Depuis 2023, des ingénieurs et scientifiques tentent de cultiver un champ de posidonie dans la rade de Marseille. Une expérimentation unique pour la restauration de cette plante marine, pilier de l’écosystème méditerranéen.

À partir du 28 juillet, tous les regards seront tournés vers la baie du Prado à Marseille, où se dérouleront les épreuves olympiques de voile. Des courses endiablées, des vitesses vertigineuses et des records qui risquent de tomber…

On imagine déjà le bruit des voiles qui fusent, des coques qui se frôlent et des ailerons qui fendent la mer sous les cris des athlètes et des encouragements du public. Le tumulte des grands événements sportifs. Difficile d’imaginer qu’au même moment, à seulement 25 mètres de là, dans un calme abyssal, se jouera une autre partie. Celle de la vie. Sous l’eau, à la verticale des épreuves olympiques !

C’est ici que l’on retrouve Patrick Astruch dans sa combinaison de plongée, prenant des notes sur un carnet waterproof. Son CV indique “Ingénieur de recherche appliquée en écologie marine”, mais nous préférons le décrire comme un agriculteur sous-marin. Tel un viticulteur qui se balade dans ses vignes, lui barbote entre des semis de posidonie. “Nous en avons planté sur une parcelle de 150 m2 à côté des récifs artificiels du Prado. C’est une zone de restauration biologique protégée.”

posidonie rade, Une pépinière de posidonie dans la rade de Marseille, Made in Marseille
Une équipe d’agriculteurs sous-marins dans la rade de Marseille. © GIP Posidonie

Un atout pour la biodiversité locale comme pour le climat mondial

Voilà un an que ce “champ” subaquatique pousse sous la houlette du Groupement d’intérêt scientifique (GIS) Posidonie. À ne pas confondre avec une algue, cette “plante à fleurs” forme des herbiers qui couvrent “1,2 million de kilomètres carrés en Méditerranée”, précise Patrick Astruch. Dit comme ça, le chiffre paraît impressionnant, mais c’est moins de 0,5% de la surface de la Grande Bleue. “On retrouve pourtant dans ces prairies 20 à 30% de la biodiversité aquatique, rappelle l’ingénieur en écologie marine. C’est un pilier de l’écosystème méditerranéen.”

Certains considèrent même les herbiers de posidonie comme des écosystèmes à part entière, au même titre que des forêts terrestres. On y croise des espèces, comme les saupes, qui viennent “brouter”, quand d’autres, comme la rascasse, viennent chasser. Mais la fonction de “nurserie” est le plus souvent mise en avant.

En effet, les jeunes poissons vulnérables y trouvent un refuge aux prédateurs, le temps d’atteindre leur taille adulte. « Au-delà de ce hotspot de biodiversité, il faut aussi rappeler que les posidonies sont une des championnes du monde des puits de carbone, insiste Patrick Astruch. Leur photosynthèse permet de stocker cinq à six fois plus de CO2 qu’une forêt tempérée continentale.”

D’autant que les arbres finissent par relâcher le carbone, lorsque les feuilles tombent ou quand ils meurent. “Ils le stockent durant quelques décennies. La posidonie peut vivre des milliers d’années et les plants morts sont presque imputrescibles. Elle peut donc séquestrer le gaz à effet de serre durant des millénaires.” Cette espèce végétale représente aujourd‘hui un enjeu majeur “pour le climat et la biodiversité. Un atout exceptionnel pour la planète, dont on aurait tort de se priver !”

posidonie rade, Une pépinière de posidonie dans la rade de Marseille, Made in Marseille
On croise dans ces « prairies » de posidonie des saupes, qui viennent “brouter”, quand d’autres, comme la rascasse, viennent chasser. © GIP Posidonie

Une “opération réactivité” unique en son genre

Pourtant, l’Homme a fortement dégradé les herbiers ces 200 dernières années. Parmi les principales causes : l’artificialisation du littoral, les ancrages des navires, en particulier de plaisance, ou encore le changement climatique. “C’est une plante fragile à croissance très longue. Un herbier arraché ou mort, c’est parfois des décennies pour que d’autres poussent”, déplore Patrick Astruch.

Surtout que leur floraison, qui libère les graines, “n’intervient qu’une fois tous les cinq, voire dix ans au Nord de la Méditerranée. Mais elle peut être massive.” Ce fut le cas en 2022, après un été caniculaire qui a “stressé” la posidonie. “On se doutait que l’espèce pouvait réagir à ce stress avec une floraison exceptionnelle. Un mécanisme de survie. Et on avait vu juste !”, se rappelle le spécialiste.

Anticipant cette production massive de fruits et l’échouage important de graines qui allait suivre, le GIS Posidonie a monté “une opération réactivité” grâce au soutien financier de la Ville de Marseille et de l’Agence de l’eau. Des dizaines de chercheurs et bénévoles ont fait le pied de grue en scrutant le littoral. C’est finalement sur des plages du Var, en mai 2023, qu’un exceptionnel débarquement de graines a eu lieu.

L’équipe s’y est ruée pour en récolter près de 10 000. Après un tri, 9 000 semences ont été conservées dans une bourriche immergée au Frioul. Une semaine plus tard, elles sont plantées sur cette parcelle à 25 mètres de profondeur dans la rade marseillaise. “Une expérimentation aussi simple qu’unique, estime Patrick Astruch. Jusqu’à présent, il s’agissait surtout de travaux en laboratoire ou de plantation de boutures et de pieds matures dans le milieu. Là, nous accompagnons juste la nature, en lui donnant un coup de pouce.”

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Opération récolte et triage de graines sur les côtes varoises en mai 2023. © GIP Posidonie

Des pépinières de posidonie dans toute la Méditerranée ?

Six mois après avoir planté cette pépinière sous-marine, une plongée d’observation a révélé “des résultats très satisfaisants” pour l’ingénieur écologue qui a pu observer les premières pousses de posidonie. Malgré les traces de broutage de saupes sur les plantules, “nous avons constaté un taux de germination des graines de près de 10%. Soit l’équivalent des expérimentations en laboratoire. En conditions naturelles, c’est à peine au-dessus de 0%.”

Il faudra patienter encore quelques années pour tirer des conclusions scientifiques définitives sur le succès ou non de cette opération, baptisée depuis Reposeed. Quoiqu’il en soit, “la restauration artificielle de la posidonie ne doit pas éluder le vrai enjeu : la protection des herbiers existants”, insiste Patrick Astruch.

Mais ces premiers résultats encourageants permettent déjà de se projeter sur la plantation d’autres champs en Méditerranée, grâce à cette méthode simple et réplicable. “La prochaine floraison massive pourrait arriver d’ici 2030”, estime l’écologue. Assez de temps pour se préparer à une grande récolte de graines sur les plages du sud de la France.


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