2013-2023 : pour ses dix ans, le Mucem se prépare à se raconter dans une exposition exceptionnelle qui mettra en lumière des objets conservés dans ses réserves. Un fonds unique envié par tous les musées ethnographiques du monde, et auquel, pour sa majeure partie, le public n’a jamais eu accès. Visite guidée.
L’un est célèbre, lumineux et vêtu de verre. Émaillé de dentelles de moucharabieh en béton fibré, il trône, majestueux, face à la Méditerranée. L’autre, moins connu, revêt une robe rugueuse de couleur rose brique, hermétique à la lumière, et est ancré dans le quartier populaire de la Belle de Mai (3e).
Ici, nous sommes au Centre de conservation et de ressources du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem). Son grand frère, en somme, car si l’illustre réalisation du célèbre architecte marseillais Rudy Ricciotti a ouvert ses portes en septembre 2013, son cœur névralgique a commencé à battre un an plus tôt.
Il faut pénétrer dans le bâtiment, dessiné par l’architecte marseillaise Corinne Vezzoni (et associés), pour découvrir ces vastes espaces blancs, abritant les fonds documentaires du Mucem, sa bibliothèque, ses archives scientifiques et l’ensemble des réserves. Deux étages en sous-sol représentant 7600 m2, où sont entreposés des trésors précieusement préservés des dommages du temps.
Un million de pièces
336 000 pièces sont inscrites dans l’inventaire du Musée, entre collection d’art populaire et d’objets du quotidien, auxquelles s’ajoute le matériel archivistique et documentaire qui les entoure. Documents papier, sonores, audiovisuels… un kilomètre linéaire d’archives sous toutes ses formes.
Quelque 150 000 titres et 450 000 photographies sur tous types de supports peuplent aussi les étagères de la bibliothèque. Près d’un million de pièces font de cette collection l’une des plus importantes que possède un musée de société en Europe. Un fonds unique, envié par tous les musées ethnographiques du monde.
Au mois de décembre, cette collection sera la star d’une exposition exceptionnelle pour célébrer les dix ans du Mucem. Un défi de taille pour les équipes du Centre de conservation et de ressources, compte tenu de la richesse de la collection et du calendrier serré : moins d’un an, quand il en faut habituellement deux à trois. « Cela nécessite la mobilisation de l’ensemble de l’équipe scientifique », commente Émilie Girard, directrice scientifique et des collections du Mucem, alors que nous nous trouvons dans l’une des allées de L’Appartement témoin.
L’Appartement témoin
Sur 800 m2, cette première réserve, ouverte au public sur réservation, a vocation à montrer la variété de la collection et son étendue, à travers des espaces organisés par thématiques sur onze pôles (croyances et religions, vie publique, arts du spectacle…).
C’est aussi l’occasion de découvrir les méthodes de travail. Comment sont rangés, inventoriés et restaurés les objets ? « Cette face visible est très importante et c’est ce qui a vraiment guidé le processus de constitution de ce bâtiment dès l’origine, poursuit la directrice scientifique. C’est d’abord ici que les équipes vont puiser les pièces qu’elles donneront à voir au public, de manière très directe, sans thématique définie, de façon à présenter la collection telle qu’elle est dans sa diversité.»
Surprendre les visiteurs
À cette fin, l’exposition s’inspire du modèle des musées des Arts décoratifs, avec des entrées par techniques et par typologies de collection (peinture, sculpture, céramique, art du métal, mode et textile…) « qui ont un potentiel grand public », souligne Émilie Girard, également commissaire de l’exposition.
Une manière aussi de surprendre les visiteurs, car les catégories mettront en relief des objets inattendus dans un musée. « Cela me paraissait pertinent pour évoquer à la fois l’étendue de cette collection, son côté surprenant, drôle, émouvant. Car ce qui la caractérise, c’est qu’elle raconte l’histoire des hommes, elle raconte des faits de société ».
Comme cette bétonnière designée qui sera exposée dans la partie mode et textile. À l’origine de cette œuvre, Endri Dani. L’artiste contemporain d’origine albanaise a dérobé l’engin sur un chantier de destruction de petites maisons traditionnelles à la faveur d’immeubles plus modernes, avant de la restituer entièrement repeinte de motifs décoratifs que l’on retrouve sur certaines boiseries ou textiles albanais.
Cette collection raconte l’histoire des hommes, elle raconte des faits de société. Emilie Girard, directrice des collections du Mucem
Ou encore ce graffeur assis sur son bidon, illustrant le travail mené depuis des années sur le tag, le graff et le mouvement hip-hop dès la fin des années 1990-2000. « On est vraiment l’un des premiers musées à s’être intéressé à cette thématique avec des artistes reconnus qui ont aujourd’hui une cote, avant l’engouement du marché de l’art pour le sujet », reprend la directrice des collections.
Quelques trésors cachés, conservés au second sous-sol, reprendront aussi la lumière. De plus grande hauteur, cette réserve rarement accessible au public, transporte dans un univers monumental et féérique, peuplé de créatures étranges juchées sur des chars de carnaval, où les arts forains font leur cirque, où de grandes affiches de film qui ornaient autrefois les façades des salles obscures font leur cinéma, comme celle de Capitaine Fracasse, avec Jean Marais (1961), qui sera exposée pour le plus grand bonheur des cinéphiles.
L’une des pièces phares des lieux est le lion en bois de carrousel, serti de verroterie de couleur, datant de 1900. Il trônera aux côtés de près d’un millier d’autres pièces toutes finement sélectionnées, que le public n’a pour la plupart jamais eu l’occasion de contempler.
Une expérience immersive
Toutes prendront vie dans un espace de 1 100 m2 au Mucem, grâce à la scénographie imaginée pour l’occasion. L’exposition sera interactive, avec quelque chose de très personnel pour éveiller les sens et susciter des émotions chez chaque visiteur.
Des parcours émaillés d’une dizaine d’espaces intimistes présenteront des objets qui ramèneront à des souvenirs, des contes, des odeurs, à des secrets de cuisine, « pour vivre une véritable expérience avec ces objets ».
Le visiteur aura le loisir de « toucher » des artefacts, plutôt contemporains, grâce à un dispositif immersif. « Ils flotteront tout autour dans la salle, et grâce à un système de détection de mouvement et un casque de réalité virtuelle, le public sera invité à s‘en saisir, explique Émilie Girard. On vous racontera son histoire, le pourquoi de son acquisition… On a voulu jouer à la fois sur l’émotion avec le contact direct avec l’objet et sur cette autre manière d’envisager le rapport à la collection et à son contenu, car c’est une collection que l’on peut tous s‘approprier.»
En attendant le grand jour, la sélection des pièces se poursuit à l’abri des regards. Tout sera ensuite transporté et installé vers la fin du mois de novembre, pour une inauguration prévue courant décembre. Un cadeau d’exception pour les fêtes de fin d’année.
La vie secrète des collections à la Belle de Mai
En attendant la grande exposition anniversaire au Mucem, petit avant-goût avec l’exposition « La Vie secrète des collections à la Belle de Mai ». Célébrant les 10 ans du Centre de conservation et de ressources (CRC), cette exposition présente 110 objets, photographies, archives et livres du Mucem. Elle s’attache à raconter la vie du CCR et des objets de la collection à travers le regard de ceux qui l’ont constituée, étudiée, conservée et valorisée : donateurs, conservateurs, restaurateurs… Toute l’équipe scientifique du Mucem s’est réunie autour de ce projet pour partager son amour des objets et nous en retracer les histoires pleines d’humanité.
À voir à partir du 16 septembre et jusqu’au 8 mars 2024.
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