Des ingénieurs et scientifiques marseillais ont contribué à la conception de la plus grande caméra astronomique au monde. Elle doit permettre d’étudier et de cartographier l’univers en 3D et percer de nouveaux mystères.
C’est un projet international hors norme. Dans un mois, la plus grande caméra astronomique du monde sera installée sur son télescope situé à l’Observatoire Vera C. Rubin*, au Chili, aux abords de la cordillère des Andes. Dotée de 3,2 milliards de pixels, LSST [pour Legacy Survey of Space and Time] est la plus grande caméra astronomique jamais construite. Elle figure même dans le Guinness World Records.
Sa conception aura nécessité près de deux décennies et mobilisé plusieurs centaines de scientifiques du monde entier, dont plusieurs équipes du CNRS. La France a en effet joué un rôle fondamental dans ce projet à forte dominante américaine**.
Les ingénieurs et scientifiques de plusieurs laboratoires français ont participé à l’élaboration du plan focal de la caméra ainsi qu’à la conception et construction de son changeur de filtres robotisé. Parmi eux, le Centre de Physique des Particules de Marseille (CPPM). Un laboratoire basé à Luminy, où nous retrouvons Dominique Fouchez.
The largest astronomical #camera ever built, the @VRubinObs LSST Camera, has been successfully chilled to subzero temperatures at @SLAClab by using both of the camera’s cooling systems together.
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Photo credit: LSST Camera Project/T. Lange pic.twitter.com/PfNgNXmUgy
— NOIRLab (@NOIRLabAstro) November 23, 2021
De l’infiniment petit à l’infiniment grand
Le chercheur a commencé sa carrière au CNRS en 1993 et participé à la construction du détecteur ATLAS auprès du premier collisionneur de particules capable de produire des quantités significatives de bosons de Higgs.
Après avoir travaillé sur l’infiniment petit, il change de point de vue en s’intéressant à l’infiniment grand, au moment où l’énergie noire et la matière noire sont au centre des discussions scientifiques. Le chercheur a ainsi coordonné et assuré le suivi des développements techniques depuis presque l’origine du projet LSST et va nous aider à comprendre l’utilité de cet équipement colossal.
La France, maître d’œuvre de la construction du robot
Le télescope sur lequel va être installé la caméra pèse plusieurs tonnes et possède un miroir de huit mètres de diamètre, soit l’équivalent de trois étages d’un immeuble. Celui-ci va collecter la lumière qui est ensuite renvoyée vers une caméra. « Le deuxième élément important », justifie le directeur de recherche au CNRS.
Outre ces 3,2 gigapixels, qui permettront l’observation de millions de galaxies sur un seul cliché, elle a la particularité de pouvoir faire des observations en couleur. « Ces dernières sont réalisées à travers ce qu’on appelle des filtres. Puisqu’on va au-delà de ce que voit l’œil humain, on veut avoir une qualité en couleur de haute précision. Pour ce faire, on doit avoir six filtres en couleurs. Sur nos télévisions, on a besoin de trois, par exemple ».
Par ailleurs, le plan focal, « l’œil de la caméra » a un diamètre de plus de 60 cm. Cette dimension impose d’avoir une taille de filtres d’environ 80 cm. Un objet très technique, fragile et très coûteux. Chaque filtre pèse entre 24 et 38 kg et avoisine 1 million d’euros.
Le changement de filtres est donc une opération de haute précision, d’autant plus que près d’un millier de photos du ciel vont être prises chaque nuit. « On va donc devoir déplacer régulièrement plusieurs filtres différents. C’est la raison pour laquelle nous avons fabriqué un robot pour effectuer ce travail. Cette contribution a permis à l’ensemble des techniciens français dans ce domaine d’être partie prenante du projet en tant que constructeur de la caméra. La France a été maître d’œuvre ».
Ce “bras robotisé” permet ainsi de changer automatiquement 5 à 15 fois par nuit les six filtres de couleurs. En mesurant la quantité de lumière que les objets célestes émettent et en confrontant les images prises à travers les différents filtres, il sera possible de déterminer avec précision leur position et distance par rapport à la Terre.
Étudier et cartographier en 3D l’Univers
Pendant les 10 prochaines années, la caméra observera ainsi le ciel austral quotidiennement, à raison de 800 clichés par nuit, couvrant chacun une surface équivalente à 40 fois celle de la Lune. L’objectif est d’étudier et cartographier en 3D l’Univers observable dit « statique », mais aussi surveiller les phénomènes célestes dits « transitoires ».
Explications : « Lorsqu’on regarde le ciel, on voit les étoiles scintiller, mais en réalité c’est l’atmosphère qui produit ce phénomène. Si on sort de l’atmosphère, c’est très fixe, donc statique, explique Dominique Fouchez. Mais il existe aussi des phénomènes astronomiques dits transitoires ».
Par exemple, « les étoiles filantes et des phénomènes à des échelles plus éloignées dits variables : une étoile peut avoir sa lumière qui augmente ou diminue et au centre d’une galaxie, les trous noirs, qui sont des phénomènes très violents, émettent aussi des lumières variables ».
Ce qui intéresse particulièrement les scientifiques à Marseille, ce sont les explosions d’étoiles, qu’on appelle des supernova : « Une étoile de fin de vie de quelques milliards d’années, dans certains cas, termine en énorme explosion qu’on peut voir de vraiment très loin et qui va pouvoir être observable entre deux et cinq semaines. Dans nos observatoires, on voit apparaître une étoile qui est en réalité une galaxie très éloignée et dont l’intensité augmente avant de diminuer et disparaître au bout de quelques semaines ».
C’est pour faire ces observations à la fois statiques et variables, que ce projet a été conçu « et ne consiste pas seulement à faire des images du ciel, mais une vidéo en quelque sorte. Il s’agit de prendre des images de façon répétée quasiment tous les jours des mêmes endroits pour être capable de cette façon de voir tout ce qui est statique, mais également tout ce qui change d’une nuit à l’autre ».
Vers une nouvelle science physique ?
Pourquoi collecter autant de données ? Elles visent avant tout à mieux comprendre l’énergie sombre, identifiée comme le moteur de l’expansion accélérée de l’Univers et à mener des recherches approfondies sur la matière noire, deux substances mystérieuses qui constituent plus de 95 % du cosmos.
« Dans nos laboratoires, on étudie l’échelle de l’infiniment petit. On comprend bien ce que sont les atomes et leur constitution, les particules élémentaires… On a constaté que c’était tout ce qu’on trouvait dans les constituants des matériaux sur terre, dans l’air… mais les éléments dont nous disposons ne peuvent pas toujours nous permettre d’expliquer ce que l’on voit et la façon dont l’univers évolue. Il y a des masses très importantes dans l’univers qui n’émettent aucune lumière. On en a conclu, grâce à des calculs extrêmement précis, une liste de particules, et qu’il ne pouvait pas s’agir de la matière que l’on connaît et que l’on a vue sur Terre. C’est un constituant inconnu que l’on a appelé “matière sombre ou matière noire » ».
Cette caméra géante va ainsi permettre de répondre, ou au moins, avoir des éléments de réponses aux hypothèses théoriques émises. « On souhaiterait aller dans une direction ou une autre, ce qui peut ouvrir la voie vers une nouvelle physique qui n’existe pas encore ».
Premières images au printemps 2025
Les données relatives au ciel transitoire seront rendues publiques quasiment en temps réel et permettront notamment à la communauté scientifique de détecter d’éventuels astéroïdes qui pourraient s’avérer dangereux pour notre planète.
En mai, l’équipe du CPPM de Dominique Fouchez devrait se rendre à l’Observatoire Vera C. Rubin, situé au sommet d’une montagne chilienne. Le lieu n’a pas été choisi au hasard : « C’est très éloigné de toute pollution atmosphérique et lumineuse et très calme pour avoir de bonnes conditions d’observations ».
Après l’installation complexe de la caméra sur son télescope par les ingénieurs, il faudra entre trois à quatre mois de réglages avant le début des observations. Les premières images sont attendues au printemps 2025.
* Du nom de l’astronome américaine qui fut la première à établir la présence de matière noire dans les galaxies.
** Piloté par le Laboratoire national de l’accélérateur SLAC (National Accelerator Laboratory). Cette structure, qui dépend du département de l’Énergie des États-Unis (DoE), administrée par l’université de Stanford (Californie)