vitesse supérieure. À commencer par les acteurs de la donnée numérique mondiale qui ont jeté leur dévolu sur Marseille. 18 câbles sous-marins sortent désormais de mer ici. Ils connectent le sud de l’Europe au reste la planète. Les centres de données ou « data centers » poussent comme des champignons dans la cité phocéenne, devenue le 7e hub internet mondial.
Ce qui n’est pas du goût de certains habitants, élus et militants associatifs, qui pointent du doigt ces « usines à datas ». En particulier pour leur impact qu’ils jugent défavorables au territoire.
Ce lundi 16 septembre, ils se sont réunis en collectif pour faire entendre leur voix. Ils ont invité la presse à la Brasserie des Docks, dans le 15e arrondissement.
Juste en face, en bordure de l’A55, se trouve l’ancien silo à sucre du Grand port maritime de Marseille, que le groupe Digital Realty (ex-Interxion) prévoit de transformer en immense data center d’ici 2026, « MRS5 ». Son cinquième à Marseille. Il se trouve justement que l’enquête publique sur ce projet touche à sa fin le 27 septembre.
« Surchauffer une ville déjà suffocante »
Chez les élus, on retrouvait Kalila Sevin, la suppléante du député LFI Manuel Bompard, et l’adjoint municipal à la transition écologique, Sébastien Barles (EELV). Côté citoyens, des membres de CIQ étaient présents, ainsi que des associations, telles que Cap au Nord ou France nature environnement (FNE).
« Un data center est un méga ordinateur bétonné qui surchauffe et renvoie de l’air chaud et de l’eau chaude sur une ville déjà suffocante », pose Antoine Devillet, du collectif « Le nuage était sous nos pieds » (La Quadrature du Net, Technopolice, les Gammares).
Il tente de résumer l’avis de toute l’assemblée sur les centres de données : « Ils s’accaparent l’eau potable qui va se raréfier, le foncier disponible alors qu’on doit stopper l’étalement urbain, et l’énergie, qu’ils consomment en masse. Cela entraine de nombreux conflits d’usages ».
Notamment sur l’électricité. « On se bat pour l’électrification des quais afin de brancher les navires en escale à Marseille pour qu’ils coupent leurs moteurs et arrêtent de polluer notre air » rappelle Patrick Robert, représentant des CIQ du Nord de la ville. Mais il doute de la possibilité d’assurer cette demande en énergie « alors que MRS5 doit consommer 241 millions de kW/h par an. C’est l’équivalent du 13e arrondissement de Marseille », le plus peuplé.
Imposer des « éco-conditionnalités »
Alors que les géants du numérique prévoient de multiplier les data centers sur le territoire, ces acteurs locaux souhaitent appuyer sur pause en instaurant un moratoire. « On souhaite saisir la commission nationale du débat public (CNDP) » annonce l’adjoint municipal Sébastien Barles. « Pour organiser un vrai débat, en transparence, sur les impacts du numérique et les choix de société qu’on doit faire ».
Au-delà de la création d’une fiscalité sur le numérique, pour réguler sa croissance, l’élu écologiste souhaite un vrai travail de « planification, un schéma directeur » sur l’implantation de data centers. Une feuille de route stratégique pour rationnaliser et contrôler l’intégration des centres de données sur le territoire.
Par exemple, « récupérer la chaleur pour chauffer les logements sociaux en hiver, les hôpitaux, les piscines publiques. Avec des ‘éco-conditionnalités’, comme en Allemagne », qui imposent des mesures pour limiter l’impact de ces méga ordinateurs.
Fabrice Coquio, directeur de Digital Realty France, abonde presque dans le sens des opposants à son data center. La planification territoriale ? « J’en réclame la paternité. Je milite pour depuis 10 ans. Nous avons fait une tribune pour cela ».
« Je suis d’accord, il va falloir imposer » la sobriété numérique
La sobriété numérique ? « Je suis d’accord, il va falloir l’imposer, de manière réglementaire et financière, souligne le patron du numérique. Mais pour tout le monde. Les centres de données servent à stocker les films et les photos du grand public, leurs données bancaires. Mais aussi celles des entreprises qui créent leurs emplois ou les produits qu’ils consomment ».
Il réfute cependant certains impacts que lui imputent les réfractaires aux data centers. « MRS5 n’empêche pas l’électrification des quais du port. Il n’y a pas de conflit d’usage car ce n’est pas un problème de production d’électricité, mais de structures d’acheminement. Nous avons créé notre propre poste d’alimentation pour 27 millions d’euros ».
Il ne manque pas de mettre en avant les « 500 emplois directs et indirects » que le groupe crée à Marseille. Ou les mesures dites « éco-responsables » de ses infrastructures (refroidissement par l’eau d’une galerie minière, utilisation d’électricité renouvelable), qui ne convainquent pas ses opposants.
Enfin, sur l’accaparation du foncier disponible à Marseille, « nous occupons en tout 2,5 hectares qui étaient déjà artificialisés. Est-ce ça qui déséquilibre l’offre foncière de la deuxième ville de France ? ».
Cette question, comme d’autres autour des data centers, devrait se poser de manière plus insistante à l’avenir dans le débat public. À commencer par l’enquête publique sur MRS5.