Le maire de Marseille, Benoît Payan, se rend à Paris pour travailler sur les suites du plan Marseille en grand. Au cœur des sujets, le début d’une profonde réforme institutionnelle et la question du narcotrafic qui gangrène la ville.
« C’était un mois de septembre incroyable pour la ville de Marseille, à la fois avec la Coupe du monde de rugby et la visite du pape, et ce n’est pas fini ». Dans son bureau de l’Hôtel de Ville, Benoît Payan (DVG) ne cache pas sa fierté de voir « sa ville », au centre du monde, « dans une ferveur absolument époustouflante. Je dois dire que c’est allé au-delà de mes espérances. On a montré au monde qu’on était capable, nous, simple ville, d’organiser un événement planétaire. On a transcendé les clivages politiques et de temps en temps ça fait du bien. C’est comme ça que j’ai envie de voir la ville ».
Rassembler. Un mot tabou pourtant lorsque la politique reprend ses droits. Car Marseille, ville aux multiples facettes, revêt une part sombre quotidiennement mise en lumière. « Évidemment, j’aimerais que ma ville évolue sur ses points noirs et on les connaît. Je ne peux plus les supporter ! » lâche le maire, excédé par l’extrême pauvreté, les inégalités, le narcotrafic, les règlements de compte et l’insalubrité de la ville.
J’en ai marre de dire que je ne peux rien faire et que ce n’est pas moi, que c’est de la compétence de la Métropole ».
À l’aube des Jeux olympiques de 2024, et de l’arrivée de la flamme sur le Vieux-Port le 8 mai prochain, célébrée à l’occasion d’une grande cérémonie d’ouverture, son constat est sans appel : la ville est « pourrie ».« On va accueillir les plus grands événements planétaires et j’ai une ville qui ne ressemble à rien, s’exaspère l’édile. J’en ai marre de dire que je ne peux rien faire et que ce n’est pas moi, que c’est de la compétence de la Métropole ».
Dans le cadre de la loi 3DS, la municipalité et l’intercommunalité avaient trouvé un terrain d’entente sur la gestion de certaines compétences métropolitaines qui concernent directement la Ville, comme la voirie et la propreté (qui n’intègre pas la collecte des déchets). Une « main tendue » pour le maire, « mais on a été dupés. Les deux élues nommées n’ont aucune compétence de signature, ni sur les services, la compétence reste à la Métropole », affirme-t-il.
Une révolution institutionnelle pour donner aux élus le pouvoir d’agir
Alors quel remède pour panser les plaies et guérir Marseille quand les ping-pongs politiques paralysent l’action publique ? « Il faut simplifier tout ça. Cette métropole est mort-née. Il va falloir maintenant en passer par la loi », pose Benoît Payan, prêt pour un grand nettoyage des institutions.
C’est précisément le sens des discussions qui vont se tenir à Paris ces deux prochains jours. Sans dévoiler le détail de sa réflexion qu’il réserve au président de la République, le maire se dit favorable à ce qu’il y ait moins d’élus en France, mais dotés de plus de responsabilités.
Le but ? « Pour que lorsque les gens votent pour quelqu’un, cet élu puisse avoir les moyens de son ambition et de son programme et qu’il ne soit pas systématiquement arrêté par les chicayas ou de l’amertume. Ce qui a fait du mal à cette ville pendant longtemps, c’est que la droite et la gauche n’ont regardé son développement qu’à travers le prisme électoral, et c’est comme ça qu’une ville ne décolle pas ».
En toile de fond de ces futurs échanges, la réforme de la loi PLM (Paris-Lyon-Marseille) qui n’a pas été retoilettée depuis son adoption en 1982, portée par le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation de l’époque, Gaston Defferre.
Depuis cette date, les trois villes les plus peuplées de France disposent, en effet, de maires et de conseils d’arrondissements. Elle fixe, par ailleurs, les limites de prérogatives du maire. « Il va y avoir une réforme du scrutin et de l’institution », précise le maire, invitant « les amis du président du Sénat, à Marseille [Martine Vassal et Renaud Muselier, ndlr] à accompagner le gouvernement sur cette question et ne pas freiner les choses ».
Si la réforme du scrutin a peu de chance d’aboutir avant les prochaines municipales de 2026, pour celle des institutions, « la question peut se poser », souffle le maire. Pour Benoît Payan, cette révolution institutionnelle doit être au cœur des priorités de Marseille en grand, dont l’acte II se travaille actuellement avec la municipalité et les ministres concernés, dont la secrétaire d’État chargée de la Ville, Sabrina Agresti-Roubache, qui porte désormais le plan Marseille en grand.
Mettre les têtes de réseau hors d’état de nuire
Écoles, mobilité, rénovation urbaine… plusieurs milliards d’euros ont déjà été fléchés sur le territoire pour relever la deuxième ville de France. Un vaste plan, annoncé en septembre 2021 par Emmanuel Macron, qui doit aujourd’hui passer à un niveau supérieur.
Benoît Payan s’est fixé pour objectif de « convaincre le gouvernement et le président de la République que les choses ne peuvent pas rester en l’état. Sinon tout ce qu’on fait, ça ne sert à rien, si on ne va pas au bout de la réforme institutionnelle, tout tombera à l’eau. La Métropole doit bouger », affirme-t-il, appelant aussi « l’État à prendre ses responsabilités » dans la guerre contre le narcotrafic qui gangrène la ville.
Depuis le début de l’année, 42 personnes y ont perdu la vie dans des violences officiellement liées au trafic de stupéfiants, dont trois victimes collatérales. « Il faut revoir la stratégie de A à Z » reprend l’édile.
« J’ai besoin aussi maintenant qu’on aille chercher les narcotrafiquants et pas qu’on aille courir derrière trois petits trafiquants de drogue, c’est de la poudre aux yeux.
Même s’il ne partage pas les opinions politiques du ministre de l’Intérieur, il juge Gérald Darmanin efficace lorsqu’il s’agit de déployer des hommes ou ajouter des caméras de vidéosurveillance. « Mais ça ne suffit pas, estime-t-il. J’ai besoin maintenant qu’on aille chercher les narcotrafiquants et pas qu’on aille courir derrière trois petits trafiquants de drogue, c’est de la poudre aux yeux. Là, on coupe tous les jours un petit morceau de tentacule de la pieuvre, moi je veux la décapiter. Il faut taper là où ça fait mal : saisir les avoirs, traquer le blanchiment d’argent, aller dans les pays où ils cachent leur argent, saisir les armes. Il faut un grand plan de saisie d’armes*. On ne peut pas rester dans cette situation ».
Un centre-ville en sursis
Mettre les têtes de réseau hors d’état de nuire prévaut aussi dans le centre-ville où se développe la vente à la sauvette. « Ça doit s’arrêter ! Il faut que l’État y mette fin. Je ne suis pas préfet de police », poursuit le maire qui milite, ici, pour une police à demeure. « Toutes les caméras du monde ne serviront à rien, il faut à la fois des hommes sur le terrain et des moyens d’enquête. Saisir le matériel et les cigarettes, les suivre. Il y a bien des hangars où sont entreposées des milliers de cartouches de cigarettes ? Pourquoi on ne les trouve pas ? », interroge-t-il, en phase avec la stratégie judiciaire et socio-économique de reconquête de l’espace public développée par la maire de secteur Sophie Camard (GRS).
S’il ne veut pas que Marseille en grand se transforme en Marseille en petit, il va falloir qu’il mette les bouchées doubles pour la sortir de l’ornière dans laquelle elle se trouve.
Condition sine qua non pour rendre au cœur de Marseille son attractivité d’antan. « On fait une foncière, on préempte, moi j’ai besoin que derrière ça suive avec des machines qui nettoient, qu’on ramasse les poubelles, avec des transports en commun », détaille le maire, qui s’insurge contre la fermeture du métro à 21h30, quatre fois par semaine, pour les tests des nouvelles rames Neomma. « Lorsque les investisseurs se promènent dans la ville pour implanter de supers concepts et voient une situation chaotique, ils s’en vont en courant. Qui va venir implanter son entreprise maintenant si pendant 18 ou 24 mois il n’y a plus de métro le soir ?».
Et de demander à « ses partenaires politiques, qui ne sont pas des amis : laissez de côté vos drapeaux, arrêtez de penser à l’élection de 2026, mettez-vous au travail, arrêtez de jouer contre Marseille ».
« Cette ville est en train de se transformer »
À l’heure du mi-mandat, lorsqu’il regarde dans le rétro, Benoît Payan juge avoir passé « trois ans au travail et je passerai les trois prochaines au travail. Si des gens veulent commenter les trois années passées et les trois années à venir, libre à eux, je suis au travail et je le reste ».
Et d’ajouter : « cette ville est en train de se transformer. Ça va mettre du temps à se voir, mais on va y arriver. La reconquête d’une ville ne se fait pas en un jour. Ça nécessite du travail et de la détermination. C’est mon rôle de continuer à penser ma ville dans l’avenir. Si j’ai décidé de tout changer dans la manière de faire, c’est parce que cette ville le mérite. Je veux qu’elle retrouve sa place, qu’elle soit capable de gommer la fracture et les inégalités qui ont existé pendant longtemps, qu’elle donne les mêmes chances à ses enfants où qu’ils naissent dans la ville, je veux qu’on puisse y respirer, s’y installer, y vivre et y vivre en paix », poursuit l’édile, même si du goût d’Emmanuel Macron les choses n’avancent pas assez vite.
« Oui » admet le maire, avant de justifier : « quand on voit le temps qu’il faut pour réformer le pays, ça prend aussi du temps de réformer une ville et il a raison. S’il ne veut pas que Marseille en grand se transforme en Marseille en petit, il va falloir qu’il mette les bouchées doubles pour la sortir de l’ornière dans laquelle elle se trouve. Je sais qu’il en a la volonté ».
*Dans les Bouches-du-Rhône, selon la préfecture de police, 1431 personnes ont été mises en cause pour trafics sur les 8 derniers mois contre 1277 en 2022, soit une hausse de 12%. 863 saisies d’armes ont eu lieu depuis le début de l’année dont 71 fusils d’assauts (+18%) ; 4,5 tonnes de cannabis et 318 kg de cocaïne ont été saisis et 91 points de deal pilonnés à Marseille (- 70 points en deux ans). 2023 est une année particulièrement noire à Marseille. Depuis janvier, 42 personnes y ont perdu la vie dans des violences officiellement liées au trafic de stupéfiants, dont trois victimes collatérales.