Microcosmos, le premier chai urbain de Marseille, est né il y a 12 ans dans le quartier historique du Panier. Retour sur ce projet précurseur.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en créant un chai au coeur du centre-ville marseillais, il y a 12 ans, Fabienne Völlmy, œnologue de formation, a bousculé le secteur viticole traditionnel. Avec l’aide de son mari Lukas, elle continue aujourd’hui encore à s’occuper seule de la production. Et si en une décennie les chais urbains ont fleuri dans la cité phocéenne, Microcosmos reste à jamais le premier.
C’est lors d’un voyage chez des amis à San Francisco, berceau de la production de vin urbaine au début des années 2000, que Fabienne apprend qu’il n’est pas nécessaire de posséder un vignoble pour fabriquer son propre vin. La découverte du chai urbain de New-York, Brooklyn Winery, la convainc définitivement d’importer ce nouveau concept à Marseille.
« Nous habitons Marseille, la ville est entourée de vignobles, on va créer notre vin directement en ville », se dit-elle alors. Ce projet est accompagné de deux volontés : recréer l’atmosphère vigneronne en milieu urbain et faire voyager le vin le moins possible pour ramener la production au plus près du consommateur.
Le choix du lieu se porte sur le quartier du Panier, 42 rue de l’Evêché (2e), dans un local de 90 m2. Le chai s’appellera Microcosmos. Ce nom est porteur de sens pour la créatrice : « On se situe au pied de la colline du Panier qui a vu les premières vignes domestiques implantées en France. On voulait rendre hommage aux Grecs qui ont importé la vigne dans notre pays, raconte la productrice. Microcosmos veut dire ‘petit monde’ et c’était vraiment mon idée, de venir créer une cave de vinification accessible ».
S’implanter en ville, pas si facile
Le milieu urbain apporte son lot de contraintes logistiques. Fabienne a dû s’adapter à cet environnement atypique et composer avec les voisins. « Nous avons pris soin de pouvoir effectuer toutes les opérations de vinification à l’intérieur. Car cela peut sentir fort et il ne fallait pas indisposer les habitants du quartier », explique l’entrepreneuse.
Le local de production représente une difficulté supplémentaire. Contrairement aux zones viticoles de plusieurs hectares, le vin est produit en ville dans un seul et même endroit, assez contraint. Il faut considérer l’installation des cuves en inox, l’emplacement des fûts, la zone de stockage. Tout cela demande d’optimiser le moindre espace.
Avoir son espace de vinification au cœur de la deuxième ville de France oblige également à composer avec le paysage : « Il y a les trottoirs, de la circulation, des motos qui se garent juste devant et qui bloquent l’entrée. Quand on doit se faire livrer des caisses de 25 kg de raisins, ça peut devenir compliqué », admet la productrice.
Lorsque Fabienne s’installe, ce n’est pas la concurrence qui l’effraie. Et pour cause, elle est alors la seule à Marseille à produire du vin en ville. L’attrait de la nouveauté, que suscite cet emménagement, est accompagné d’une certaine méfiance. Si les restaurateurs alentours lui ont réservé un accueil enthousiaste, elle a mis plus de temps à conquérir les papilles des Marseillais.
Une éthique fondée sur le biologique et le circuit-court
L’intérêt porté par les tables du coin lui permet d’acquérir une visibilité et une légitimité en tant que vigneronne urbaine. Ainsi, elle travaille avec de nombreux établissements locaux. « J’aime beaucoup la restauration, discuter avec les chefs, penser les accords mets – vins, c’est vraiment quelque chose qui me plaît », confie-t-elle.
Si les vins de Microcosmos s’invitent sur les tables de bons nombres d’établissements, certains étoilés, les trois chouchous de la productrice, se trouvent non loin du chai : Douceur piquante (1er), Kin (1er) et Cesta de Lucia (2e). « Je travaille avec beaucoup d’autres, mais eux, ils sont juste à côté. Je vais à pied et avec le tram pour les livrer. On essaye dans la mesure du possible de réduire notre empreinte écologique », indique Fabienne.
Car sa démarche repose avant tout sur les circuits courts. C’est son propre vignoble qui produit la moitié des raisins utilisés, l’autre est achetée depuis 2013 à un viticulteur provençal situé à la Roquebrussanne (83). Ces nectars citadins sont aujourd’hui livrés à 95 % en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Le chai urbain produit 5 000 bouteilles par an
En 2017, le couple décide d’acheter son propre terrain à Saint-Victor-la-Coste (30) près d’Avignon. Ils investissent également dans un local de production situé dans le 3e arrondissement de Marseille. Cet agrandissement était nécessaire pour produire les 5 000 bouteilles par an.
Le chai initial est à partir de cette date destiné à l’élevage en fût. La patronne ne manque pas de dorloter ses précieux tonneaux. Elle souffle des mots doux au petit fût, baptisé « pitchounette », tout en pratiquant l’ouillage hebdomadaire. Cette action consiste à remettre du vin identique dans le fût qui remplace alors le vin évaporé et évite l’oxydation.
Microcosmos accueille également des producteurs de vins qui ne possèdent pas le matériel adéquat. Le chai travaille par exemple avec un bar qui vend ensuite le vin à la pression. Une façon de servir ce breuvage de façon écologique en supprimant le contenant. Fabienne a ainsi constaté que « le chai est rentable si on développe des activités complémentaires ».
Des vins originaux
Du blanc, du rouge, du rosé, et même du vin orange. Les vins se veulent originaux et inspirés de ceux provenant de la région de Sancerre, tendus et minéraux.
Son vin Hocus Pocus, composé d’un mono cépage de Vermentino, est un vin orange considéré comme la cuvée signature de la maison. Cette couleur est obtenue grâce à la conservation des peaux du raisin lors de la fermentation.
Et la productrice a tenu à conserver un certain traditionalisme dans la conception : « J’avais envie de faire de l’artisanat et que tout soit fait à la main, pas de manière industrielle. Chez nous, c’est petit, on va faire des cuvées par parcelle, on ne va pas mélanger des raisins de différentes provenances ».
Le boom des chais à Marseille
Durant quelques années, Fabienne Völlmy avait pignon sur rue avec son chai urbain du 2e arrondissement. En 2016, elle est rejointe par Nathalie Cornec qui ouvre son local POUR dans le centre-ville (1er). La vinification semble décidément inspiré les Marseillais.
Le 19 mai 2021, l’Abri, un restaurant qui vinifie sur place, ouvre aussi ses portes dans le 7e arrondissement. Et, la même année, c’est le chai de Mars qui s’offre 40m2 de local non loin du Vieux-Port.
Depuis le Covid, la vigneronne estime qu’il y a eu une explosion d’installations de chais urbains en France, mais surtout à Marseille. « Des gens qui n’étaient pas spécialement d’un milieu vigneron se sont installés. Je pense que maintenant il y a une belle diversité des chais urbains. On ne fait pas tous la même chose. On est complémentaires mais, l’attrait de la nouveauté étant passé, je ne pense pas que cela explosera davantage », prédit la pionnière.
Et d’ajouter : « Moi, je vais continuer mon petit bout de chemin et essayer de rester fidèle à moi-même, en faisant des petites cuvées et en m’assurant que ce soit de la qualité ».
Adresse : 42 rue de l’Evêché, 13002 Marseille
Le chai urbain accueille les clients particuliers sur rendez-vous.