Après les réunions de concertation, le préfet de Région a remis son rapport au garde des Sceaux. Trois scenarii sont à l’étude. Le projet de tour de grande hauteur pour accueillir la future cité judiciaire sur Euroméditerranée a été revu à la baisse.

« Je sais les inquiétudes que cela peut susciter, car ça ne sera, à coup sûr, pas au même endroit, mais je pense que notre justice et nos justiciables le méritent ». Cette petite phrase du chef de l’État, prononcée en juin, depuis le chantier des Baumettes III résonne encore et avec elle son lot d’interrogations.

Depuis plus d’un an, la création d’une future cité judiciaire, en dehors du centre-ville est vivement contestée par les acteurs économiques, les commerçants et le Barreau de Marseille, dénonçant une « mise à mort » de l’économie du centre-ville.

Face à cette fronde, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, avait annoncé une concertation avant l’été sous l’égide du préfet de Région, Christophe Mirmand, avec tous les acteurs « sans exception, avocats, magistrats, greffiers, personnels administratifs, Chambre de commerce et d’industrie (CCI), Mairie, élus, députés, Métropole, Région… »

Trois scenarii à l’étude

Chaque partie prenante a d’abord été reçue individuellement par le préfet de Région, avant la tenue d’une réunion commune en présence de l’agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij) et la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM).

Trois scénarii ont été discutés : le maintien de l’appareil judiciaire en centre-ville avec une restructuration de l’existant, ou bien la délocalisation sur Euroméditerranée ou dans le quartier de la Capelette, sur un terrain appartenant en partie à l’Armée et à un concessionnaire automobile.

Le Barreau et la CCI ont toujours plaidé pour une amélioration et une extension des bâtiments existants au centre-ville, étayant leur position avec plusieurs arguments. Outre la mise à mal de l’économie du centre-ville, étude d’impact à la clé, ils pointent le gaspillage d’argent public, en cas de départ du tribunal, le Palais Monthyon ayant déjà fait l’objet d’une profonde réhabilitation en 2015 mais aussi le grand projet de tramway du centre-ville jusqu’aux Catalans, dont l’étude de faisabilité repose, entre autres, sur le nombre d’usagers qui prendront ce transport.

Quid également du nouvel usage des locaux laissés vacants ? Ni la Ville, ni le monde économique ne souhaitent voir le cœur de Marseille se transformer en cité dortoir peuplée de Airbnb.

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© Mathieu Grapeloup

Restructurer l’existant en centre-ville

Plusieurs propositions ont ainsi été avancées pour reconfigurer l’offre judiciaire, en multi-sites, parmi lesquelles, reconstruire le tribunal avec une élévation et une extension, éventuellement en reprenant l’école située à proximité si la Ville l’autorise, utiliser la place Monthyon et créer un bâtiment en U à l’image de l’Arche de la Défense à Paris ou construire deux bâtiments, un le long de la rue Breteuil et un autre sur la place.

Ces options prennent en compte le maintient du tribunal de commerce et le conseil des Prud’hommes, sur leur sites actuels. La municipalité opte, elle, pour une restructuration du tribunal sans construire sur la place Monthyon, pour absorber le surplus de contentieux et les audiences qui se tiennent temporairement dans les locaux du tribunal judiciaire situés à la caserne du Muy, à la Belle de Mai.

Ces alternatives posent, selon la Justice, des problèmes de sécurité des convois pénitentiaires se rendant en centre-ville et des difficultés à travailler en site occupé durant les travaux qui s’étendraient sur une durée de 7 ans.

Elles sont par ailleurs jugées trop onéreuses. L’investissement avoisinerait les 700 millions d’euros, contre 350 millions d’euros et trois ans pour la réalisation si le projet voit le jour… sur Euroméditerranée, lequel bénéficierait en plus des crédits déployés dans le cadre du plan “Marseille en grand”.

Deux bâtiments au lieu d’une tour de grande hauteur à Arenc

Au fil de discussions, le projet initial de tour de grande hauteur à Arenc, abritant l’ensemble des juridictions, a été revu à la baisse et corrigé pour différentes raisons. Le site identifié est, en effet, en terrain inondable. Sa constructibilité sera possible une fois que le parc des Aygalades aura vu le jour, soit au mieux en 2028, repoussant mathématiquement le projet à l’horizon 2030, ou plus, sans compter un surcoût.

De fait, la solution retenue est la construction de deux bâtiments sur 40 000 m2 au lieu de la tour sur 50 000 m2, ne nécessitant de surcroit aucune modification du PLUI (plan local d’urbanisme intercommunal).

L’option à La Capelette

Enfin, l’hypothèse Capelette, défendue par le député (Renaissance) Lionel Royer-Perreaut, qui concentre, selon lui, plusieurs atouts. Considérant la cité judiciaire comme un objet d’aménagement du territoire et de fonctionnalité urbaine, le parlementaire estime, dans un souci de cohérence, qu’il convient de se rapprocher du nouveau commissariat qui doit voir le jour à Saint-Pierre (12e). « Je trouverais assez iconoclaste d’imaginer une cité judiciaire à Euromed quand on vient de prendre la décision de mettre un hôtel de police central de l’autre côté de la ville ».

Il met en avant la situation géographique plus stratégique. « Nous nous rapprochons de la prison des Baumettes pour le transfèrement, c’est un véritable enjeu qui peut faciliter la vie pénitentiaire, et à l’entrée de la ville avec l’A50. Comme c’est une cité judiciaire à vocation régionale, c’est important que le lieu d’implantation soit le plus proche des entrées de ville. Le tram qui va jusqu’à l’hôpital Sainte-Marguerite doit passer juste devant et nous sommes à 300 mètres du pôle multimodal de Dromel », poursuit le député.

Le hic ? Le terrain est lui aussi en zone inondable et appartient pour partie à l’Armée. « C’est pourquoi, dans cette affaire l’État doit parler à l’État, et convaincre en interministériel le ministère des Armées de rendre disponible ce terrain, qui en plus conforterait la stratégie de tertiarisation du boulevard schloesing ».
Qu’il s’agisse d’Euroméditerranée ou de La Capelette, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) a fait valoir à l’agence publique pour l’immobilier de la justice l’obligation de mener une étude d’impact économique.

« Chaque projet présente des inconvénients », note Éric Méry, conseiller municipal spécial, délégué à l’urbanisme et à l’aménagement durable. Pour l’élu, le site proposé à la Capelette « est moins perturbant que celui d’Euroméditerranée. Avec l’extension du tramway, cela ne ferait pas déménager tous les avocats, parce qu’il y a aussi moins d’offres de bureaux, ils pourraient prendre le tram sur la place de Rome. Mais pour nous, la cité judiciaire doit rester en centre-ville et c’est le projet qui pourrait être réalisé le plus rapidement ».

Revitaliser en cas de délocalisation en périphérie

« On nous parle sans arrêt du zéro artificialisation nette. On a des demandes à n’en plus finir sur Euromed, sans compter la défense des commerces des cœurs de ville, et on va abandonner le palais de justice. Il va perdre son utilité avec un gâchis de foncier. L’État fait l’inverse de ce qu’il demande aux collectivités abonde Jean-Luc Chauvin, président de la CCIAMP. L’intérêt général, c’est que ça reste en centre-ville, parce que sinon ça va tuer le centre-ville » réitère-t-il.

Dans le cas d’un déménagement, la municipalité a demandé au préfet de Région de pallier la dévitalisation du centre-ville. « Il est hors de question de partir comme ça et de nous laisser un foncier sur les bras et laisser partir des milliers d’emplois directs et indirects, assure Sophie Camard, la maire des 1-7. Si c’est compliqué, c’est parce qu’ils partent du principe de tout regrouper. Dans les grands groupes, quand ils ferment une usine de plus de 1 000 salariés et qu’il y a une perte d’emploi, le Code du travail oblige à faire une étude économique de revitalisation et se donner les moyens de recréer autant d’emplois qu’ils en suppriment sur site », ajoute l’élue. Elle ne s’est pas privée de faire ce parallèle pour formuler cette demande au préfet de Région.

Lionel Royer-Perreaut ne souhaite pas de départ sec non plus. « Il doit y avoir un programme d’accompagnement, on peut développer du bureau, nous en manquons à Marseille, et aujourd’hui nous avons une concentration de tertiaire sur Euromed, c’est bien, mais ça doit se diversifier à l’échelle de la ville pour mixer les usages et les profils. Les 1er et 7e arrondissements manquent aussi cruellement de logements neufs avec très peu de foncier dans le cœur de ville. Ça peut être intéressant de développer du logement social jusqu’à l’accession à la propriété. On fait aussi la ville de cette manière ».

Le ministre de la Justice tranchera dans les prochaines semaines

Symboliquement, mettre l’appareil judiciaire au banc de la cité revient, pour les avocats, à un enfermement de la justice, quand par définition « elle se veut ouverte », dénonçait le ténor du barreau Michel Pezet. « L’idée même d’enfermer la justice dans une tour est quelque chose d’insupportable ».

Le préfet a remis sa synthèse à Eric Dupond-Moretti qui fait état, selon nos informations, des avantages et inconvénients pour chacune des pistes. « La Chancellerie étudie actuellement le rapport du préfet de Région, la décision devrait être rendue bientôt » nous a-t-on précisé au ministère de la Justice.

Quelle option fera pencher la balance ? Le garde des Sceaux devrait venir annoncer son choix en personne dans les prochaines semaines à Marseille. « Une décision très politique » quoi qu’il advienne ne manquent pas de souligner les protagonistes.

D’ores et déjà, si l’appareil judiciaire quitte le centre-ville, les opposants sont prêts à passer à l’étape suivante. Les recours devraient pleuvoir. Un bras-de-fer qui peut durer de longues années.

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